Professeur Sey-Sandah Lantam-Ninsao
Séries d’analyses politiques et d’études stratégiques (SOLIDA), février/mars 2003
Tous ceux qui s’opposent ici et là au système du RPT parti-Etat n’ont pas la même perception de la dictature togolaise. Et pourtant, ces différences de perception, loin d’être anodines, produisent des conséquences considérables sur la forme et la dimension de la lutte préconisée par les tenants de telle ou telle vision ainsi que les objectifs que les uns et les autres escomptent atteindre au bout de leur combat respectif. D’une étude réalisée sur les principaux courants d’opinion au sein de l’opposition traditionnelle traduisant la manière dont les gens perçoivent la dictature togolaise, il ressort trois visions dominantes qui influent fortement sur le processus d’élaboration des messages mobilisateurs proposés aux populations dans la lutte pour la démocratisation en cours depuis une décennie. En effet, pour les uns, la dictature togolaise est essentiellement militaire ; d’autres la qualifient de “tribaliste“ ou ethnique tandis que pour d’autres encore elle est purement régionaliste . Il faut bien noter que ces courants de pensée revêtent un caractère “occulte”, en ce sens qu’ils ne sont pas professés ouvertement comme base idéologique d’une politique officielle de telle ou telle formation politique ou association de la société civile. Ils font partie de ces “idées honteuses”, ces puissants non-dits qui constituent des tabous au Togo et rendent le débat politique malaisé.
Nous allons examiner dans les lignes qui suivent chacune de ces perceptions et leurs impacts sur la lutte pour le changement. Nous tâcherons en particulier d’exposer l’idée centrale véhiculée par chaque courant et les arguments avancés comme justification avant de les soumettre à l’épreuve de l’analyse des faits objectifs. Nous mettrons surtout en lumière l’impact négatif propre à chaque courant et ses effets pervers, “déviationnistes”, sur la lutte pour la démocratisation de la vie politique nationale.
Notre objectif à SOLIDA, est de montrer à quel point il urge de dépasser nos perceptions subjectives pour conformer nos jugements à la réalité objective de la situation politique togolaise, permettant de concevoir une lutte politique mieux adaptée au contexte et aux enjeux, à la fois dans sa nature, dans ses objectifs et dans ses stratégies d’action. Notre combat a un grand besoin d’innovations créatrices et de RENOVATION idéologique et opérationnelle pour être crédible et efficace.
La perception militariste du point de vue conceptuel
Personne ne niera que la dictature togolaise est née des trois coups d’Etat militaire intervenus successivement le 13 janvier 1963 et les 13 janvier et 14 avril 1967. Depuis ces évènements à ce jour, l’armée jouera un rôle clef dans la vie politique nationale, en particulier elle va ajouter à ses missions classiques de défense de la nation, de maintien de l’ordre public et d’appui à la justice, un nouveau rôle, celui de “police politique“. Au titre de cette mission, l’armée togolaise se chargera d’encadrer et de défendre le régime de parti unique établi sur l’initiative de son chef. Plus que les coups d’Etat en eux-mêmes et la présence des militaires dans les instances du pouvoir, c’est ce rôle exceptionnel de “police politique” que l’armée jouera fidèlement pour protéger le régime du RPT parti-Etat, qui constitue l’élément militaire le plus évident et le plus déterminant de la dictature togolaise.
Or, la mission de gardienne de l’ordre établi assignée aux forces armées, n’est pas propre à la dictature togolaise, c’est la marque constante de tous les régimes politiques, qu’ils soient libéraux ou dictatoriaux. En effet, aucun pouvoir politique, qu’il soit incarné dans la personne du chef ou dans l’institution étatique, qu’il soit libéral ou autoritaire, ne peut se passer du concours des forces armées chargées, d’abord, d’assurer sa survie et ensuite, de faire obéir à son autorité. Si donc les régimes politiques libéraux soutenus par un large consentement populaire ne peuvent se passer de l’appui de l’institution militaire, à plus forte raison les régimes autoritaires dépourvus de toute légitimité, constamment en bute à la contestation, en ont un besoin encore plus crucial pour survivre et pour s’assurer une obéissance forcée des populations. Nous voyons par là que cette mission indéniable de “police politique” propre à toutes les dictatures ne suffit pas à elle tout seul pour qualifier le système politique togolais institué par le RPT parti-Etat de dictature militaire.
A notre avis une dictature militaire est un régime politique qui fait de l’armée le centre exclusif de la souveraineté et de la légitimité politique et dont, par conséquent, l’idéologie s’inspire des valeurs militaires, de manière que l’institution militaire devient le modèle idéal officiel d’organisation et de fonctionnement de la société. De ce point de vue, l’on relève effectivement des éléments éparses dans le discours officiel des débuts du régime qui attestent l’existence d’une politique de militarisation de la société togolaise ; mais l’analyse du système sur tout son parcours montre que l’expérience a été de très courte durée et n’a produit aucun impact idéologique significatif perceptible à ce jour. Ceci dit, l’emprise de l’armée sur l’espace politique togolais est bien réelle. Mais elle se limite à la mission de “police politique” et de gardienne de la dictature assignée aux forces armées dans le système du RPT parti-Etat. Dans ce système fondé sur la confusion du parti et de l’Etat et fonctionnant sur la base du principe de la primauté du parti sur l’Etat et ses institutions, tous les corps de l’Etat, l’armée comprise, sont au service quasi-exclusif du RPT.
Et pourtant, l’examen des conditions générales de vie et de travail des agents des forces de sécurité montre que l’armée n’est pas mieux traitée que le reste des composantes civiles de la société. Si l’on considère même les risques auxquels les agents sont quotidiennement exposés dans l’accomplissement de leurs missions, on conclurait avec raison que l’armée compte parmi les corps de l’Etat les plus défavorisés par la dictature. Tout comme le reste des corps, l’armée connaît sa “masse populaire” qui a sa part de l’oppression et de la misère collectives. De même elle a sa “minorité de favorisés” composée de quelques éléments de la haute hiérarchie militaire. Celle-ci s’est vite embourgeoisée dans le système de réseau “politico-affairistes” qui caractérise le régime.
En conclusion de cet examen très sommaire, il apparaît clairement qu’en tant que corps, l’armée n’a aucun impact décisif sur l’essence et le fonctionnement de la dictature togolaise ; sous bien des aspects, elle en est même la grande victime.
Application de la perception militariste au processus de démocratisation.
Qu’il y ait donc une forte politisation purement instrumentale de l’armée togolaise et par un effet de retour, un contrôle militaire de l’espace politique, est un fait indéniable. Qu’il y ait également un usage constant de la violence physique par la dictature du RPT pour contenir la contestation populaire est également une réalité journalière du jeu politique au Togo. Mais, en se focalisant sur ces aspects seulement de la dictature, on est forcément amené à confondre abusivement l’armée avec la dictature, alors qu’elle n’est qu’un instrument parmi de nombreux autres instruments tout aussi efficaces dans le maintien et le fonctionnement du système. De plus d’être partielle, cette vision ignore injustement le fait que l’armée subit elle aussi les méfaits de la dictature. Or, c’est une évidence attestée par de nombreux évènements historiques que les forces armées togolaises, tous comme les corps civils, nourrissent profondément une légitime aspiration au changement politique et social dans le pays.
Au plan opérationnel donc, la vision militariste transfère sur l’armée l’hostilité légitime du peuple à l’égard de la dictature. La lutte pour la libéralisation politique devient alors la lutte contre l’armée. Les agents des forces armées sont perçus faussement comme des ennemis de la patrie et du changement. On passe ainsi à la confrontation entre militaires et civils. Dans cette lutte seule la violence est de mise, avec toutes les conséquences dommageables pour la cohésion sociale et l’unité nationale que cela peut impliquer dans notre contexte politique.
Tirer de sa fidélité à l’égard de l’autorité dictatoriale la conclusion que l’armée en tant que corps, est opposée au changement, ne repose sur aucune base objective. Du reste tous les corps de l’Etat ont montré jusqu’ici la même docilité et la même fidélité dans l’obéissance et le service de la dictature.
En réalité, l’armée ne change de position qu’à la faveur d’une modification significative du rapport de légitimité et du rapport des forces entre les tenants de l’ordre établi et ceux qui luttent pour le changement. L’expérience constante enseigne que l’armée pèse généralement peu sur les facteurs qui concourent à cette modification critique des rapports de légitimité et des forces en faveur du mouvement pour le changement ; elle constate la réalité, en prend acte et tranche tout simplement lorsque les circonstances en viennent à exiger son intervention. Le cas togolais ne peut pas faire l’exception à la règle sans dommage pour l’avenir.
Du reste, la série des coups d’Etat qui ont conduit à l’actuel régime confirme bien cette vérité. En nous limitant aux seuls facteurs strictement internes de ces interventions militaires, l’on relèvera que l’armée togolaise avait constaté une certaine situation créée par les jeux politiques dont elle était simple témoin au fil des jours. Et lorsque fut venu le moment critique, elle a pris conscience, non seulement de ses responsabilités civiques commandées par sa mission d’arbitre, mais surtout du pouvoir de décision de ses moyens d’action ; et au vu de la réalité concrète sur le terrain, elle a pris le parti des contestataires et a tranché en toute connaissance de cause en leur faveur. Elle a pu le faire à l’époque sans danger pour elle-même et pour le pays, parce que tout simplement les rapports de légitimité et des forces le permettaient. C’est ce que nous apprenons des messages officiels successifs adressés à la Nation par les mutins eux-mêmes et des récits des chroniqueurs de l’époque. Nous ne portons aucun jugement sur le choix politique opéré en ces temps par l’armée, nous le constatons tout simplement et nous en tirons leçon.
Ceci dit, nous pensons à SOLIDA que la fidélité de nos forces armées envers la dictature d’aujourd’hui est le gage le plus sûr de sa loyauté à l’égard de la République et de la démocratie de demain. Qui a bien servi l’injustice qui ne l’épargne pas, ne servira-t-il pas mieux, à plus forte raison, la liberté et la justice dont il tirera grand profit pour lui-même et pour sa famille ? Bien sûr que si ! A moins de penser injustement que nos compatriotes et concitoyens militaires ne sont pas des êtres humains doués de raison, mais des bêtes brutes insensibles à leurs propres souffrances et à celles du peuple tout entier, ce qui serait une grave injure.
La vision militariste est partielle et donc partiale ; elle nous détourne du cœur et de la nervure de la dictature ; elle conduit à une lutte sectaire totalement inefficace ; elle engage à privilégier le recours à la violence dans un rapport de forces inégal ; analysée sous toutes ses coutures elle se révèle nocive et nuisible à un très haut degré au combat patriotique qui a besoin de l’engagement solidaire de tous les citoyens progressistes, qu’ils soient civils ou militaires.
La perception ‘tribaliste’ : approche conceptuelle
La deuxième perception que nous relevons retient comme essentiel l’élément tribal ou ethnique dans la dictature togolaise. Les tenants de cette perception, tout aussi erronée que la première, prétendent que la dictature togolaise a été conçue, organisée et dirigée, pour son seul profit, par l’ethnie Kabyè à laquelle appartient le Chef de l’Etat. L’on va même jusqu’à qualifier cette ethnie d’”ethnie présidentielle”, à laquelle l’on prête collectivement des intentions de domination hégémonique sur le reste des ethnies composant la République togolaise.
Cette vision déformée de la réalité ne résiste pas à l’examen objectif des faits. Les arguments souvent avancés par les défenseurs de ce point de vue intègrent dans leurs arguments trois éléments donnés comme preuve : la concentration du pouvoir entre les mains du Chef de l’Etat, un Kabyè ; la grande prépondérance des soldats Kabyè dans l’armée togolaise ; la main mise des “barons” Kabyè sur les grands centres stratégiques de pouvoir dans le pays. Examinons ces éléments.
Le Chef de l’Etat est un Kabyè, donc le régime est Kabyè
Personne ne niera la concentration excessive des pouvoirs, tous les pouvoirs, entre les mains du Chef de l’Etat, encore moins ses origines Kabyè. Ceci étant, nous ne voyons aucun lien de cause à effet ni aucune loi politique ou sociologique par lesquels un régime dominé par un membre d’une ethnie devient automatiquement le régime de cette communauté humaine ! Les régimes se caractérisent essentiellement par les idéologies politiques dont ils s’inspirent pour se justifier, pour élaborer leur projet de société respectif, institutionnaliser le pouvoir d’Etat, organiser l’économie etc.
Or, à notre connaissance, il n’existe pas une idéologie politique élaborée et appliquée délibérément par l’ethnie Kabyè pour asseoir sa domination politique au Togo comme ce fut le cas, par exemple, de l’apartheid en Afrique du Sud. Il n’existe même pas véritablement un “establishment politique Kabyè” possédant un plan volontariste cohérent d’orientation générale des choix politiques fondamentaux conçus pour favoriser l’hégémonie politique, économique et sociale de l’ethnie Kabyè ou même simplement pour défendre, sur le moyen et le long terme, des “intérêts particuliers” à l’ethnie Kabyè dans son ensemble. Il y a deux raisons toutes simples à cela :
1° – La personnalisation de l’autorité politique et la concentration excessive des pouvoirs entre les mains du Chef de l’Etat et du noyau baronnial multi-ethnique du régime qui caractérisent la dictature togolaise va justement à l’encontre d’une telle vision des choses.
2° – La deuxième raison tient à la structure et aux mécanismes du fonctionnement informel propre au système de parti-Etat togolais basé essentiellement sur une espèce de féodalité traditionnelle africaine. Dans ce système de “baronnage” particulier, les notables du régime cooptent leurs collaborateurs, du sommet à la base, en recourant davantage à d’autres critères plus significatifs qu’au seul critère ethnique.
En réalité, les faits quotidiens montrent que les Kabyè en tant que communauté ne pèsent guère plus lourd que les autres ethnies togolaises dans les choix stratégiques et dans la pratique quotidienne de la politique du RPT parti-Etat. Les Kabyè dans leur ensemble, ne sont pas mieux traités que les autres citoyens au seul motif que le Chef de l’Etat est leur frère de tribu. Ceci dit, que des barons Kabyè du système du RPT parti-Etat aient souvent tenté de s’abriter sous l’ombre de la solidarité ethnique, avec le Chef comme référent, pour faire face à la récurrente rivalité des oligarques du régime ou pour se donner des airs de liberté est une autre réalité ; qu’ils aient tiré et continuent de tirer profit de la dictature oligarchique, est également un fait indéniable. Mais là aussi, une étude objective montrera que ces profiteurs Kabyè ne dépassent ni en nombre, ni en profit, ni en impunité leurs collègues des autres ethnies. Confondre la minorité des barons Kabyè et leurs “réseaux de solidarité ethnique et clientélistes” avec le système dictatorial du RPT parti-Etat dans son ensemble pour éclipser ou même absoudre les barons des autres ethnies, n’est pas seulement une vision politique erronée, mais constitue en soi une injustice. Tous les barons issus de toutes les tribus du pays ont créé leurs propres “réseaux locaux de solidarité ethnique” à des fin de clientélisme politique qui participent au maintien et au fonctionnement du régime et à ses actions oppressives. Ces réseaux tissés à l’échelle nationale constituent la colonne vertébrale et la nervure vivifiante de la dictature togolaise.
La prépondérance des Kabyè dans l’armée suffit-elle à attester le caractère tribal de la dictature togolaise ?
Cette prépondérance est une autre réalité indéniable. Certains l’évaluent à près de 80% des effectifs militaires, tous corps confondus. Nous avons déjà admis et démontré le rôle de police politique et de gardienne de l’ordre établi que la dictature fait jouer aux forces de sécurité. Il ne fait non plus aucun doute que la solidarité ethnique constitue un facteur de fidélité non négligeable de l’armée à l’égard du régime incarné par le chef de l’Etat. Mais un fait historique tout aussi indéniable est que la “Kabyèisation” de l’armée togolaise avait commencé déjà à l’époque coloniale et s’est poursuivie sous les régimes successifs du Togo indépendant. Le premier président, Sylvanus Olympio, ne l’a pas remise en cause, pas plus que le président Nicolas Grünitzky ou son vice-président Méatchi. Sous leurs régimes cette prépondérance prévalait déjà, sans que personne n’ait songé un seul instant à qualifier ces régimes de Kabyè et pour cause. La simple raison est qu’une armée ne se qualifie pas par la composition de ses effectifs, mais par son statut juridique et sa mission sociale. De même, à plus forte raison, il est absurde de qualifier un régime politique à partir du critère d’effectifs de l’armée sur laquelle il s’appuie. En outre, c’est également un fait historique bien établi que la junte militaire qui a perpétré les trois coups d’Etat successifs d’où est issu le système politique du RPR parti-Etat, n’était pas composée uniquement des éléments Kabyè. La quasi-totalité de la hiérarchie militaire à tous les échelons, à quelques rares réticences près, s’était impliquée dans les coups d’Etat et dans le processus d’instauration et de consolidation de la dictature. Enfin, l’analyse des données statistiques sur la contestation politique au sein de cette même armée montrera la place tout aussi prépondérante qu’occupent des éléments Kabyè. C’est la lecture politique qu’il convient de faire, à titre d’exemple, des résultats électoraux de la dernière présidentielle qui a vu les forces armées voter massivement pour le changement. Dans le même registre, il convient de rappeler que les forces armées togolaises avaient pris une part très remarquable aux travaux de la conférence nationale à laquelle elles ont apporté une contribution appréciable donnant la preuve de leurs aspirations au changement. S’arrêter donc à cet aspect physique des effectifs marqué par la prédominance des Kabyè, tout comme le fait de se focaliser sur le rôle de l’armée dans la défense de la dictature, pose incorrectement les problèmes de la dictature et par conséquent celui de la démocratisation politique du pays. Car, nous l’avons déjà dit, ce n’est pas une armée dictatoriale qui instaure une dictature, mais c’est une dictature qui se dote d’une armée de répression pour sa protection. De même, ce n’est pas une armée républicaine qui fonde la République, mais c’est la République, en possession de tous ses pouvoirs, qui se dote d’une armée républicaine pour protéger ses valeurs et ses lois, pour appuyer ses institutions et sa justice. Ce n’est pas non plus une armée démocratique qui institue un Etat démocratique, mais c’est un Etat démocratique qui lève et organise selon ses besoins et ses principes libéraux une armée organisée et fonctionnant démocratiquement pour garantir les libertés publiques et individuelles des citoyens, assurer le respect des droits de la personne humaine, notamment les droits politiques et civiques et enfin appuyer l’Etat de droit. En tout état de cause, l’armée n’est pas républicaine ni démocratique par la composition physique de ses effectifs, mais par la philosophie politique de l’Etat dont elle est servante, d’une part et, par la mission qui lui est assignée dans la pratique gouvernementale quotidienne, d’autre part.
En tout état de cause, l’armée togolaise, composés des citoyens de la République à part entière, en dépit de la prépondérance des éléments Kabyè, constitue un facteur déterminant du processus de démocratisation de la vie politique nationale. Elle même en a un grand besoin, tout comme tous les corps de l’Etat et toutes les composantes civiles de la nation. Les citoyens militaires partagent la même oppression, les mêmes misères matérielles et morales, les mêmes privations de liberté et des droits. Leurs enfants sont privées pareillement du minimum de vie décente, des soins médicaux, de l’éducation, de l’affection parentale, du travail, de la sécurité etc. que toute la jeune togolaise. Comme toute la jeunesse togolaise, ils n’ont d’avenir. Vu sous cet angle, l’on se rend compte avec une compassion patriotique que la part des Kabyè à cette misère collective est la plus élevée. La prépondérance des Kabyè dans l’armée, n’est donc pas l’obstacle majeur au processus de démocratisation de la vie politique togolaise, mais plutôt la vision que les acteurs politiques ont de l’armée et de son rôle dans la nouvelle société projetée ainsi que dans la lutte qui y conduira.
Les Kabyè occupent tous les principaux centres de pouvoirs, donc le régime est Kabyè !
Certes, l’observation de la réalité confirme cette assertion, mais aucun fait ne s’explique par lui-même. De plus, un fait ne peut caractériser un phénomène qu’en remplissant certaines conditions, parmi lesquelles son impact, sa fréquence ou sa constance vérifiables au moins dans le temps et dans l’espace.
Or, dans le cas de la dictature togolaise, le contrôle des grands centres de pouvoirs par des “barons technocrates” Kabyè est tout récent. Le phénomène correspond à la phase du déclin du système et ne remonte guère plus loin que ces dix dernières années de crise politique ayant entraîné des défections massives dans les rangs des barons politiques et technocrates du régime. En fait le phénomène traduit tout simplement un “réflexe sécuritaire” suscité par l’assimilation abusive des Kabyè à la dictature et les persécutions “revanchardes” substitutives injustifiées dont ils ont été victimes au début de la crise. Ces événements ont renforcé un sentiment de solidarité ethnique et suscité un réveil politique identitaire circonstanciel au sein d’une communauté qui se sent menacée. Ainsi donc par un réflexe identitaire de survie collective, l’élite Kabyè , civile et militaire, s’est repliée sur elle-même en s’organisant autour du Chef, sans ligne politique ni même le moindre programme de moyen et long terme. De plus l’analyse du phénomène révèle de profondes divergences et des oppositions internes entre une majorité écrasante des partisans hostiles au système de parti-Etat et une minorité conservatrice “traumatisée”. Ces schismes internes ont sans doute conduit au ” repli clanique et familial” du centre décisionnel de la dictature ordonné sur Pya, village natal du chef de l’Etat, et la famille de ce dernier. Mais là aussi le mythe l’emporte largement sur la réalité. Il y a davantage d’opposants à la dictature originaire de Pya et des proches de la famille du Chef de l’Etat que dans le reste de la communauté Kabyè, si l’on apprécie le phénomène en termes de ratio démographique et d’exposition aux risques.
Plus intéressant encore, la “Cour royale” que d’aucuns appellent le “clan Gnassingbé”, est moins homogène politiquement qu’il y paraît à première vue. Là aussi le débat oppose les libéraux favorables au changement et une minorité de radicaux décidés à maintenir le statu quo. Ici une démarche de bon sens s’oppose à un réflexe d’honneur clanique et familiale propre au “communautarisme traditionnel” africain bien commun de nous tous ! Il ne faut pas confondre un baroud d’honneur sans lendemain avec une ligne politique raisonnée portée sur le long terme. Ceci dit, sur une durée de près de trente six (36) ans de dictature, la présence des barons Kabyè dans le cercle de décision du pouvoir a été plutôt minoritaire tandis que celle de certains groupes ethniques a manifestement dominé la situation à l’ombre du Président Fondateur pendant une trentaine d’années. Et pourtant personne n’a songé pendant ce temps à qualifier le régime de Guin ou de Bassar ou d’Ewé ou de Moba, par exemple. La raison est simple : aucune ethnie togolaise n’a formellement adhéré à la dictature ni mandaté d’aucune manière les barons du RPT issus de son sein à la représenter dans le cercle du pouvoir dictatorial qui opprime, exploite et spolie tous les citoyens indifféremment de leur origine ethnique, régionale ou sociale. De même et par voie de conséquence, aucune ethnie, prise en bloc, ne se sent et ne peut se sentir personnellement responsable des actes de la dictature dont elle-même est victime et personne ne peut non plus en aucun cas les lui imputer sans commettre une injustice dommageable à la lutte patriotique que nous menons ensemble pour instaurer un régime de liberté, de justice et de progrès pour tous. La victoire dans la paix, dans la cohésion nationale et dans la convivialité républicaine est à ce prix d’acceptation et de respect mutuels.
Une perception erronée au plan opérationnel
En plus d’être erronée sur le plan analytique, cette deuxième perception de la dictature togolaise conduit, au plan opérationnel, sur une fausse route en ce sens qu’elle détourne la lutte pour le changement de son véritable but. Le combat contre la dictature dégénère alors en un combat contre les Kabyè, qui se trouvent injustement exclus à l’avance du bénéfice de la liberté, de la République, de la Démocratie et de la protection de la Loi. Les idéologies politiques n’ont en soi aucune dimension ethnique ; elles sont le produit de l’esprit auquel l’on y adhère individuellement ; elles deviennent dominantes après s’être imposée à la conscience du plus grand nombre dont elles guident la pensée et les actes du vécu quotidien. Dans l’expérience togolaise actuelle, rien ne permet de ranger, avec une superficialité déconcertante qui frise l’orgueil, d’un côté des ethnies républicaines, démocrates et éprises de justice et de l’autre des ethnies antirépublicaines, fascistes et réfractaires à la justice, pour les opposer dans la lutte contre la dictature. C’est là une grave et dangereuse déviance de l’espérance collective.
La perception régionaliste : approche conceptuelle
La perception régionaliste est similaire à la perception ethnique. Tout comme cette dernière, elle prétend que la dictature togolaise est conçue, organisée et dirigée par les gens du Nord contre les gens du Sud. Les tenants de cette vision sont si aveuglés par leur parti pris identitaire qu’ils ne voient même pas l’arrière plan d’auto-accusation de leur point de vue. En effet, soutenir que la politique d’équilibre régional prônée par la dictature, plus démagogique d’ailleurs que réelle, est dirigé contre le Sud, revient à s’opposer à l’idée même de combler l’écart de développement séparant les deux parties du pays. Cela revient à affirmer le principe de “développement séparé”, une sorte d’apartheid à la togolaise, contraires aux principes républicains de l’unicité de l’Etat, de solidarité nationale et de justice. Pire encore, en acceptant comme un fait accompli une fois pour tout le déséquilibre établi en faveur du Sud par des années d’exploitation coloniale discriminatoire, auquel aucun gouvernement national du Togo indépendant ne devrait plus toucher, revient à affirmer la prééminence des populations du Sud sur celles du Nord. Aucun républicain, ni aucun démocrate ne peut accepter une telle injustice.
Faut-il rappeler, heureusement, que la politique d’équilibre régional en faveur des régions de l’intérieur du pays en général et du Nord en particulier, n’a pas été initiée par le régime RPT parti-Etat comme on l’a prétendu faussement ; elle a été bel et bien initiée et conduite par le président Sylvanus Olympio, en théorie et dans les faits, ce que révèlent ses discours et les actes bien connus de son gouvernement. Elle touchait tous les domaines, (éducation, santé, économie, administration publique etc.) et nombreuses sont des réalisations qui en témoignent. Rendons, justice à qui justice est due, c’est cela professer la vérité ! Du reste, l’état l’arriération totale dans lequel le régime a laissé l’ensemble des régions de l’intérieur en général et du Nord plus particulièrement contredit cette façon de considérer le système du RPTparti-Etat. La dictature du RPT parti-Etat ne privilégie aucune ethnie ni aucune région particulière du pays. Elle a réduit toutes les régions à la pauvreté et à la misère par ses actes de mauvaise gouvernance intégrale. Toutes sont mal administrées, privées de liberté et de sécurité au sens large ainsi que des droits fondamentaux légalement reconnus aux citoyens par nos lois.
La perception régionaliste : application à la lutte pour le changement
Cette conception transforme la lutte pour le changement en un combat de libération du Sud contre le Nord, susceptible de dégénérer en une guerre civile sans motifs réels. L’expérience de la transition a vite montré à suffisance l’impertinence de cette conception micro nationaliste pernicieuse. Elle est souvent développée par des politiciens démagogues et opportunistes pour servir de monnaie d’échange dans des marchandages politiciennes et égoïstes des élites sans vision politique idéologiquement fondée. Le RPT passera maître dans ce genre de “mensonge et de manipulation politique” en veillant à la soi-disant “représentation géographique” des différentes entités territoriales et ethniques dans ses gouvernements au détriment de la compétence technique et de la pertinence politique. Que de fois n’avons-nous pas assisté à ces marches de soutien ou vu ces délégations de notables locaux allant exprimer au RPT et à son Président Fondateur la reconnaissance des populations de telle ou telle préfecture pour avoir nommé l’un des “leurs” Directeur Général ou ministre ou promu à un grade d’officier supérieur un soldat issu du coin.
Dans une République où les gouvernants sont choisis par les suffrages populaires pour gérer les affaires publiques dans l’intérêt collectif et individuel des citoyens, il n’est pas besoin qu’une ethnie ou un groupe social particulier soit forcément représentés au gouvernement pour que ce dernier prenne en compte, de façon impartiale, leurs aspirations légitimes au progrès et au bien être. Le RPT parti-Etat en a donné la contre preuve. La participation des baronnies locales au pouvoir dictatorial et à ses processus de prise de décision n’a épargné aucune ethnie, ni aucune région, ni aucun groupe social de l’oppression, de l’exploitation et de la spoliation systématique.
Ceci dit, un authentique régime républicain et démocratique atteint plus aisément ses objectifs de bonne gouvernance par une plus large représentation verticale et horizontale des citoyens et des intérêts composés de la Nation à travers les processus électoraux libres, transparents, réguliers et respectueux des suffrages populaires. C’est l’objectif commun à toutes nos ethnies et régions. C’est le but ultime que poursuit notre peuple dans sa lutte contre la dictature : se donner une gouvernance démocratique, depuis le village jusqu’au sommet de l’Etat.
A quelles sources probables se nourrissent ces courants identitaires avec leurs luttes sectaires antirépublicaines et antidémocratiques ? A la source de nos diversités ou à celle du “déni politique” de nos gouvernants ?
Dès que l’on se penche sur ces courants de pensée pour rechercher objectivement leurs origines possibles, les premières idées qui se présentent à l’esprit sont la composition “multi-ethnique” de notre peuple et le “décalage temporel” du processus de colonisation du Togo qui sépare la côte des régions de l’intérieur du pays dans les domaines de la modernisation. Ce sont là des faits objectifs qui caractérisent notre pays. En soi ces réalités faites de diversités humaines, culturelles, économiques etc. ne constituent pas des tares, mais plutôt une richesse formidable. Que ces entités complémentaires s’affirment pour mieux exprimer leur identité respective et imprimer leurs riches apports dans l’édification d’une Nation conviviale, apparaît comme un signe de vitalité du désire de vivre et de prospérer ensemble. Il n’y a donc pas de problème à ces niveaux. Le problème apparaît lorsque ces entités et leurs intérêts légitimes ne sont pas reconnus et pris en compte dans la vision politique pour être intégrées dans la construction nationale par les gouvernants. Habituellement les gouvernants tentent de s’amender d’un tel “déni politique” en s’abritant dernière le principe abstrait et démagogique d’unité nationale qui gomme d’un trait de plume les diversités ethniques, culturelles, religieuses, sociales, idéologiques et géographiques. Au Togo le “déni politique” dont sont victimes nos diverses ethnies et régions a été opéré au travers de la fameuse idéologie du “creuset national”. L’idée centrale du “creuset national” était que chaque entité est invitée à mettre au second plan ses intérêts particuliers et à les subordonner à l’intérêt supérieur de la Nation. A cet effet, toutes les entités devaient abandonner leurs “préjugés identitaires tribaux et régionaux” pour adopter des sentiments et des réflexes patriotiques au service d’une culture politique nationaliste. Belle perspective !
A la vérité, ces préjugés préexistaient à la dictature qui promettait justement de les éradiquer par des applications strictes de la doctrine du “creuset national”. C’est dans ce but que fut institué officiellement le système politique du parti unique qui a vite dégénéré en parti-Etat. Les clivages ethniques et régionaux, en particulier le clivage Nord –Sud faisaient donc déjà partie du débat politique nationale depuis l’époque coloniale et s’est poursuivi et amplifié pendant les périodes sombres des débuts de l’indépendance nationale. L’institution d’un Exécutif bicéphale sous la IIème République avec Nicolas Grünitzky comme Président de la République représentant le Sud et Antoine Méatchi Vice-Président de la République représentant le Nord traduisait cette réalité.
Du reste, l’étude rétrospective des partis politiques de l’époque, en particulier les structures du pouvoir de décision au sommet, révèle nettement un arrière plan idéologique fortement teinté des “préoccupations identitaires”. Au sein des partis et de la société civile, s’étaient formés des “réseaux de solidarité ethnique et régionale” regroupant les élites d’une même ethnie ou région. Des rivalités entre ces réseaux clientélistes vont alimenter les luttes de factions au sein du système de gouvernement du pays ainsi que le débat contestataire contre les pouvoirs en place tout le long de l’histoire politique nationale.
Le Bilan politique paradoxal du Régime dictatorial du RPT parti-Etat
L’application de la doctrine du “creuset national” à l’espace politique a juste réussi à enfermer nos diversités tribales et régionales ainsi que les intérêts particuliers légitimes qui s’y rattachent dans les carcans privatifs de liberté et des droits du système dictatorial du parti-Etat. Il en est sortie tout naturellement, non pas une Nation unie en toutes ses diverses forces vives comme promis, mais une oligarchie usurpatrice sans identité, sans lois, ni valeurs morales, ni destinée politique. Semblable à elle-même, à tous égards, elle s’est révélée totalement étrangère à la Nation vis à vis de laquelle un fossé sociologique, économique et politique s’est creusé au fil des ans. Quant à la Nation, elle s’est retrouvée plus divisée qu’auparavant par toutes sortes de clivages fortement exacerbés par des pratiques manipulaires occultes. En effet, les idéologues et les artisans du système de parti-Etat vont s’activer, non pas à éradiquer les facteurs générateurs de ces clivages mais plutôt à réactiver les préjugés identitaires tribaux et régionaux qui en résultent pour se les approprier à des fins d’un contrôle “politique” opportuniste à l’échelle nationale. Ils vont pervertir, développer et exploiter cyniquement les frustrations des populations contre le système qui les exclue de la République. Les différents barons du régime entourés de leurs réseaux clientélistes vont jouer faussement les représentants et défenseurs des intérêts de leurs ethnies ou régions d’origine.
C’est ainsi que leur promotion personnelle à des postes de responsabilité est toujours présentée à l’opinion publique comme le signe de l’intérêt particulier que le Régime porte à leur communauté ethnique ou régionale d’origine. A l’inverse, leur disgrâce, tout aussi personnelle, est perçue comme une défiance de l’autorité suprême à l’égard des mêmes collectivités qui s’empressent de se désolidariser d’avec le “traître” et de réitérer son soutien au Régime pour ne pas subir les conséquences dommageables du naufrage politique de “leur” notable. Pire encore, les luttes de factions pour la conquête et la sauvegarde des privilèges et intérêts personnels des barons se déguisent en lutte pour la défense des intérêts collectifs locaux. Le pouvoir suprême s’en sert bien pour neutraliser les velléités contestataires des “réseaux baronniaux”. Le pouvoir suprême s’en servira comme un instrument de division et de contrôle politique.
La multitude impressionnante des amicales de ressortissants des villages, des cantons, des préfectures voire des régions au sein des “diasporas intérieures”, traduisent ces replis identitaires déviants effectués en réaction à l’oppression et au mal vivre collectif. Ces espaces substitutifs de la République bornent nos horizons et segmentent nos visions politiques, aussi bien en ce qui concerne la dictature qu’en ce qui concerne la lutte pour la libération politique. Le débat politique pour ou contre le système dictatorial se déroule essentiellement dans ces cercles bornés de solidarité identitaires. C’est incontestablement à ces sources troubles que se nourrissent les courants politiques identitaires avec leurs visions réductrices aussi bien de la dictature que de la démocratie. Les relations occultes entre les ces “réseaux de solidarité ethnico-régionaux” du Système RPT et les leaders d’opinion dans les cercles d’opposions sont des canaux de transmission de ces idéologies réductrices de la réalité politique togolaise.
Le centre de décision et de commandement effectif de la quasi-totalité des partis de l’opposition traditionnelle et de bon nombre des organisations de la société civile impliquée dans le débat politique, (à l’exception peut-être de quelques formations, notamment les organisations religieuses), se caractérise par un fort ancrage ethno-régional. Dans la mesure quasi-générale où le processus décisionnel tend à marginaliser fortement la base de ces organisations, les éléments extérieurs au “noyau ethno-régional”, qui sont généralement minoritaires, pèsent très peu sur l’élaboration de l’opinion dominante et les choix stratégiques de l’organisation. Partout transparaissent à l’arrière-fond, plus ou moins ouvertement, des préoccupations identitaires.
On retrouve donc à l’intérieur de ces formations et dans les relations qu’elles entretiennent entre elles, la même pratique des “réseaux de solidarité ethno-régionale” en cours dans le système du RPT parti-Etat. En l’absence d’une idéologie politique et sociale qui transcende les clivages ethniques et régionaux, seule la personne du leader sert généralement d’élément de référence à l’engagement et à l’attachement des militants, du sommet à la base. Les rivalités des leaders justifiées uniquement par leurs ambitions politiques personnelles, bien légitimes, s’étendent à leurs clientèles et deviennent des conflits politiques entre formations politiques que la référence au statut commun de partis d’opposition luttant contre un même adversaire pour la cause commune de la Démocratie ne suffit pas à aplanir ni atténuer.
Le RPT qui connaît très bien les mécanismes de régulation de tels réseaux, s’en sert très efficacement pour entretenir et accentuer les rivalités et les luttes de factions à l’intérieur de l’opposition, d’une part et, les conflits identitaires “déviationnistes” interethniques et interrégionaux, notamment le clivage Nord-Sud, d’autre part. A l’idée selon laquelle la dictature est Kabyè ou nordiste s’oppose celle selon laquelle la République et la Démocratie préparent le lit aux autres ethnies à l’exclusion des Kabyè ou plus particulièrement aux populations du Sud au détriment de celles du Nord. Ainsi au Togo la dictature tout comme la République et la Démocratie s’”ethnicisent” et se régionalisent ! Une vision simpliste des choses certes, mais malheureusement réelle ! Le Togo se réduit à la dimension de chacune de ses composantes ethniques ou régionales.
Les visions militaristes, ‘tribaliste’ et régionaliste sont réductrices de la réalité politique togolaise. Aucune d’elles ne rend compte de l’ensemble complexe du système du RPT parti-Etat. Elles confondent abusivement et tendancieusement la dictature à l’armée, à l’ethnie Kabyè et à la région Nord du Togo. Dès lors, la notion même de “changement” prend des significations particulière selon les acteurs de la scène politique et sociale nationale. La lutte pour la République, la citoyenneté, la liberté, la démocratie et l’Etat de droit devient un combat politique identitaire à caractère tribal ou régional et anti-militaire, mené par les civils contre les militaires ou les autres ethnies togolaises contre les Kabyè ou encore par les populations du Sud contre celles du Nord. A l’inverse, la même lutte perçue comme une menace par les leaders d’opinion au sein de l’armée, de l’ethnie Kabyè ou des populations du Nord. Ce fut incontestablement ces visions erronées de la dictature et, par conséquent, de la lutte pour le changement de régime, qui ont fait dégénérer le processus de libéralisation politique au début des années 90. On se souvient plus particulièrement des persécutions dont furent victimes les populations du Nord résidant au Sud, en particulier les Kabyè. Des centaines de personnes innocentes ont trouvé la mort ou ont perdu leurs biens gagnés honnêtement à la sueur de leurs fronts ! Des couples mixtes subirent des humiliations ou furent brisés dans la douleur, entraînant la dislocation des familles entières. Des citoyens respectables qui ont contribué à la lutte et salué l’avènement d’une ère de liberté, de justice et de convivialité républicaine ont subi des humiliations publiques en tous genres. Des militaires ont été justement traités en bloc comme des ennemies du changement. Un fait politique majeur a marqué de tout son poids d’hypothèque ces évènements regrettables : en effet, à notre connaissance, aucun leader de l’opposition “démocratique” en vue aujourd’hui, n’avait élevé la moindre voix pour condamner publiquement ces actes visiblement antirépublicains et antidémocratiques qui constituaient pourtant des violations manifestes des droits de la personnes humaine et du citoyen. Ce silence complice de la part des personnes qui luttaient contre la dictature traduit, implicitement certes, mais parfaitement, ces visions erronées des choses qui consiste à voir dans le système du RPT parti-Etat, un régime instauré par les militaires ou les Kabyè ou encore les gens du Nord pour opprimer et exploiter leurs concitoyens du Sud.
Quelles leçons pouvons-nous tirer des lignes qui précèdent ?
les perceptions militariste, tribaliste et régionaliste de la dictature togolaises sont partielles et forcément partiales. Car, la dictature togolaise est un système global qui implique dans ses structures comme dans ses mécanismes de fonctionnement, militaires et civils issus de toutes les ethnies et régions du pays.
elles contiennent en germes des facteurs de division et d’exclusion injustifiables. Elles sont donc sources de conflits inter-région et inter-ethniques qui peuvent menacer la cohésion sociale et l’unité nationale.
au plan opérationnel elles travestissent les ressentiments populaires contre la dictature en réflexes identitaires et en haines ethniques dangereux. Le combat patriotique pour la République et la démocratie se transforme en conflit inter-ethnique ou inter-régional. Elles constituent donc la principale source des divisions et des luttes intestines au sein des forces en lutte pour le changement dont s’alimentent les ambitions personnelles et les rivalités des leaders.
ces visions étroites constituent un sérieux obstacle au processus d’émergence d’une convergence politique et sociale à l’échelle nationale, élaborée sur la base des aspirations populaires aux valeurs de progrès largement partagées. Partant, elles ne permettent pas l’élaboration d’une idéologie politique cohérente ni la conception d’un projet de société répondant aux attentes réelles du pays et des populations.
elles constituent l’obstacle majeur à la perception des vrais enjeux de notre lutte contre la dictature et partant elles limitent considérablement nos capacités de mobilisation des forces progressistes populaires à l’échelle nationale plus que la répression du pouvoir.
elles constituent la principale cause de la faiblesse de l’opposition partisane et de la société civile togolaises ; elles expliquent largement nos échecs répétés qui font la force apparente de la dictature ; cette dernière a su les entretenir, les amplifier et les exploiter à son profit.
Dans la perspective de la prochaine présidentielle 2003 que SOLIDA et les Rénovateurs considèrent comme un véritable référendum pour la restauration constitutionnelle, il apparaît donc urgent d’abandonner ces perceptions qui ont donné la preuve de leurs erreurs conceptuelles et celle de leurs limites opérationnelles, pour explorer d’autres approches, notamment la “vision nationaliste et patriotique“. Ce sera le thème de notre prochaine réflexion.
Que Dieu bénisse le Togo et tous ses enfants !