L’information est tombée ce samedi matin. Pascal Bodjona est désormais libre après 525 jours d’incarcération arbitraire à la prison civile de Tsévié. Pour la majorité des Togolais, la nouvelle sonne comme une surprise; mais pour de nombreux observateurs, cette libération était prévisible, tant les détracteurs de l’ancien ministre se sont retrouvés empêtrés dans leurs propres contradictions.
Longue bataille procédurale
« Vos alertes et vos cris ont fini par donner la vraie dimension et les contours de ce que j’appelle ou qu’il convient d’appeler une procédure incongrue ». Ce bout de phrase lâché par Pascal Bodjona dans une première déclaration aux journalistes à son domicile résume la tragi-comédie de ce dossier qui défraie la chronique depuis plusieurs années.
Depuis l’arrivée fracassante d’un certain Emirati Abbas Al-Youssef au Togo qui a porté plainte à la justice pour escroquerie, les autorités togolaises se sont mises au service de ce plaignant, lui déroulant le tapis rouge, et plus grave, mettant à sa disposition tous les attributs de l’Etat pour assouvir sa vengeance contre ses partenaires en affaires.
Sow Bertin Agba en a fait les frais, avec une détention à l’ANR suivie de torture, ensuite une incarcération à la prison civile de Tsévié avant de recouvrer la liberté et choisir de quitter le pays. Ensuite Loïk Le Floch-Prigent, ancien PDG d’Elf-Aquitaine kidnappé à Abidjan et envoyé à Lomé comme un colis par le pouvoir de Dramane Alassane Ouattara. Gardé dans des conditions inhumaines à la Gendarmerie nationale, il a fini par être mis en liberté pour des raisons de santé. Depuis, il a publié un livre pour relater les dessous de cette scabreuse affaire en précisant que l’ancien ministre Pascal Bodjona n’est que la victime d’un règlement de compte politique.
Enfin Pascal Bodjona, ancien Directeur de Cabinet à la Présidence, ancien ministre de l’Administration territoriale, bras droit de Faure Gnassingbé. Appréhendé à son domicile le 1er septembre 2012 de façon rocambolesque et spectaculaire, il a été écroué 7 mois durant dans les locaux de la Gendarmerie nationale. Il recouvre la liberté le 09 avril 2013 sans que le dossier n’ait connu une avancée. Le 21 aout 2014, il est de nouveau mis aux arrêts et déposé à la prison civile de Tsévie par une ordonnance surréaliste du juge d’instruction du 4è cabinet d’alors, Komi Soumdina.
Manipulations, caporalisation, pressions, contorsions et acrobaties juridiques surréalistes sont les faits d’armes des juges qui ont connu ce dossier. Face à ce qui apparaît non seulement comme une hérésie juridique, mais aussi une situation arbitraire imposée à un homme par des individus de la nomenclature politique, Pascal Bodjona, en homme avisé et combatif, s’est entouré des avocats très procéduriers pour mettre à mal l’accusation et pousser ses détracteurs à commettre une série de gaffes et erreurs qui ont compliqué à la fin le dossier.
Dans cette bataille judiciaire féroce, la Cour de justice de la CEDEAO s’est rangée dans sa décision du côté de l’ancien ministre. L’Etat togolais a été sommé de le juger ou de le libérer. Amnesty international n’est pas du reste. L’ONG internationale de défense des droits de l’Homme, dans une déclaration rendue publique, a jugé sa détention arbitraire et précisé qu’elle serait fondée par des mobiles politiques. Au fil du temps, le dossier s’est enlisé et est même devenu un bourbier, mieux, une arête dans la gorge du régime. Aucun procès ne saurait être organisé dans ces conditions et surtout en l’absence des autres protagonistes.
Les mains noires qui manipulent la justice ont même espéré une demande de liberté provisoire du prévenu pour solder ce dossier. Peine perdue. A Abuja où on avait dans une requête exigé des autorités togolaises son procès à défaut de sa libération, le ton est monté d’un cran, surtout après que le ministre de la Justice togolaise a commis la grosse bourde de déclarer que ses services travaillent à rassembler un « minimum » de preuves.
A la Cour Communautaire, on s’est vu dans l’obligation d’adresser une convocation cinglante aux autorités togolaises à comparaitre ce 10 février 2016. Le 21 février, Pascal Bodjona devrait boucler la moitié de la peine prévue en cas de condamnation et donc bénéficier d’une liberté de droit. Le rejet de sa requête le 6 février dernier est apparu comme l’incongruité de trop. Pressé de tous les côtés, ses détracteurs ont fini par lâcher du lest. Pascal Bodjona dont la libération devait être effective jeudi a dû passer une épreuve des nerfs jusqu’à samedi matin où le juge qui l’avait déposé a fini par signer une ordonnance de liberté entraînant la levée d’écrou.
De Tsévié à Lomé, c’était la liesse populaire des partisans de l’ancien ministre. Son domicile est envahi dans la journée de samedi par des partisans, des amis, des proches et des journalistes, dans une ambiance de fête générale. Pour l’ancien ministre, le grand citoyen d’Etat, c’est la fin du calvaire, la délivrance d’une situation d’injustice qui n’a que trop duré.
Et maintenant ?
Avant de retourner une seconde fois en prison, on se rappelle que lors d’une conférence de presse à l’hôtel Eda Oba, entouré de son Conseil, Pascal Bodjona avait déclaré que personne ne pourra l’empêcher de continuer et faire de la politique au Togo. Lors de sa libération le 6 février dernier, l’homme s’est inscrit dans la même logique lorsqu’il déclare : « Vous me voyez sans avenir ? Je viens d’arriver, je suis chez moi. Je vous donne clairement la conviction et le sentiment que le débat est ouvert. Mais l’avenir d’un homme est dicté par son créateur ». Une déclaration pleine de sens.
L’objectif des détracteurs de Pascal Bodjona était d’obtenir son élimination du jeu politique par sa condamnation. Sa libération d’office constitue l’échec de cette stratégie mal ficelée, avec à la clé un dossier sans tête ni queue. A présent qu’il a recouvré la liberté, que va faire Pascal Bodjona ? La question est sur toutes les lèvres. Selon ses proches, la prison a été certes une épreuve, mais aussi un lieu où l’homme aurait profité pour faire une introspection, murir des idées et envisager l’avenir autrement.
Du côté du pouvoir, certains regrettent le sort qui lui a été infligé et pensent qu’il serait plus utile dans le système qu’on dehors. Mais l’homme en animal politique très avisé a certainement une idée qui ne tardera pas à jaillir. S’il a pu résister face à ses détracteurs qu’on connaît, c’est qu’il a désormais choisi de percevoir l’avenir sous un autre prisme. C’est à ce titre que sa libération, et éventuellement son retour sur la scène politique pourront faire bouger les lignes d’un côté comme de l’autre.
Dans une situation où le système en place devenu obsolète, évanescent, déliquescent et fissuré risque d’imploser face à une opposition en perte de repères sans stratégie, sans moyen, engluée dans d’interminables querelles de chapelles, certains n’excluent pas qu’une offre politique crédible, sérieuse, rassurante pourrait fédérer les déçus de tous les côtés et précipiter les événements. D’autres estiment que ce scénario, on l’a déjà vu avec d’autres
apparatchiks qui se sont mis en rupture de ban avec le système sans vraiment trouver les moyens de le déraciner. Ils sont d’ailleurs retournés à la « maison » pour consolider le régime qu’ils décriaient hier. Ces cas de figures continuent de cristalliser l’attention de l’opinion et d’alimenter les débats. Un débat ouvert où seul le grand citoyen d’Etat Pascal Bodjona indiquera le chemin qu’il voudra désormais suivre. Une chose est certaine, les lignes vont bouger; reste à savoir, dans quel sens.
La télévision LCF de Bodjona dans le viseur
Selon des sources concordantes, le Chaine du Futur communément appelée « LFC » du groupe Sud-Médias serait dans le viseur. Un plan secret serait en cours d’élaboration pour conclure à un refus du renouvellement de sa fréquence.
En effet, il sera procédé dans les jours qui viennent par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication ( HAAC ), à un renouvellement des autorisations et fréquences des radios et télévisions. Les promoteurs des médias audiovisuels devront soumettre un nouveau dossier pour obtenir le renouvellement des fréquences et donc de l’autorisation de continuer par émettre.
Selon les informations de bonne source, c’est à travers ce processus que les détracteurs de cette chaîne dont on peut facilement deviner les identités trouveront l’astuce pour refuser le renouvellement de la fréquence.
Selon le Directeur Général de LCF, Luc Abaki, joint au téléphone par la Rédaction qui s’est dit étonné par cette information, les dossiers de la société dont il est le responsable sont en règle et ne souffrent d’aucune irrégularité tant vis-à-vis de la HAAC que de l’Autorité de réglementation des postes et télécommunications (ARTP).
La Chaine du Futur dont le promoteur n’est autre que Pascal Bodjona emploie environ 70 personnes (journalistes, techniciens, animateurs, etc.). La HAAC dont le mandat prend fin en juin prochain a réduit au silence des médias, notamment les radios X-Solaire, Légende Fm, les journaux La Nouvelle, La gazette du Golfe, Tribune d’Afrique et distribué plusieurs mises en demeure.
Le Togo dispose de deux écoles de journalisme connues, l’Institut des Sciences de l’Information, de la Communication et des Arts ( ISICA ) et l’Ecole Supérieure des Techniques et Arts de le Communication ( ESTAC ) qui forment des dizaines de journalistes qui peinent à se faire embaucher par des entreprises de presse fragiles ou qui n’existent que de nom.
Une éventuelle fermeture de la chaine LCF pour « des caprices politiques » serait un drame dans un pays au taux de chômage vertigineux avec un mandat présidentiel ceint du sceau du « social ».
Bon à suivre !
Source : [09/02/2016] Ferdi-Nando + Mensan K., L’ALTERNATIVE – N°496