Longtemps épargné des attaques terroristes, le Togo fait désormais partie des pays en proie au fléau. Plus de six attaques y ont été perpétrées à ce jour par de groupes armés, particulièrement au nord du pays. La menace est là, mais les populations en parlent avec beaucoup de méfiance.
La situation est préoccupante mais le sujet est presque tabou. « C’est un dossier sensible », confie à Ouestaf News, Robert Kanssouguibe Douti, journaliste togolais basé au nord du pays, la zone la plus touchée. Il admet être « obligé de traiter le sujet avec beaucoup de prudence », dans ses reportages.
Les attaques récurrentes ont créé une insécurité grandissante et aujourd’hui « la situation échappe au contrôle des forces de sécurité togolaises », confie à Ouestaf News un enseignant en service à Koundjoaré (plus de 690 kms de Lomé).
L’Association des Victimes de la Torture au Togo (Asvitto) avait fait le même constat, au retour d’une de visite dans le Kpenjal, le 16 novembre 2021. Dans la région des Savanes, « les populations vivent une situation qui les dépasse », selon Monzolouwè Kao Atcholi, président de l’Asvitto.
« L’Etat est absent. Les populations n’ont pas de l’eau potable et vont chercher de l’eau dans le fleuve Oti situé à plus de quatre kilomètres de leurs localités », avait-il ajouté.
La région des Savanes, l’une des régions les plus pauvres du Togo, frontalière du Burkina Faso est exposée « au recrutement » des groupes armés terroristes, souligne Michel Douti, consultant indépendant qui travaille sur les questions de sécurité.
Cette région est placée sous état d’urgence sécuritaire depuis le 13 juin 2022 ; d’abord pour trois mois, puis prolongée le 6 septembre 2022 par l’Assemblée nationale jusqu’en mars 2023.
Face à la récurrence des attaques certaines de ces populations, « se sont réfugiées auprès des parents ou amis dans les zones sécurisées », avait ajouté Kao Atcholi, précisant que « ceux qui ont des troupeaux essaient de s’organiser (…) pour échapper aux menaces terroristes ».
Mes parents « ont des jardins mais ils ne s’y rendent plus », témoigne Michel Sounkika Laré, consultant et conseiller en investissement à Lomé. Ce natif du village de Sousouri dans la préfecture de Tandjouré, explique que ses parents ont peur de se rendre dans les « zones touffues en bordures des rivières » où se trouve leur exploitation.
Dans la nuit du 9 au 10 novembre 2021, le poste avancé des forces de défense et de sécurité (FDS) dans la préfecture de Kpendjal (région des Savanes, Extrême-nord du Togo) a été attaqué par des éléments armés. « Les assaillants en provenance du Burkina Faso, ont été repoussés grâce au dispositif de l’Opération Koundjoaré, mis en place dans la région », avait indiqué le ministre de la Sécurité et de la Protection civile.
Il y a eu un semblant d’accalmie et les populations pensaient retrouver leur quiétude. Six mois après, dans la nuit du 10 au 11 mai 2022, des dizaines d’hommes armés à moto ont attaqué un poste militaire à Kpinkankandi, près de la frontière avec le Burkina Faso. Bilan : huit soldats togolais tués, treize autres blessés. Cette attaque, la plus meurtrière encore perpétrée dans le nord du pays, avait été revendiquée par le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM).
Entre juin et décembre 2022, environ six attaques de groupes armés ont été perpétrées dans le pays contre les positions des Forces armées togolaises (FAT) et les populations civiles. Ces dernières paient aussi de leur vie la présence des terroristes dans leurs zones.
Le 14 juillet 2022, dix habitants du village de Blamonga et cinq de Kpemboli dans la préfecture de Kpendjal, ont atrocement été exécutés par des hommes armés non identifiés qui les accusaient d’être de connivence avec les FAT.
Ces exactions ont exacerbé la peur au sein de la population. Dans le nord, les habitants des villages de Kpenkankandi, Sankortchagou, Tambima, Blamonga, Bissingbangbangou, Emondeni, Walawala et une partie de Sanloaga ont été délocalisés dans le canton de Koundjoare dans la préfecture de Kpendjal.
Ces déplacés ne peuvent plus accéder à leurs champs car ayant été interdits de déplacements au de-là de Kounjoare par les forces de sécurité.
« C’est pour mieux protéger les populations », avait soutenu le lieutenant-colonel Amah Sossou responsable de la communication au ministère togolais des armées, en justifiant les interdictions le 23 août 2022 sur Kanal Fm, une radio privée de Lomé.
Cependant, un autre enseignement natif de la région qui travaille à Atakpamé (localité située à plus de 156 kms de Lomé) trouve que ce déplacement des populations a « pour conséquence la famine », faute pour elles de pouvoir produire.
Environ 3.000 personnes déplacées internes sont enregistrées dans les Savanes, selon Michel Douti, spécialiste des questions de sécurité.
Cette situation a précipité les cultivateurs dans une grande précarité. « C’est une gangrène, une déshumanisation», selon Kag Sanoussi, président de l’Institut international de Gestion des Conflits (IIGC).
« Il y a une psychose. Moi-même j’ai peur car je ne sais pas ce que ça peut me coûter», souligne l’enseignement originaire de la région en faisant allusion à ses déclarations dans la presse et notamment cet échange avec Ouestaf News
« Les groupes terroristes exploitent les vulnérabilités, la porosité des frontières », soulignait Jeannine Ella Abatan, chercheuse principale à l’Institut d’Etudes de Sécurité (IESS) de Paris, citée par TV5 monde au lendemain de l’attaque du 22 août 2022.
Lors de son discours du 30 décembre 2021, le Président Faure Essozimna Gnassingbé avait dit savoir que «le terrorisme prend toujours racine là où les liens sociaux sont distendus par la pauvreté et l’absence de perspectives ».
« L’insuffisance d’accès aux infrastructures sociaux économiques, une présence de l’Etat qui n’est pas très affirmée, les conflits fonciers, les conflits liés à la transhumance, les conflits de leadership et les conflits entre les forces de défense et de sécurité et les populations » sont autant de facteurs de vulnérabilité sur lesquels peuvent surfer les groupes extrémistes violents, analyse Michel Douti.
Le 31 décembre 2022, dans son adresse à la nation, le chef d’Etat, Faure Essozimna Gnassingbé a promis au Togolais qu’ « aucune portion » du « territoire ne sera cédée » aux « bandes armées ». « Nous mettrons tout en œuvre pour défendre la patrie agressée. (…) nous aurons raison des forces du mal. Ces forces seront défaites aux portes du Togo », a-t-il promis.
Dans le cadre du programme d’urgence pour le renforcement de la résilience des populations de la région des Savanes, lancé en avril 2022, le gouvernement togolais a engagé, à ce jour 50 milliards de francs CFA. Selon le chef d’Etat, ce soutien a permis de faciliter l’accès à l’eau potable, à l’électricité et de construire des infrastructures sanitaires et éducatives ainsi que des pistes rurales.
En attendant le voir les impacts réels de ces investissements, dans le nord Togo les populations continuent de vivre au quotidien avec la peur au ventre.
Ouestafnews – JMG/fd/ts