Rebondissement dans l’affaire ReDéMaRe
La Cour Suprême déboute l’Etat togolais et met à nu les énormités de la procédure
Plus d’un an après la fermeture du Réseau pour le Développement de la Masse sans Ressources (ReDéMaRe) et l’arrestation de son Directeur général, Sama Essohamlon, la justice togolaise qui était restée jusque-là très apathique, semble enfin disposée à faire bouger les choses et à dire le droit. Le dossier a été débattu hier par les juges de la Cour Suprême. La Haute Cour de justice a exprimé toute son indignation face à la manière dont les choses ont été menées jusqu’ici par le Ministère public et débouté l’Etat togolais qui s’opposait à la demande de mise en liberté provisoire de Sama Essohamlon.
C’est sans nul doute le soulagement dans le camp des avocats du Directeur général de ReDéMaRe. La Justice togolaise semble enfin disposée à dire le droit et à faire triompher « la force de la loi sur la loi de la force ». Il le fallait ! Après les nombreux ratés des audiences publiques de la Cour d’Assises qui viennent de prendre fin sur une très mauvaise note, les juges se devaient de faire amende honorable.
Le dossier ReDéMaRe a été au menu d’une session de la Cour Suprême tenue hier dans la salle des délibérations du ministère de la Justice. Face au Parquet général et aux avocats de la défense, les juges ont tenu à dire le droit. Comme il fallait s’y attendre, les nombreux manquements qui ont entaché la procédure ont été relevés.
Ce procès se tient près d’un an après un appel introduit par les avocats de l’homme d’affaires visant à contester la décision de la justice togolaise de dissoudre la société ReDéMaRe et d’inculper son Directeur général pour escroquerie et faux et usage de faux.
L’affaire ReDéMaRe
Le 20 juillet 2010, alors qu’on s’y attendait le moins, du fait du caractère purement civil du dossier, le gouvernement togolais, après avoir ordonné l’arrêt des activités du GIE ReDéMaRe, met la main sur son initiateur, Sama Essohamlon qu’on accuse d’abuser de la naïveté des populations en leur proposant des placements avec des taux d’intérêts très élevés. Les violations répétées des droits de Sama Essohamlon dans le cadre de cette affaire ont fait réagir les organisations de la société civile qui accusent les autorités togolaises d’empêcher la justice de faire au mieux son travail. L’affaire prend alors une allure politique.
Tout prévenu ou accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d’un procès qui lui offre les garanties indispensables à sa défense, énonce un célèbre principe de droit. Mais dans le dossier Sama Essohamlon, tout est fait comme si l’inculpé était déjà coupable et devait accepter de subir la rigueur de la loi. Comme l’ont d’ailleurs noté hier les juges de la Cour Suprême, tout a été fait dans cette affaire en violation des droits du prévenu.
Dans un communiqué rendu public à l’époque par la Ligue togolaise des droits de l’Homme, la Ltdh dénonçait la détention du premier responsable de ReDéMaRe qu’elle considère comme violant les dispositions prévues par le code de procédure pénale. « La Ligue togolaise des droits de l’homme dans sa mission de protection et de défense des droits humains de tous citoyens, indique le communiqué, constate avec amertume le maintien en détention durant plus de quarante jours de Monsieur Essohamlon Sama en flagrante violation des dispositions des articles 15 de la Constitution et 113 du Code de Procédure pénale ». D’après les observations de la Ltdh, Sama Essohamlon ne saurait être détenu plus de 10 jours pour les faits qui lui sont reprochés, car en matière correctionnelle, lorsque le minimum de la peine prévue par la loi n’excède pas deux (2) ans, l’inculpé, s’il est domicilié sur le territoire togolais ne peut être gardé plus de 10 jours après sa première comparution devant le juge d’instruction. A condition bien sûr qu’il n’ait jamais été condamné soit pour un crime, soit à une peine d’emprisonnement de plus de trois (3) mois sans sursis pour un délit de droit commun. C’est ce qu’énonce l’article 113 évoqué plus haut.
Le constat est donc patent, le Directeur général de ReDéMaRe, selon les enquêtes, n’a jamais été condamné pour un crime ou à une peine d’emprisonnement de plus de trois (3) mois sans sursis pour un délit de droit commun, et mieux encore, il a sa résidence au Togo.
Selon ses avocats, il remplirait toutes les conditions pour ne pas être détenu plus de 10 jours. Mais il vient de passer plus d’une année en prison et, tenez-vous bien, sans jugement. Même s’il était reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés (faux et usage de faux) à l’issue d’un procès équitable, arguent les praticiens du droit, la peine prévue par la loi pour ce type de délit n’excède pas une année. Le sieur Sama Essohamlon devait donc en principe être libéré depuis longtemps. En somme, on est en plein dans le vice de procédure.
Autre remarque des observateurs, le délit de tentative d’escroquerie allégué par les autorités togolaises ne peut être établi, dans la mesure où il n’y a pas de plaignant. « Il apparaît donc évident que la détention de M. Sama Essohamlon constitue un grave abus, soulignent ses avocats. L’autorité judicaire en complicité avec l’exécutif essaie ici de faire taire un homme dans une affaire sensible en le détenant sans jugement ».
Compte tenu de tous ces manquements, les avocats du patron de ReDéMaRe avaient exigé la relaxe de leur client pour vice de procédure et pour les nombreuses incongruités qui alourdissent le dossier. Mais, le Procureur de la République de l’époque, Robert Bakaï s’était opposé. Heureusement que les juges de la Cour Suprême viennent de prendre le contre-pied de leurs collègues de Première instance. Ceux-ci n’ont donc pas hésité à souligner les vices dont la procédure est entachée en balayant du revers de la main, l’opposition faite par le Parquet général contre la demande de mise en liberté de l’inculpé.
Le délibéré est attendu pour le 25 août prochain. Mais avant cette date, soulignent les avocats, le Directeur général de ReDéMaRe a toutes les chances de recouvrer sa liberté. Vivement que le droit soit dit afin que la Justice qui est le dernier rempart contre l’arbitraire, retrouve ses lettres de noblesse au Togo.
Olivier A.
source : liberté hebdo togo