Par un dimanche ordinaire, le « professeur-président » a été déposé par le légionnaire qu’il était allé lui-même chercher à l’étranger, pour créer des forces spéciales censées le protéger des aléas du pouvoir. L’histoire dira si Alpha Condé a été meilleur ou pire que Sékou Touré et Lansana Conté, les deux premiers présidents de la Guinée, sur le dos de qui il s’était bâti, à bon marché, une réputation d’opposant et de démocrate.
Alpha Condé n’est plus le président de la Guinée. Il a été balayé, en même temps que la Constitution et les institutions qu’il a mises en place, au prix de nombreuses vies, pour s’autoriser un troisième mandat controversé. La plupart des Guinéens applaudissent, la CEDEAO elle-même semble avoir tellement intégré le putsch, qu’elle ne demande pas qu’Alpha Condé soit rétabli dans ses fonctions. Faut-il applaudir avec les Guinéens ?
Parce que les Guinéens viennent d’apporter leur part à la banalisation des coups d’État en Afrique, nous n’applaudirons pas. Et nous ne verserons pas davantage de larmes sur le sort du président déchu.
À force d’être sans cesse dans les bras de fer, Alpha Condé avait fini par donner une illusion de puissance, que dément cruellement la rapidité avec laquelle son destin a été scellé. Presque personne ne le pleure, et ceux qui n’applaudissent pas se taisent en chœur. C’est tout juste si ses ministres ne se joignent pas à la célébration du nouveau maître du pays. Les institutions mises en place pour régir ce troisième mandat se sont écroulées, volatilisées en quelques heures. Et les défenseurs acharnés du mandat fatal ont fait allégeance au colonel, en attendant de mettre à son service leur obséquiosité.
Beaucoup conviennent que l’approbation de ce putsch se justifie…
La question n’est pas de savoir si les coups d’État se justifient ou pas. Mais l’affaiblissement de l’Union africaine et de certaines des communautés sous-régionales, telle la CEDEAO, transforment progressivement le continent en une espèce de jungle, où toutes les aventures seraient permises. Il n’y a plus, sur ce continent, aucune autorité morale, aucune institution capable d’opposer des règles contraignantes aux aventuriers et autres flibustiers, qui se prévalent des moindres dysfonctionnements dans la gouvernance des États, pour s’ériger en justiciers. Ces sauveurs autoproclamés des peuples ne donnent pourtant aucune garantie, et n’ont aucune obligation de résultat. Il faudrait donc attendre qu’ils aient totalement échoué, pour constater, lorsqu’il sera trop tard, que les peuples ont été abusés.
Pour un Sankara qui propose un cheminement convaincant à son peuple, ou pour un Rawlings qui installe effectivement son pays sur la rampe de la démocratie et du développement, combien d’imposteurs en treillis se serviront du pouvoir pour régler leurs problèmes de carrière, et s’enrichiront sur le dos de toute une nation !
Sauf qu’il y a aussi des coups d’État perpétrés par des civils. Faut-il les laisser faire ?
Non ! Evidemment ! Et Alpha Condé demeure le premier responsable de la faillite actuelle. C’est pourquoi, dans des cas aussi désespérés, quelques figures d’envergure sont indispensables, pour rappeler à l’ordre les dirigeants qui travailleraient contre les intérêts de leurs peuples.
Quelques personnalités imposantes, capables de dire aux dirigeants indélicats ce qu’ils n’ont pas le droit de faire à leur propre peuple. Ou aux pays voisins, qu’atteignent forcément les incendies qu’ils déclenchent chez eux. Aujourd’hui, plus personne ne craint personne, et chaque petit officier inculte peut faire la loi chez lui, au mépris des autres, tandis que l’Union Africaine, du point de vue du discrédit, a touché le fond, et qu’une organisation comme la CEDEAO ne croit pas, elle-même, aux règles qu’elle édicte.
Et quand, de surcroît, les nouveaux maîtres sont adulés par leur peuple avant d’avoir prouvé quoi que ce soit, la CEDEAO n’a plus qu’à suivre le mouvement. Surtout lorsque des opposants comme Ceillou Dahein Diallo et Sidya Touré se risquent à vouloir dédouaner le colonel-président des crimes commis au nom du troisième mandat, laissant entendre qu’ils ne sont pas certains que les forces spéciales aient participé à la répression et tué leurs partisans.
Source/RFI : Jean-Baptiste Placca