De Jean-Pierre Fabre à Gerry Taama, en passant par Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, à l’approche des législatives – qui doivent se tenir d’ici au début de décembre – la plupart des leaders politiques entrent en campagne, y compris ceux qui avaient boycotté le scrutin de 2018.
Cinq ans après le boycott des précédentes législatives par l’alliance C14, qui regroupait 14 partis d’opposition, celles prévues d’ici à la fin de l’année vont constituer un véritable test pour les partis politiques et leurs leaders. La compétition s’annonce rude et les résultats pourraient être serrés. Depuis le début de l’année, les meetings ont repris à travers le pays et les principaux partis de l’opposition togolaise commencent à battre la campagne, espérant souffler la majorité dans l’hémicycle au parti présidentiel, l’Union pour la République (Unir), qui a obtenu sans surprise la majorité absolue en 2018, avec 59 sièges sur 91, contre 14 à l’opposition et 18 aux indépendants, dont les positions sont acquises au parti au pouvoir.
Mobilisation générale
Pour l’heure, les regards sont tournés vers la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), qui travaille d’arrache-pied pour organiser les législatives d’ici au 8 décembre, au plus tard. Elle s’est aussi attelée à la préparation des élections régionales. Ces dernières, reportées depuis deux ans, ont d’abord été annoncées pour le premier semestre 2023, mais aucune date n’est encore fixée. Certains évoquent un scrutin couplé avec celui des législatives. Pour le moment, la Ceni met les bouchées double afin que le recensement pour les deux scrutins soit organisé et tenu dans les temps, entre 29 avril et le 3 juin 2023.
Sur un air de précampagne, les états-majors des partis se (re)mobilisent. Ceux représentés à l’Assemblée nationale, comme le Nouvel engagement togolais (NET, de Gerry Taama), l’un des rares partis actuellement présents à l’Assemblée (3 sièges), avec le Parti des démocrates panafricains (PDP, 1 siège) et l’Union des forces du changement (UFC, 7 députés), de Gilchrist Olympio – lequel est désormais proche de la majorité présidentielle. Mais aussi les partis dits extra- parlementaires, ex-membres de la coalition C14, comme l’Alliance nationale pour le changement (ANC, de Jean- Pierre Fabre), le Comité d’action pour le renouveau (CAR, de Dodji Apévon), la Convention démocratique des peuples africains (CDPA, de Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson) et l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (Addi, d’Aimé Gogué).
Pendant plus deux ans, le gouvernement a interdit les manifestations publiques d’abord en raison de la pandémie de Covid-19 survenue en mars 2020, puis de la menace terroriste. Les partis ont donc été contraints de tenir leurs réunions en comités restreints. Jusqu’au rassemblement organisé en novembre dernier à Vogan, à une soixantaine de kilomètres à l’est de Lomé, par la Dynamique monseigneur Kpodzro (DMK), alliance formée de sept partis d’opposition et de six organisations de la société civile, qui a soutenu l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo à la présidentielle de février 2020. Cette rencontre a permis à la DMK, dirigée par la secrétaire générale de la CDPA, Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson – et rebaptisée Dynamique pour la majorité du peuple (DMP) en avril dernier, de renouer le contact avec la base.
L’ANC a quant à elle tenu son meeting à Agoè-Nyivé, dans la banlieue nord de Lomé, le 12 février. « Nous sommes en pleine mobilisation pour les prochaines élections. Nous avons déjà invité nos militants à s’inscrire sur les listes électorales pendant la période de recensement, et nous les exhortons à ne pas baisser les bras devant ce que nous pouvons considérer comme un échec. Nous devons aller de l’avant », explique Jean- Pierre Fabre. Sorti fragilisé de la présidentielle de 2020, où il n’a obtenu que 4,68% (contre 35 % en 2015 et 33% en 2010), le président de l’ANC en a fini avec la stratégie de la chaise vide, déplorant que, ces cinq dernières années, il n’y a eu « aucun député pour porter la contradiction » face à la majorité Unir.
Les législatives de 2018 ont donné à l’hémicycle une configuration qui a « calmé » la vie partisane… Ce qui a fait plus de mal que de bien, car le débat politique a régressé, laissant place à la délation et à des débats inutiles sur les réseaux sociaux », souligne Senyéebia Yawo Kakpo, enseignant-chercheur en sciences juridiques et politiques à l’université de Kara. « Une activité partisane intense est un ferment pour la consolidation de la démocratie, ajoute-t-il. Aussi, le retour des principaux partis de l’opposition [à l’Assemblée] pèsera, lors des délibérations législatives, pour la vitalité de la démocratie togolaise. »
S’unir contre l’Unir ou faire cavalier seul
Les questions qui se posent avant chaque scrutin au Togo n’en restent pas moins formulées. D’abord en ce qui concerne la possibilité de fragiliser la position dominante de l’Unir, dont le président, Faure Essozimna Gnassingbé, a remporté la présidentielle de 2020 pour un quatrième mandat, avec un résultat record de 70,78 % des suffrages exprimés (contre 58,77 % en 2015 et 60,9 % en 2010 % ). Ensuite quant à la capacité des partis à nouer des alliances plutôt que de se combattent entre eux.
Selon Richard Tindjo, le vice-président du parti des Démocrates socialistes africains (DSA), l’opposition n’a pourtant pas d’autre choix que de former des alliances pour combattre l’Unir dans certaines circonscriptions électorales, si elle espère « gagner plus de sièges et réussir le pari d’obtenir la majorité » à l’Assemblée nationale. « La révolution électorale ne sera possible aux législatives que si des blocs se forment, assure-t-il. Les échecs aux élections ne viennent pas seulement du régime en place. Nous faisons des erreurs. Car nous pouvons parvenir à l’alternance par les élections. C’est une question de bon sens, d’engagement et de volonté. »
Sûr d’être réélu dans l’Est-Mono – préfecture des Plateaux, qui l’a adopté -, le député Gerry Taama, fondateur et président national du NET, n’est favorable à aucune union et compte bien voir son parti remporter au moins 10 sièges lors des prochaines législatives pour peser davantage dans les débats.
L’UFC, de Gilchrist Olympio, se prépare aussi. Il joue sa survie. Considéré comme chef de file de l’opposition en raison des 7 sièges qu’il a remportés en 2018, le parti reste cependant empêtré dans une guerre de succession et en perte de vitesse au sein de l’opinion, depuis l’accord qu’il a conclu avec l’ex-Rassemblement du peuple togolais (RPT, devenu Unir en 2012), il joue sa survie.
Position radicale
Quelques leaders de partis restent en retrait de l’effervescence pré-électorale. C’est le cas de Nathaniel Olympio, cyber-activiste et président du Parti des Togolais (PT), qui préconise une ouverture du pouvoir à un changement démocratique, plutôt que d’organiser des élections sans enjeu pour l’opposition. Le leader du Parti national panafricain (PNP), Tikpi Atchadam, qui a ébranlé le régime par de gigantesques manifestations en 2017, semble sur la même longueur d’onde. Depuis son exil, il assimile les élections à des « rituels de remise en œuvre de la dictature ». De fait, tous deux appellent le peuple à « arracher sa liberté confisquée depuis des années et achever la lutte ».
Une position radicale qui ne fait pas l’unanimité. L’ex- député Aimé Gogué, président de l’Addi, qui a boycotté les législatives en 2018, pose désormais un regard critique sur cette stratégie qu’il estime contre- productive, parce qu’elle a effacé l’opposition de la vie politique. « Nous devons tirer des leçons des boycotts pour savoir si nous avons évolué ou pas, insiste-t-il. Si nous laissons le parti Unir aller seul aux élections, nous lui laissons la voie libre et il peut faire ce qu’il veut. »