La problématique de l’armée dans un pays fait-elle partie des urgences sociales ou des secteurs prioritaires ? L’information est passée subrepticement lors du premier conseil des ministres sous l’ère Tomégah-Dogbé. De la même manière, elle deviendra bientôt une loi, vu que ceux qui disent représenter le peuple iront encore lever le doigt pour dire oui à leur mentor. Depuis le 28 octobre, une loi sur la programmation militaire est en téléchargement au Togo alors que le pays a d’autres secteurs plus urgents à considérer.
Si les autorités ne changent pas de paradigme, viendra un moment où des manifestations sociales à caractère apolitique pourraient secouer le Togo. Mais déjà, le feu couve du côté de l’éducation avec les enseignants volontaires et de la santé avec les praticiens hospitaliers. Si aucune décision positive n’émerge de la rencontre prévue pour le 10 novembre, le personnel hospitalier pourrait aussi entrer en grève pour se faire entendre, le nouveau gouvernement faisant déjà preuve, lors du premier conseil des ministres, d’une indifférence suicidaire.
Mercredi 28 octobre, une information brutale tant dans sa forme que dans son timing est tombée, un avant-projet de loi sur une programmation militaire. « Le conseil a enfin examiné l’avant-projet de loi relatif à la programmation militaire. Cette importante réforme a pour objectif d’adapter la défense nationale aux risques sécuritaires sous-régionaux en vue d’une protection renforcée de l’intégrité du territoire et des populations togolaises. Le Togo s’est doté d’une feuille de route quinquennale 2020-2025 qui a fait l’objet d’échanges en séminaire gouvernemental du 12 au 13 octobre dernier. C’est dans cette dynamique que la loi de programmation militaire s’inscrit en faisant le lien entre la sécurité, la stabilité et le développement économique. Cette loi s’inscrit dans l’axe 1 de la feuille de route dont l’objectif est de renforcer l’inclusion et l’harmonie sociales et consolider la paix. Cet avant-projet fixe les orientations relatives à l’effort de défense pour la période 2021-2025, détaille la programmation des moyens militaires sur la même période, définit les priorités opérationnelles et les choix capacitaires essentiels, et précise l’effort financier à consentir sur les cinq prochaines années et au-delà. Cette loi permettra d’équiper les armées et les rendre aptes à exécuter les missions assignées; Assurer le soutien matériel des armées de manière efficiente et efficace ; Disposer d’un soutien santé robuste et en mesure d’appuyer le système de santé national ; Raffermir le lien civilo-militaire et promouvoir une stratégie sectorielle du genre et de l’équité ». Qu’est-ce qui se passe au Togo ? Une attaque imminente ? Un attentat en préparation que les autorités veulent déjouer ? Ou bien une simple envie de narguer des Togolais déjà éprouvés par le quotidien ?
Effort de défense pour la période 2021-2025. Effort financier à consentir sur les cinq prochaines années et au-delà. Equiper les armées et les rendre aptes à exécuter les missions assignées. Et puis quoi encore ! C’est à croire qu’une malédiction se serait abattue sur la Terre de nos aïeux.
La pandémie du coronavirus a dévoilé les failles des systèmes éducationnels et sanitaires du Togo. Pendant des années, l’éducation est en souffrance. Non seulement le recyclage des enseignants est inexistant, mais leurs conditions de vie et de travail ont toujours fait l’objet de revendications, plus précisément de la part des enseignants volontaires sans lesquels les cours seraient paralysés. Du côté des infrastructures, des classes hébergeaient jusqu’à la dernière année scolaire 2019-2020 jusqu’à 150 élèves agglutinés tels des sardines. Dans beaucoup de localités, des élèves suivent les cours assis sur des troncs d’arbre, des briques ou à même le sol. Des bâtiments sont en banco, mais beaucoup sont en claies, feuilles de palmier ou construits avec du vent.Faure Gnassingbé, conscient de l’état de délabrement dans lequel l’école togolaise pataugeait, avait osé parler des assises de l’éducation. Avant de se raviser et de reléguer ces assises aux calendes grecques. Avec la pandémie qui oblige d’adopter certaines dispositions, les autorités se sont vu contraintes de faire d’autres promesses. Les tiendront-elles ?
Le secteur de la santé au Togo est tout aussi malade. Tant et si sérieusement qu’une rencontre est prévue entre les praticiens hospitaliers et les autorités le 10 novembre prochain. Au risque que des grèves viennent encore mettre au grand jour le mal-être des uns et la pauvreté du plateau technique dans les centres de soins du pays.
Et quand, à côté de ces manquements des autorités togolaises, on apprend qu’une loi de programmation militaire censée pourvoir l’armée en matériels militaires alors que le pays n’est pas en guerre, on se retient difficilement pour ne pas être révolté, ou du moins indigné.
Le Plan national de développement (PND) censé impulser une certaine avancée au Togo est atteint d’essoufflement. A ce jour, les parts de l’Etat et du secteur privé sont difficilement chiffrables. Pire, des investissements promis par des opérateurs risquent de ne jamais tomber dans l’escarcelle du gouvernement. Ce faisant, un « rebasage » dudit plan est à l’étude. Mais quand, à côté, on apprend que l’armée sera dotée conséquemment en matériels, évidemment en puisant dans les maigres ressources du pays, on comprend de moins en moins ce choix.
Dans notre parution numéro 3265 du 30 octobre 2020, nous expliquions, s’agissant des dépenses d’investissements publics, « Pourquoi les dépenses militaires ne devraient pas en faire partie ». En effet, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) avait décidé en 2019 d’inclure les dépenses militaires dans les dépenses d’investissements publics, au même titre que les routes, l’électrification, l’adduction en eau potable, la santé ou encore l’éducation. Une absurdité. « En Afrique, les dirigeants rechignent à quitter le pouvoir à l’expiration de leurs mandats réguliers. Comme une trainée de poudre, un nouveau virus s’est emparé des chefs d’Etat, bien avant le coronavirus : le virus du tripatouillage constitutionnel et de la prolongation des mandats. Au Togo, en Côte d’Ivoire, en Guinée, et certainement ailleurs dans les jours et mois qui viennent, des présidents vont faire passer le bistouri dans la loi fondamentale de leur pays pour remettre les compteurs à zéro, les uns après les autres. Ils ne conçoivent pas de redevenir de simples citoyens redevables, ayant été trop longtemps déifiés. Et ce n’est pas faute aux populations d’avoir cherché à manifester contre cette nouvelle forme de coup d’Etat qui brime le droit des peuples à choisir leurs dirigeants. Mais il y a l’armée. Cette catégorie d’hommes qui étaient au départ des civils, mais qui, parce qu’ayant suivi des formations et ayant appris le maniement des armes, se rangent derrière le dirigeant et retournent leurs armes payées avec l’argent du contribuable contre le peuple », avions-nous dénoncé.
Cet avant-projet de loi pourrait radicaliser les autres secteurs sociaux comme la santé dont l’issue sera connue le 10 novembre sur les points de revendications suivants : la motivation générale de tous les agents de santé (reconnaissance de la nation aux agents de santé à travers une prime spéciale COVID19, la mise à disposition des agents de santé d’une assurance vie) ; la protection du personnel soignant dans le contexte COVID-19 ;le renforcement de l’effectif d’agents de santé par l’organisation du concours de recrutement ; la formation de tous les agents de santé à la prise en charge de la maladie au Covid-19. Car, ces agents comprendraient mal que pendant qu’on leur rebat les oreilles du manque de ressources financières, on se permette d’un autre côté de satisfaire un autre secteur ne faisant pas partie des secteurs prioritaires du pays.
Godson K.
Source : Liberté