L’un des aspects de l’affaire de détournement des fonds au sein du Comité de suivi des fluctuations des prix des produits pétroliers (CSFPPP) est la lenteur avec laquelle le dossier est traité. Plus de six mois après ces révélations, les personnes incriminées ne sont pas inquiétées. A croire qu’elles sont tellement craintes qu’elles sont devenues intouchables.
En juin 2020, le scandale de détournement de près de 500 milliards de francs CFA au sein du Comité de suivi des fluctuations des prix des produits pétroliers (CSFPPP) a été révélé. Cela a suscité de l’indignation dans l’opinion. Aussi bien dans la diaspora qu’à l’interne, les Togolais ont déploré que des centaines de milliards de FCFA prélevés sur le pauvre contribuable aient été subtilisés par des individus à qui était confiée la commande des produits pétroliers au Togo. Des voix s’étaient également élevées pour que les personnes citées dans le scandale soient présentées devant la justice.
Un mois après et devant l’insistance des organisations de la société civile, le ministère de l’Economie et des Finances fait entrer en jeu l’Inspection générale des finances (IGF). Cette dernière, en collaboration avec la Direction générale du trésor et de la comptabilité publique (DGTCP), après investigations, a conclu à des détournements de fonds. Dans tous les cas, ce qui a été trouvé y ressemble fort bien. Raison pour laquelle dans ses recommandations, l’IGF a demandé que les dépenses effectuées soient justifiées ou, à défaut, remboursées par les personnes impliquées dans le scandale. Il s’agit de Adjakly Francis Sossah (ex-coordonnateur du Secrétariat de la Commission technique du CSFPPP), Kondo Comlan Koffi Ononh-Nofoumi (coordonnateur par intérim du Secrétariat de la Commission technique du CSFPPP), Adjakly Fabrice Affatsawo (coordonnateur par intérim du Secrétariat de la Commission technique du CSFPPP et directeur financier chargé des relations avec les traders) et Essossimna Bernadette Legzim-Balouki (ancienne ministre du Commerce).
La mission de l’Inspection générale des finances a été réalisée du 29 juillet au 18 septembre 2020. On peut estimer qu’après un mois ou deux, le rapport soit dressé et remis au commanditaire qui va le mettre à la disposition de la Primature et de la Présidence de la République. 70 recommandations ont été faites et classées, pour la plupart, dans la catégorie des priorités. Certaines de ces recommandations évoquent la création d’une nouvelle structure pour la gestion des commandes des produits pétroliers, le remboursement sans délai de plusieurs dizaines de milliards francs CFA, la signature des contrats exclusivement par le ministre du Commerce, mais aussi la révocation des mis en cause et leur mise à la disposition de la justice.
De septembre 2020 à mars 2021, il s’est passé un semestre. Six mois durant lesquels rien ne semble avoir été fait. Pire, tout ce qui se passe donne l’impression que les personnes mises en cause bénéficient d’une protection qui les immunise contre toute poursuite judiciaire. Contrairement à ce qui devrait se ressentir dans un pays où la bonne gouvernance est de mise, elles ne semblent nullement inquiétées. Il y a donc lieu de s’interroger sur les raisons de cette impunité qui leur semble déjà garantie.
En effet, en dehors du rapport réalisé par l’Inspection générale des finances, aucune autre étape n’a été franchie dans cette affaire de détournement de près de 500 milliards francs CFA. Si c’était 500.000 FCFA qui ont été subtilisés, on comprendrait peut-être la lenteur de Faure Gnassingbé à prendre ses responsabilités de chef de l’Etat. Mais là, il s’agit de plusieurs centaines de milliards, près du 1/3 du budget exercice 2021 du Togo. Des sommes importantes qui auraient pu servir à construire plus de 160 hôpitaux bien équipés à raison de 3 milliards par hôpital, ou contribuer à la modernisation des infrastructures scolaires pour mettre à l’abri des intempéries les élèves.
Pour le plus gros scandale financier révélé au Togo et compte-tenu de la situation socioéconomique du pays, Faure Gnassingbé ne doit pas se taire. Il n’y a pas droit parce que sa responsabilité de chef d’Etat le lui interdit. Quand il y a péril en la demeure, celui qui est à la tête du pays, même s’il s’est créé un statut de « taiseux », doit parler. A moins qu’il soit lui-même mouillé par le scandale ou qu’un de ses très proches collaborateurs soit impliqué. C’est une probabilité puisqu’au-delà des personnes incriminées, des noms de personnalités politiques jouant des rôles de premiers plans au sein du régime RPT/UNIR ont été cités dans les coulisses. Le silence de Faure Gnassingbé va finalement donner raison à ceux qui ont toujours soutenu que ceux cités dans le rapport ne peuvent pas, à eux seuls, réussir à détourner d’aussi importantes sommes sans s’appuyer sur des poids lourds du régime.
Si le chef de l’Etat, les barons du parti au pouvoir, les autorités judiciaires… voulaient que les personnes incriminées par le rapport soient traduites devant la justice, c’aurait été le cas depuis plusieurs mois. On les a déjà vus accélérer des procédures et condamner de façon expéditive. Reste à savoir à quel point ils sont impliqués dans ce scandale pour se refuser d’agir.
G.A. / Liberté