La liberté de la presse est-elle en péril au Togo ? C’est la question qui mérite d’être posée depuis le vote de la loi portant nouveau Code pénal au Togo. Faisons un peu l’inventaire des éléments d’appréciation.
1°/ Le nouveau code pénal, en son article 497 stipule : « La publication, la diffusion ou la reproduction par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle trouble la paix publique, ou est susceptible de la troubler, est punie d’une peine d’emprisonnement de six (6) mois à deux (2) ans et d’une amende de cinq cent mille (500.000) francs à deux millions (2.000.000) de francs CFA ou de l’une de ces deux peines ».
Cet article a provoqué une levée de boucliers au sein de la corporation et les organisations professionnelles de la presse, dans leur interprétation alarmiste, estiment qu’il s’agit d’une « repénalisation » et s’apprêtent à monter au créneau pour demander une relecture destinée à supprimer l’article incriminé.
C’est donc le sujet du débat. Mais, en réalité, qu’en est-il en définitive ?
Est-ce que l’article 497 met réellement en péril la liberté de la presse dans notre pays ? Qu’il nous soit permis d’en douter. La raison est la suivante :
L’article 497 du nouveau code pénal reprend l’esprit des articles 85, 86 et 87 du code de la presse et donc ne porte pas à conséquence.
L’article 86 du Code de la presse stipule : Sera puni de trois (3) mois à un (1) an d’emprisonnement et d’une amende de cent mille (100.000) à un million (1.000.000) de francs CFA, quiconque par l’un des moyens énoncés à l’article 85 du présent code, aura, soit appelé la population à enfreindre les lois de la République.
En cas de récidive, le double de la peine maximale peut être appliqué.
Article 87 : Sera puni de trois (3) mois à un (1) an d’emprisonnement et d’une amende de cent mille (100.000) à un million (1.000.000) de francs CFA ou de l’une de ces deux peines quiconque, par l’un des moyens énoncés à l’article 85, aura appelé les forces armées et les forces de l’ordre à se détourner de leurs devoirs envers la patrie ».
Et que dit l’article 85 ?
Article 85 : Quiconque, soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans les réunions ou lieux publics, soit par des placards ou affiches, dessins, gravures, peintures, emblèmes exposés au regard du public, soit par tout autre moyen de communication écrite ou audiovisuelle, aura appelé soit au vol, soit au crime, soit à des destructions volontaires d’édifices, d’habitations, de magasins commerciaux, de digues, de chaussées, de ponts, de voies publiques ou privées, de véhicules et de façon générale, à la destruction de tout objet ou bien mobilier ou immobilier par substances explosives ou d’autres procédés, soit à l’un des crimes ou délits contre la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat, sera puni :
-de trois (03) mois à 01) an d’emprisonnement et d’une amende de cent mille 100.000) à u million (1.000.000) de francs CFA si l’appel a été suivi d’effet ;
-d’un (01) à six (06) mois d’emprisonnement et d’une amende de cent mille (100.000) à cinq cent mille (500.000) de francs CFA si l’appel n’a pas été suivi d’effet.
Comme on le voit, il s’agit de trouble à l’ordre public, en d’autres termes, de la paix publique.
En l’espèce, l’article 497 dit que « la diffusion ou la reproduction de nouvelles fausses faite de mauvaise foi lorsqu’elle trouble la paix publique (entendu ordre public) ou susceptible de la troubler est punie de peine d’emprisonnement n’apporte rien de nouveau.
En clair, cela signifie que si la diffusion de fausses nouvelles ne trouble pas la paix publique, le journaliste ne court aucun risque.
Il faut donc se demander pourquoi le journaliste doit publier de nouvelles fausses pour troubler la paix publique ? Toute la question est là.
Le journaliste n’a pas pour mission de troubler la paix publique. Pourquoi paniquons-nous donc ?
Par ailleurs, nous devons savoir raison garder pour ne pas paraître ridicule.
La dépénalisation n’existe pas au Bénin voisin. De même au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina Faso, il n’existe aucune loi de dépénalisation.
Et pourtant la liberté de la presse existe bel et bien dans ces pays. Nous devons donc éviter de confondre vitesse et précipitation parce qu’un principe universel et sacro-saint du droit d’ailleurs en application dans notre pays fait obligation aux Juges d’appliquer en priorité les lois qui régissent spécialement certaines corporations par rapport aux lois de portée générale comme le code pénal.
Lorsqu’un délit de presse est commis au Togo, le code de la presse prime sur le code pénal. Aucun juge ne peut déroger à cette obligation, à moins qu’il travaille sur ordre.
Et dans ce cas, nous aviserons et nous nous mobiliserons en conséquence et le droit sera de notre côté.
Pour pousser plus loin la notion de la liberté de la presse, nous nous sommes inspirés du livre de Daniel Junqua, journaliste, vice-président de Reporters sans frontières-France qui a fait l’essentiel de sa carrière au Monde et a dirigé le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ). Ce livre est publié sous le titre « La liberté de la presse, un combat toujours actuel. »
Nous en publions un extrait de la page 22 à la page 27. Lisons plutôt pour nous imprégner de la notion de liberté de la presse.
Peut-on tout dire, tout écrire, tout montrer
La liberté de la presse est-elle un droit absolu ? Oui, estiment les Anglo-Saxons. Non, ont répondu les révolutionnaires français de 1789. Le droit international a opté pour cette dernière approche.
Deux conceptions opposées
Peut-on tout dire, tout écrire, tout montrer ? Oui, en d’autre termes, la liberté de la presse a-t-elle des bornes et, si c’est le cas, qui les fixe ? Deux conceptions radicalement opposées s’affrontent à ce propos. Pour les Anglo-Saxons, en Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, le principe de la liberté de la presse ne peut être assorti d’aucune restriction. En France, en revanche, la ligne fixée par les révolutionnaires de 1789 a été constamment réaffirmée : la liberté de la presse ne s’exerce que dans le cadre de limites fixées par la loi pour en réprimer les abus qui pourraient menacer les institutions, la société ou les individus.
Tabloïds et vie privée
Il n’existe pas en France de quotidiens à scandales, alors que les « tabloïds » britanniques comme The Sun tirent au total à quelque 10 millions d’exemplaires. Ils montrent le mépris le plus complet pour le respect de la vie privée des puissants comme des humbles.
L’approche anglo-saxonne privilégie l’individu
Les Britanniques cultivent historiquement une méfiance viscérale du pouvoir. Pragmatiques, ils se défient des constructions abstraites. Ils revendiquent le droit pour les personnes de penser par elles-mêmes. Cela explique leur adhésion au XVIe siècle aux idées de la Réforme, le protestantisme prônant un libre examen individuel des textes saints. Il n’était pas question, en matière politique, de limiter le droit du citoyen à la critique, mais bien plutôt d’insister sur le devoir d’information du pouvoir. Il n’y a toujours pas en Grande-Bretagne de loi spécifique sur la presse. Les premiers législateurs des Etats-Unis, formés au même moule, sont allés plus loin après avoir rejeté le pouvoir colonial de Londres. Le 25 septembre 1789, à New York, le premier Congrès a voté une déclaration des droits (Bill of Rights) incorporée à la Constitution sous forme de dix amendements, dont le premier proclame : « Le Congrès ne fera aucune loi restreignant la liberté de la presse. » Et cette interdiction a été respectée.
Dix ans avant, en Virginie
La Déclaration des droits de l’Etat américain de Virginie a précédé de dix ans celles adoptées à Paris et à New York. Elle proclame en 1779 : « La liberté de la presse est un des grands remparts de la liberté et seuls les gouvernements despotiques la restreignent. »
Des devoirs spéciaux
« L’exercice [de la liberté d’expression] comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales.
Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires au respect des droits ou de la santé ou de la moralité publique. » Article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966).
La conception de la moralité publique n’est bien sûr pas la même en Iran, au Vietnam et en Italie !
En France, une liberté encadrée par la loi
Droit absolu ou pas ? Les constituants français de 1789 se sont posé cette question. Un débat a opposé les défenseurs d’une liberté sans restrictions, parmi lesquels Robespierre, et les partisans d’une liberté limitée, comme Mirabeau et le duc de La Rochefoucauld. Ces derniers l’ont emporté sans difficulté. Pouvait-il en être autrement dans une France façonnée par des siècles de monarchie absolue et de catholicisme, héritière du droit romain et faisant d’abord confiance à l’Etat et à la loi pour assurer le bien public et les libertés individuelles ? Aux termes de l’article 11 de la loi du 26 août 1789, les citoyens « pourront parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
(La liberté de la presse c’est comme le vin : a consommer avec modération)
Le modèle français inspire le droit international
Tous les grands textes de droit international ont repris l’approche française, qu’il s’agisse de la Déclaration universelle des droits de l’homme (articles 19 et 29/2) adoptée par les Nations Unies en décembre 1948 à Paris, de la Convention européenne des droits de l’homme (article 10) de novembre 1950 ou du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 19) de 1966. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont signé les deux premiers et ratifié le troisième.
A l’inverse de la France, suivie sur ce point par les instances internationales, les Anglo-Saxons se sont refusés à adopter des textes limitant la liberté de la presse et sanctionnant ses éventuels abus.
La loi fixe les limites à ne pas franchir
En France comme dans tous les pays démocratiques, à l’exception des États-Unis d’Amérique et de la Grande-Bretagne, c’est la loi qui fixe les limites à ne pas franchir.
Liberté mais responsabilité
Les médias ne peuvent pas dire, écrire ou montrer n’importe quoi au risque de mettre en danger l’ordre public ou la sécurité de la nation. Ils n’ont pas le droit d’agresser les individus, de violer leur vie privée. C’est la loi qui fixe les limites à ne pas franchir sous peine de sanctions. Il n’y a pas de liberté sans responsabilité.
Ne pas mettre en danger la nation…
L’État, en France, ne peut plus agir de façon arbitraire et imposer une censure préalable. Mais la loi lui donne les moyens, en recourant aux tribunaux si nécessaire de se défendre et de défendre ses agents ainsi que de protéger les intérêts essentiels de la nation et l’éthique (la morale) sociale. La révélation de toute information militaire dont la divulgation est de nature à nuire à la défense du pays constitue un crime qui peut entrainer de très lourdes condamnations.
Les autorités peuvent invoquer le « secret défense » pour refuser, si elles l’estiment nécessaire, de répondre à des questions, fussent-elles posées par des magistrats. L’incitation des militaires à la désobéissance, les atteintes au moral de l’armée et au crédit de la nation sont également interdites et condamnables.
Offense
En France, depuis la présidence de M. Giscard d’Estaing (1974-1981), le chef de l’Etat a renoncé en pratique à toute poursuite à l’encontre la presse pour offense à sa personne. La loi de 1881 prévoit pour ce délit une peine d’amende de 45 000 euros.
La provocation aux crimes et délits contre la sûreté de l’Etat, les injures envers les corps constitués (l’Assemblée nationale ou le Sénat, par exemple) ou les personnes publiques, les offenses au chef de l’Etat sont passibles de sanctions. La justice est particulièrement protégée. Tout article de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance peut donner lieu à des poursuites. La presse doit respecter la « présomption d’innocence » qui veut qu’une personne « mise en examen » soit considérée comme innocente tant qu’elle n’a pas été condamnée.
Protéger les jeunes
Le ministère de l’Intérieur peut interdire de proposer, donner ou vendre aux jeunes de moins de 18 ans les journaux dont il estime qu’ils présentent pour eux un danger. Il peut se contenter d’interdire leur exposition. Et toute publicité en leur faveur.
Protéger les personnes
Les personnes physiques ou morales peuvent poursuivre en justice les journaux qui les ont injuriées ou diffamées. La diffamation consistant à divulguer des informations qui, même vraies, sont de nature à porter atteinte à la réputation ou à l’honneur des gens. La loi accorde à toute personne mise en cause dans un journal un « droit de réponse ». Enfin, les personnes ont droit à la protection de leur image.
Défendre l’éthique et la cohésion sociale
Un journal ne peut non plus encourager ses lecteurs à la discrimination à l’encontre de certaines catégories de personnes. S’il le fait, il commet un délit, institué pur une loi du 1er juillet 1972, et il doit en rendre compte devant les juges. Peuvent être poursuivis ceux qui auront incité à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’encontre de personnes en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminées. L’apologie des crimes de guerre est aussi passible de sanctions. Enfin la loi dite Gayssot, du 13 juillet 1990, qui a renforcé le dispositif de prévention et de répression du racisme, a érigé en délit, dans son article 24 bis, la négation des crimes contre l’humanité commis par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
La loi fixe les limites dans lesquelles s’exerce la liberté de la presse pour protéger les intérêts essentiels de la nation, de l’Etat et des personnes privées.
Doit-on tout dire, tout écrire, tout montrer ? Editeurs et journalistes disposent-ils d’une totale liberté à partir du moment où ils respectent strictement la loi ?
Informer, c’est quoi ?
Si la liberté de la presse fait l’objet dans les pays démocratiques d’une protection particulière, c’est parce que l’information constitue l’une des conditions essentielles du fonctionnement démocratique de la société.
Les journaux devraient donc toujours s’adresser à la raison des lecteurs et leur fournir des informations, des analyses, des commentaires sérieux, avec le souci primordial de présenter et d’expliquer l’actualité afin de la rendre compréhensible.
Or, un média est aussi une entreprise commerciale. Pour augmenter les ventes ou l’audience, il est amené à susciter l’attention des lecteurs par des informations sensationnelles, à lui raconter des histoires, cruelles ou émouvantes, à s’adresser à sa sensibilité, à jouer de ses émotions. Et il va parfois trop loin, beaucoup trop loin.
Respecter les personnes
« Lorsqu’elle n’est pas nécessaire à une claire information du lecteur, la publication des noms des personnes impliquées dans de petites infractions sera évitée. » Règles et usages de la presse quotidienne régionale.
Respecter l’homme
Filmer l’interminable agonie d’une enfant coincée sous les décombres d’une maison et que les sauveteurs n’arrivent pas à dégager, publier à la « une » des photos d’hommes abattus par des terroristes, surprendre au téléobjectif des scènes de vie privée de personnalités ou de vedettes, relater avec un luxe de détails des affaires criminelles ou des faits divers sordides, rien de tout cela n’est de nature à contribuer utilement à l’information des citoyens. Ces pratiques transforment les lecteurs, les téléspectateurs, en voyeurs.
Toute information, toute image qui dégrade gratuitement l’homme, qui l’humilie, qui porte atteinte à son humanité, à sa dignité, à son intimité, dégrade aussi ceux qui les publient comme ceux qui s’en repaissent. Fin de citation.
Que fait quotidiennement la presse togolaise ? Avons-nous le souci de protéger les citoyens que nous prenons pour cibles dans notre propension à s’illustrer ? La question est d’actualité. Le débat se poursuit.
N’exagérons donc rien. La liberté de la Presse n’est pas menacée au Togo. Faisons preuve de responsabilité et de professionnalisme et rien ne nous arrivera. Car selon toujours M. Daniel Junqua, « La liberté de la presse c’est comme le vin : A consommer avec modération ».
Au Combat du Peuple, nous avons toujours considéré, eu égard aux expériences vécues, que la liberté de la presse n’est pas et ne saurait être un acquis mais une conquête permanente. Nous devons donc faire en sorte que l’Etat ne soit pas amené à nous retirer par la main gauche ce qu’il nous a difficilement concédé en 2004. Nous devons donc éviter de prêter le flanc. A bon entendeur, salut.
Rodrigue
source : Le combat du peuple