« Le jeune passait tranquillement son chemin. Il n’était pas parmi les manifestants. D’ailleurs, les manifestations étaient terminées. Sa seule faute, c’est d’avoir porté un T-shirt rouge. Les miliciens, à bord d’un pick-up 4X4 de marque Toyota, se sont jetés sur lui. Ils avaient des machettes, de longs bâtons, des gourdins cloutés et des pistolets. Ils l’ont violemment tabassé et laissé pour mort. On avait même cru qu’il était mort, puisqu’il n’arrivait plus à bouger », raconte un auditeur sur une radio de la place, témoin de cette scène horrible. Voilà ce que le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, Yark Damehame appelle « groupes d’auto-défense ». Ils se seraient constitués après la marche du 5 octobre dernier, parce que les militants de l’opposition auraient bastonné leurs femmes et enfants, selon le ministre.
S’agissant justement de la manifestation du 5 octobre qu’évoque Yark Damehame, il n’est plus à démontrer que ce sont des jeunes recrutés et préparés par le régime pour semer du désordre dans cette marche. Les manifestations de l’opposition devenant un casse-tête, le pouvoir, avait commencé par chercher des mobiles pour les interdire. Avant les manifestations du 5 octobre, des informations faisaient état de ce que des jeunes s’apprêtaient à les infiltrer et opérer des casses qu’on mettrait sur le dos de l’opposition et ses militants. Obtenant ce qu’ils voulaient, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, Payadowa Boukpessi et son collègue de la Sécurité et de la Protection civile, Yark Damehame se sont empressés d’interdire les manifestations de l’opposition en semaine, en violation de la loi du 16 mai 2011 sur les manifestations publiques pacifiques. C’est dans la foulée que le régime a lâché les miliciens, appuyés par les forces de l’ordre et des militaires, aux trousses des manifestants de l’opposition et des paisibles populations.
Interpellé sur les exactions de ces individus en civil non identifiés, armés de gourdins cloutés, de machettes et de pistolets, qui rentraient dans les maisons, bastonnaient les gens et faisaient des blessés graves, Yark Damehame, visiblement embarrassé, n’a eu d’autres réponses que de laisser entendre que ce sont des individus dont les femmes ont été battues le 5 octobre dernier, qui sont organisés en groupes d’auto-défense dans les quartiers. Une déclaration gravissime venant d’un ministre qui, visiblement, encourage et promeut l’anarchie dans le pays. Curieusement, ces groupes d’auto-défense avec lesquels le régime auquel Yark Damehame appartient n’aurait rien à voir, sont bien équipés. Des groupes d’auto-défense de quartiers qui ont des pick-up 4X4 flambants neufs (et tous les quartiers se seraient entendus pour s’offrir la même marque de véhicule), des pistolets et autres armes à feu, des machettes neuves et autres armes blanches. D’où tirent-ils tous ces moyens ? Des groupes d’auto-défense qui vont dans les autres quartiers, rentrent dans les maisons, bastonnent, tuent et pillent. Au fait, des groupes d’auto-défense ou groupes d’attaque à la solde de qui tous les Togolais savent ? Quel message les autorités togolaises veulent-elles donner au peuple en encourageant de telles forfaitures ?
Tout porte à croire aujourd’hui que l’anarchie est devenue la chose la mieux partagée au sommet de l’Etat. l’ancien Directeur de la Gendarmerie nationale, par ces déclarations, veut peut-être dire aux Togolais qu’il ne faut plus recourir à la justice. Et si tous les Togolais s’organisaient désormais en groupes d’auto-défense, chacun dans son quartier, le Togo serait-il un pays vivable ?
YarkDamehame, devant la presse, au soir du 18 octobre dernier, était embarrassé. On a l’impression que la situation lui échappe depuis quelques jours. Il disait même ne pas être courant de la sortie de ces individus non identifiés qui sèment la terreur dans les quartiers. Apparemment, ces gens seraient sous les ordres d’autres apparatchiks du régime et opèrent sous la protection des «sécurocrates» qui relèvent du ministre de la Défense qui n’est autre que Faure Gnassingbé lui-même. Ce sont d’ailleurs ces gens qui tirent des balles réelles sur les manifestants, faisant des morts et des blessés graves. L’objectif, c’est de décourager la mobilisation en créant la psychose au sein de la population, puisque Faure Gnassingbé continue de dire à tous ceux qui tentent la médiation pour une sortie de crise, qu’il ne se passe rien de grave au Togo, et que c’est une poignée d’individus surexcités qui sèment la pagaille dans le pays. Et pourtant, c’est tout le peuple qu’il a sur le dos et la crise est bien réelle.
Aujourd’hui, la détermination du peuple togolais est sans pareil. Va-t-on continuer ces exactions sur les populations qui sont toujours prêtes à descendre dans la rue, au lieu d’accéder à leurs revendications ? Il est tout de même triste que ce soit un ministre de la République qui se mue en porte-flambeau des lendemains incertains du Togo, en cautionnant ces individus en civil non identifiés, mais lourdement armés. On comprend dès lors ces va-t-en-guerre du régime qui demandent à l’opposition de prendre des armes pour arriver au pouvoir.
Source : L’Alternative No.651 du 24 octobre 2017