Dites-nous que c’est un fake-news!
Dites-nous que, non, vous ne reproduirez pas les stratagèmes résistibles et hors de saison de ces prolongations constitutionnelles, quelles qu’en seraient les justifications, pour rester encore au pouvoir.
Dites-nous que votre projet, au crépuscule de votre vie, n’est pas de persister à vous maintenir, contre vents et marées, comme c’est le cas ailleurs, à la tête d’un de ces malheureux, captifs, États africains.
Dans un ciel continental dont les couleurs commençaient à s’égayer avec les nombreuses transitions et alternances politiques, forcées ou douces, démocratiques dans certains cas, il y a comme un désordre avec ce coup de tonnerre, brutal et inquiétant, porté par les rumeurs, fondées ou non, sur votre candidature à un autre mandat présidentiel. Celui de trop? Au point que certains se demandent si cela n’annonce pas un rêche ramadan démocratique africain. Lourd de menaces. Une régression risquée sur un terrain glissant. Ce qui serait une grave reculade susceptible d’envoyer les pires signaux concernant un continent n’ayant pas encore fini de se dépêtrer de son image de grand malade encore en convalescence. Ses symptômes proteiformes, faits de fièvres politiques, de tourments économiques et de convulsions sociales continuent de s’offrir à la vue. Si bien que, à l’affût, les adeptes de l’Africa-bashing, ne rêvent que de capter l’acte qui validerait leur vision apocalyptique envers ce continent. Avez-vous, alors, Monsieur le Président, le droit de les conforter dans leur Afropessimisme endurci en prenant une décision dont la conséquence serait de montrer in fine que l’Afrique n’était pas sur une voie de remonter mais de chute dans un coma qui pourrait être final ?
Rien, espérons-le, n’est définitif sur les bruits relatifs à ce qui pourrait s’avérer une bévue politique si cette hypothétique candidature devenait une réalité. Rêvons donc en pensant qu’on en est encore qu’au stade des supputations. Surtout qu’en politique, une semaine est une éternité. Le feu peut s’éteindre assez vite. Vous en avez le loisir. Puisque, de toute évidence, d’ici 2020, c’est un horizon indéfinissable à l’heure qu’il est -qui vous permet de réfréner toutes les ardeurs tournées vers un encore, une nouvelle candidature qui ne ferait qu’exacerber les mécontentements dans un pays où d’autres, légitimement, piaffent d’impatience pour, eux aussi, servir…
Toujours est-il que, sans être un expert des enjeux autour de la politique en Côte d’Ivoire, ni être en mesure de soupeser scientifiquement ces rumeurs montantes autour de ce projet qu’on vous impute, force est de croire qu’aussi bien sur le marché politique que sur celui financier un seul mouvement, fut-il le plus léger, venant d’acteurs importants ou de matières premières majeures, peut chambouler tout un équilibre.
Soyons clairs, avant d’aller plus loin, je dois dire que ma conviction à votre égard est que vous êtes incontestablement l’un des africains que je respecte le plus, pour quelques raisons fortes, notamment votre parcours professionnel et intellectuel. Le premier vous a vu gravir, jusqu’au sommet, les cimes de la banque centrale ouest africaine;. Le second se traduit par des exploits brillantissimes sur le front des études, y compris à la prestigieuse université Wharton où vous avez décroché rien moins qu’un PhD, summum de l’expertise académique américaine. Ne parlons pas, sur un autre aspect de votre parcours professionnel, de votre rôle au sein de la hiérarchie dirigeante au fonds monétaire international (fmi).
Depuis que vous avez pris les rênes de la Côte d’Ivoire, nul ne peut douter que vous lui avez redonné le bol d’air qui lui faisait défaut mais convaincu investisseurs et diplomates étrangers à se tourner derechef vers la Lagune Ébrié. Après en avoir été longtemps frustré, vous avez prouvé vos talents de leader d’un État, même si vous n’avez pas encore résorbé la demande sociale, contenu la pauvreté ni même élevé l’offre d’emploi de manière sensible. Il est évident que sous votre autorité, la Côte d’Ivoire, meurtrie au début de ce siècle par une sanglante guerre civile, sur fond de tensions ethno-religieuse, est décidément “back”. Elle est redevenue la première économie en Afrique de lOuest francophone. Le pays aguiche. Et, en dépit de quelques soubresauts de violences, le sentiment général est qu’il donne plutôt l’air d’être inscrit dans un cycle vertueux, précisément une dynamique de paix, peu importe qu’elle soit fragile à l’heure qu’il est. C’est une évolution en phase avec l’un des plus grands rêves de son premier Président, feu Houphouet-Boigny, apôtre s’il en était d’une Côte d’Ivoire pacifique…
Il y a là de quoi remonter le moral à ceux, nombreux, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, qui se mirent derrière votre combat pour pouvoir être admis dans le jeu public, politique, d’un pays que vous aviez servi sous ce dernier jusqu’à la station primatoriale -mais dont on voulait injustement vous bannir.
Votre victoire à la magistrature suprême, voici plus de huit ans, avait, dans ces conditions, sonné comme la fin d’un déni de justice. Que des confins du monde entier mais d’abord en Afrique, des soutiens divers se furent mobilisés, même vainement, pour éviter la guerre civile, promouvoir une solution diplomatique, et, résoudre à “l’africaine” la question ivoirienne, sur fond d’ivoirité malsaine, et ce, nonobstant la politique de la canonnière déployée par la France de Sarkozy sous les oripeaux détournés de l’Organisation des nations-unites (ONU), témoignait d’une confiance en une Côte d’Ivoire capable de retrouver ses esprits.
C’est qu’alors, au milieu de ses déchirements, une majorité d’ivoiriens, africains et étrangers hors du continent, rêvaient d’un jour nouveau pour la Côte d’Ivoire avec votre avènement en Président, sous les habits d’un apatride réhabilité.
Tous pensaient que cela ne pouvait que se faire sous le sceau de la démocratie, d’une démocratie inclusive, ouverte et pacifiée.
Sans nul doute, le besoin d’une justice transitionnelle pour panser les maux et plaies nés de la guerre civile suffisait à s’imaginer que la cicatrisation prendrait du temps. La réalité l’atteste au quotidien, à ce jour. De nombreux ivoiriens, mécontents, revanchards, vivent encore en exil dans les pays frontaliers ou loin du continent. Laurent Gbagbo, le Président que vous avez défait, fait face aux rigueurs de la justice pénale internationale, à la Haye. Tandis que son épouse, Simone, s’éteint à petit feu, dans une geôle ivoirienne. Leur ethnie, les Bétés, comme d’autres autochtones, Baoulés, Agnis, etc, ne cachent pas leurs ressentiments. On dit même qu’une frange importante des Dioulas et Sénoufos, votre base ethnique, se lamente.
Vos critiques sont prompts à dire que la croissance ne se mange pas et que les infrastructures, socle d’une stratégie Keynésienne, n’ont pas encore apporté l’emploi ou un mieux-être micro-économique dont rêve une population fracassée par des années faites de bas plus que de hauts…
Dans un tel contexte, malgré la fragilité des gains réels, sous votre égide, ce qui est attendu de vous, c’est d’aller à contre-courant des voix, y compris surtout celles de vos proches, qui vous pressent d’ignorer le pacte démocratique, national, en cherchant ad nauseam à vous maintenir au pouvoir.
Après les récents départs du pouvoir des Présidents sud-africain, Zuma, Zimbabween, Mugabe, Libérien, Sierlaf-Johnson, Sierra-Léonais, Koroma, ou du Premier ministre Éthiopien, Desalegn, pour ne citer que ces cas de figure, l’Afrique s’était prise à rêver du surgissement d’une nouvelle aube démocratique.
Les francophones, jusqu’alors marginalisés par ce processus dynamique, priaient même leurs dieux pour que les champions du torpillage constitutionnel, faisant légion dans leur région, s’inscrivent enfin à l’école des bonnes pratiques démocratiques, émergentes ailleurs.
Nul mieux que vous, en raison des injustices subies, par le passé, de votre aura intellectuelle, de votre ‘name-recognition’, votre réputation, était plus qualifié pour déclencher cette réorientation positive que d’autres dirigeants francophones, moins brillants, n’auraient eu d’autre option que de copier.
En faisant dans ce qui risque de s’apparenter à du dilatoire, un clair-obscur, ne craignez vous pas, Président Ouattara, de renforcer la main des anti-démocrates qui guettent, gourmands, l’acte que vous poserez?
Leur espoir fervent est que vous ajoutiez de l’eau aux partisans de la culture…democraticide. Nombre de vos soutiens internes, mus par des considérations subjectives, sont aussi dans la même posture.
Or, à l’arrivée, les perdants sont l’équilibre ethnique et religieux en Côte d’Ivoire , les démocrates africains, les militants d’une Afrique économiquement attractive mais que pourraient déserter ceux qui lui prédisent un avenir brillant : voulez-vous être le déclencheur de ce retour de bâton, ce cercle vicieux, en étant, incidemment, le legitimateur de la théorie de la damnation de notre continent ?
Le grand perdant serait alors vous, un leader de haute facture pour votre potentiel mais qui se serait laissé griser par le pouvoir au point de s’y accrocher au péril de sa notoriété. Certes les forces opportunistes, interlopes, sont alentour, qui peuvent vous y pousser, et elles sont parfois convaincantes tout en ayant hélas tort. Voyez comment elles ont coulé les Mobutu, Wade, Diouf, Comoaore, Mugabe et plombé des Sassou, Macky, Deby, Kabila, Faure, et j’en passe…
Un africain qui vous respecte, vous adjure donc ici de ne pas chercher à aller au delà de votre mandat actuel. Car il faut savoir, comme l’enseigne Léopold Sédar Senghor, quitter une table sans se retourner. You can, Président Ouattara. Et, de grâce, ne nous décevez pas, nul n’étant, au surplus, irremplaçable ! Beaucoup sont partis par la petite porte. D’autres, par la grande: n’avez-vous ps été à la cérémonie de récompense de Sirleaf-Johnson du Prix de bonne gouvernance ? Elle a su écouter la voix de la raison démocratique. La même qui résonne à nos oreilles, en ce moment, j’en suis sûr. Prêtez lui attention. Sauf à vouloir jouer avec votre honneur !
Respects.
Adama Gaye
Journaliste sénégalais,
Auteur de « Demain, la nouvelle Afrique »