Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
Un magicien s’est présenté aux Togolais en ce début d’année : il a promis de nous offrir en 2021 le cadeau sur lequel le plus grand nombre d’entre nous tomberait d’accord. Nous avons été vraiment nombreux à répondre : « le changement ». Mais le magicien a répondu qu’il aurait bien du mal à exaucer notre vœu car à quelle réalité correspond ce mot ? Il se sentait bien obligé de poser quelques questions. En effet sa promesse consiste à exaucer un et un seul souhait, a-t-il affirmé. Il a donc posé ses questions.
S’AGIRAIT-IL DE L’ALTERNANCE POLITIQUE ?
Beaucoup de citoyens ont été d’accord avec cette proposition. Oui car cela fait pratiquement un demi-siècle que le même groupe, la même famille dirige le Togo, sans pour autant faire le bonheur des Togolais. Il est temps que cela change.
Pourtant un certain nombre de personnes avisées ont demandé au magicien de ne pas aller trop vite en besogne pour la réalisation du vœu. En effet, ont-elles fait remarquer, lorsque Félix TSHISEKEDI est arrivé au pouvoir en janvier 2019, grâce à une alliance avec celui auquel il s’était opposé depuis des années, il s’est trouvé des personnes pour affirmer qu’il s’agissait malgré tout d’une alternance. Aujourd’hui cette alliance a volé en éclats parce que, en raison du cadre étouffant d’une cohabitation avec Joseph KABILA, TSHISEKEDI n’a pas pu trouver les moyens d’opérer les réformes que les Congolais attendaient.
Voilà pourquoi, ont dit les personnes avisées, nous n’appelons pas changement une situation qui correspondrait tout juste à une permutation de personnes à la tête de l’Etat. Avis est ainsi donné à tous ceux qui se parent des faux habits de la nouveauté tout en restant des partisans de l’ancien système.
Magicien, nous voulons une véritable alternance politique.
QU’EST-CE QU’UNE VERITABLE ALTERNANCE POLITIQUE ?
C’est évidemment la question qu’a posée le magicien. Après débat, les citoyens togolais ont trouvé un consensus sur un schéma en plusieurs points.
Une véritable alternance politique ne peut être issue que d‘un processus où :
- plusieurs candidats se présentent avec un projet de société et un programme de gouvernement que les citoyens peuvent discuter ;
- des élections transparentes et équitables sont organisées dans le respect de la Constitution ;
- Il existe la garantie que tous respecteront les résultats issus des urnes ;
- Il existe l’assurance que les citoyens auront droit à la parole pour critiquer celui qui viendrait au pouvoir, et, obtenir de lui la garantie de la possibilité de l’alternance, en cas de non satisfaction des citoyens. En effet, on a trop souvent vu en Afrique des candidats ayant accédé au pouvoir au nom de l’alternance et refusant après de quitter le pouvoir contre toutes les exigences de la même alternance politique.
Ce schéma, ont assuré les citoyens, aboutira peut-être à un changement de personnes mais plus sûrement à un changement de système de gouvernance.
Le magicien a refusé ce vœu parce qu’il correspond à plusieurs souhaits concernant les candidats, l’organisation des élections, la gouvernance postélectorale. Un seul vœu dit le magicien, un seul !
IL FAUT UNE REVOLUTION POUR TOUT CHANGER DUN SEUL COUP !
Un groupe de citoyens s’est alors démarqué pour proposer cette solution. Le groupe a expliqué aux autres que dans une révolution il y a bouleversement total du système social en place ; le fonctionnement des institutions est suspendu à cause des mouvements sociaux, car c’est la population qui instaure le changement. C’est différent d’un coup d’état qui peut être mené par un petit groupe de personnes. Une révolution demande la participation de la majorité de la population pour amener un changement de régime.
L’accord n’a pu être obtenu sur cette proposition parce que trop de questions sont restées sans réponse :
- qu’est-ce qui pourrait pousser à une révolution au Togo ?
- la violence dont on sait qu’elle n’est pas toujours bienfaisante, n’est-elle pas automatiquement incluse dans cette solution ?
- qui viendrait au pouvoir après ? Le plus fort ou le meilleur ?
- ne risquerait-on pas de tomber dans un système pire que la gouvernance actuelle ?
Les citoyens togolais ont commencé à désespérer : nous n’avons donc rien à proposer au magicien ? Allons-nous laisser échapper la chance qui s’offre à nous d’obtenir le changement ? Certains ont commencé à se demander si leur pays n’était pas maudit, à entrevoir des solutions consistant à offrir des sacrifices aux dieux, ou à prier Dieu d’intervenir en donnant miraculeusement la solution par la bouche d’un saint homme.
C’est alors qu’une petite vieille qui avait assisté au débat sans y participer jusque-là a demandé la parole. On la lui a accordée en se disant qu’après tout on n’avait rien à perdre à l’écouter. Voici ce qu’elle a déclaré :
« Posons-nous quelques questions : ce que nous avons dit de la véritable alternance politique, ne serait-ce pas plutôt les conditions du changement que nous désirons ? La révolution ne consisterait-elle pas en ce que chacun soit concerné par le bien-être matériel de tous et la jouissance de toutes les libertés par tous ? Si oui, ce qu’il faudrait demander au magicien, c’est de nous donner le moyen d’arriver à rassembler les conditions pour arriver à l’instauration d’un régime préoccupé avant tout par le bien commun. »
L’assistance a reconnu la sagesse de la vieille mais lorsqu’on a voulu lui demander quel était ce moyen à demander au magicien, elle avait disparu. Les citoyens devaient donc chercher eux-mêmes.
Le débat a duré de longues heures car le magicien a exigé une réponse claire et concrète. On a d’abord pensé que le problème se situait au niveau des hommes politiques : ils ne devraient pas chercher à remplir avant tout leurs poches et ne pas vouloir simplement le pouvoir personnel. Cependant, certains ont fait remarquer que l’honnêteté pouvait aussi être un attribut des hommes politiques et surtout que, les citoyens cherchant toujours à s’aligner derrière quelqu’un, cela oblige les hommes politiques à prendre toute la place et toujours la première place.
Après, on s’est demandé comment éviter la corruption et les détournements, comment amener tout le monde à rendre des comptes, comment éradiquer l’impunité, etc.
Les débats ont été longs mais aussi houleux car tout le monde accusait tout le monde d’être responsable des maux de la société actuelle. Au bout du compte, on a commencé à toucher le fond du problème : tout le monde est responsable à divers degrés des différents dysfonctionnements qui font que la société, minée par le manque de professionnalisme et la corruption, avec une justice à plusieurs vitesses, est obligatoirement inégalitaire et ne vise donc pas le bien commun.
Par conséquent, chaque citoyen devrait être partie prenante d’un débat similaire pour se rendre compte que si on veut un vrai changement en profondeur, Il faut y mettre le prix, celui d’accepter qu’on doit changer soi-même. Cela signifie avant tout un changement de regard : détourner son regard des insuffisances de l’autre pour le porter sur ses propres déficiences. Cela exige ensuite suffisamment d’humilité pour se former, se laisser former…
Alors citoyen togolais, es-tu prêt pour que le magicien exauce ce vœu : « CHANGER SOI-MÊME POUR QUE LES CHOSES CHANGENT EN VERITE » ?
Lomé, le 15 Janvier 2021