« Rien n’est dangereux qu’une idée, quand on n’a qu’une idée » écrivait ALAIN dans Propos sur l’éducation pour insister sur l’abîme dans laquelle nous confine notre pauvreté spirituelle, notre enfermement, la vision sectaire des choses de la vie, l’absence plurielle de notre approche. Tout phénomène est supposé complexe. Pour l’aborder, il importe de diversifier les points de vue parce que le progrès ne s’obtient jamais dans une perception unilinéaire. De même, dans la gestion des affaires de la cité, l’ordre des urgences et la méthode ne sont pas institués mais ils sont instituants, c’est-à-dire qu’ils répondent à une capacité d’imagination, à l’ingéniosité qui produit finesse et efficacité des solutions dans une originalité particulière pour répondre aux exigences de chaque moment, aux demandes sociales, aux priorités collectives.
Si l’on veut s’occuper des hommes, il faut être large d’esprit et généreux à l’effort. L’action politique n’est pas un voyage sur un bateau de plaisance. Elle est un enracinement dans un temps de réflexion permanent, un engagement renouvelé à défendre la vie d’un peuple. Elle exige des résultats qui satisfont les attentes des populations. Faute de cela, une rupture de confiance entre la base et le sommet se déclare pour consumer dans la durée le respect de l’autorité. Le phénomène de rejet national du pouvoir de Faure se situe dans l’absence d’une dialectique descendante pour apprécier la vie végétative des familles et l’appréhension légitime de nos concitoyens sur l’avenir, la peur du lendemain en un mot, l’angoisse existentielle des Togolais.
Le pouvoir de Faure est une instance non intégrée au peuple ; elle est plutôt superposée à lui et l’étouffe dans ses aspirations propres. Une question précise : jusqu’à quand cette descente aux enfers va-t-elle durer ? La volonté populaire est en déphasage total avec les balbutiements du pouvoir, avec ses infirmités graves en pensée et en action. L’esprit nouveau, prôné par le chef de l’Etat n’a mieux fait que d’accoucher un chapelet de prédateurs aux voix étincelantes qui vit sur le dos du peuple dans des Mouvements de Soutien à Faure. Les privilèges et avantages dont on les couvre agrandissent un cercle des profiteurs et des parvenus qui opèrent à visage découvert dans la criminalité économique, dans l’impunité pour obtenir des primes et promotions par leurs activités «républicaines». L « ’esprit nouveau », disons- nous, a une cruelle vision des innovations d’intérêt général. Or, pour réinventer le Togo et susciter l’onction populaire, il nous faut suivre la réflexion de TOCQUEVILLE dans De la démocratie en Amérique où il écrit : « Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau ». Aucune révolution ne se fait contre un système qui nourrit son pouvoir. C’est bien le système qu’il faut changer en vue d’une mutation. Quand cela est impossible, c’est le pouvoir qui doit être changé.
Dans un enfermement à une seule option, rester au pouvoir quoi qu’il advienne, cette seule idée est un handicap sérieux à l’action en ce que l’obsession n’est en rien libératrice de pensées d’énergies fécondes pour enrichir le développement communautaire. L’enjeu du pouvoir écrase le sujet de l’ambition et le rend fou des mille manœuvres en toute violation du droit, de la morale, de l’équité, de toutes les civilités et l’humanité. Un obsédé est un déséquilibré, disent les psychologues.
Dans ce désert de l’action et des résultats, un « Togo en chantier » serait une trouvaille qui méprise l’intelligence de nos concitoyens. Ce fourre-tout est une fourberie qui prend une petite agitation du pouvoir pour la satisfaction des besoins d’un pays ruiné.
Pour garder le pouvoir, la seule idée d’une réhabilitation de quelques tronçons suffit-elle à convaincre les Togolais d’une prise en compte de leurs préoccupations ?
Qu’y a-t-il à espérer d’un pouvoir peu inventif et d’une mollesse à résoudre les problèmes vitaux d’un peuple ?
1) Faure, un Prince plus vieux que son père
L’âge fait moins un homme que sa mentalité. L’esprit d’un vieil homme qui demeure dans une dynamique de rectifications successives pour répondre à l’évolution du monde, est la marque d’une jeunesse incontestable. Toutefois, quand un jeune tombe au fond des âges par ses pratiques, sa vision du monde, son sens machiavélique de l’Etat dans un dépérissement de l’acte républicain avec le viol de la Constitution, il y a lieu de penser qu’il s’exclut de la modernité, de son époque, du développement humain et du progrès de l’humanité.
Pourtant une équipe d’ « animation commerciale » nous a vanté le parchemin du jeune Prince et son bain culturel dans les grands pays civilisés et de vieilles démocraties comme par exemple la France et les Etats-Unis d’Amérique. Cette équipe-là a vite fait de confondre l’esprit de justice et d’humanité avec le parchemin. Aucun diplôme au monde n’est assujetti à la noblesse du cœur. De même, la qualité supposée d’un esprit ne lui confère d’office le sens de responsabilité. Un diplôme, c’est trop peu pour faire un homme. Une vie dans un milieu de qualité n’impose pas nécessairement à un homme ni la décence ni une grande âme. Un diplôme que l’homme est parfaitement incapable d’honorer, est un ennemi mortel. Aucun milieu ne transforme un homme si le choix de son adoption se crispe, se durcit et se révèle impossible. Un parchemin n’est qu’une seule et petite vitrine dans notre monde complexe et multipolaire. On peut passer vingt, trente ans en Occident, être lettré ou diplômé et demeurer parfaitement inculte et hors de toutes catégories d’intellectuels. Un diplôme, c’est bien peu de chose si on s’abstient d’y greffer une densité culturelle, un renouvellement perpétuel des connaissances et une aptitude à penser juste par soi-même dans une originalité des réponses face au défi de chaque moment pour être au faîte de l’évolution du monde. Ces précisions succintes nous permettent de comprendre qu’il y a des gens qui ont trompé le peuple togolais sur les réelles capacités de Faure dans un parallélisme avec son père et son cursus.
Aujourd’hui, chaque Togolais peut situer le père et le fils dans le temps par rapport à l’évolution politique des périodes pour tirer en toute responsabilité les conclusions qui s’imposent. La marche du monde moderne porte dans ses pas la politique en tant qu’une défense absolue des libertés. La répression sauvage, les traitements inhumains et dégradants, la logique du soupçon et des représailles, la paranoïa qui transforme toutes les réclamations citoyennes en tentative de putsch ou de déstabilisation sont d’un archaïsme notoire.
Faure est malheureusement un homme dépassé dans sa conception surannée des institutions du pays. L’évolution de notre siècle a des exigences éthiques du pouvoir. Personne au Togo, personne dans ce monde ne saurait affirmer que le jeune Prince a teinture d’éthique du pouvoir. Ce gros déficit mortel supprime dans la gestion une notion capitale dans la gestion des hommes : la norme. C’est elle qui édifie l’exemplarité pour impulser un mouvement d’ensemble qui tire les principaux acteurs politiques et l’administration vers des objectifs communs. Sans la norme, il n’y a ni respect de l’humain-patron ni respect des institutions. C’est ainsi que notre pays est dans la nuit noire et il ne peut s’autoriser à y demeurer pour longtemps.
2) Les égarements historiques et les fautes stratégiques de Faure
Ce Prince confond applaudissement et approbation au même titre que son père. Le MSF (Mouvement de Soutien à Faure) joue exactement le rôle qui était dévolu aux groupes d’animation dont EYADEMA était le père nourricier. Le trésor public répondait à l’entretien des faux honneurs au détriment de la création d’emploi.
Le cri des groupes de soutien aux chants et danses sur des calculettes est loin d’étouffer le soupir de détresse du peuple. L’écran de protection du pouvoir ne réside pas dans ces groupes de flemmards. Mobutu fut le patron incontesté en Afrique, mais il fut honteusement chassé du pouvoir. Le pouvoir qui opte pour l’agitation se trompe sur son enracinement dans le peuple. Il confond piteusement agitation et réalisation. Il prend des vétilles en action pour des prouesses. L’autosatisfaction est un narcissisme qui pourrit le pouvoir. La petitesse de l’esprit tue l’effort. Elle est l’expression d’un sale orgueil dont nous parlait déjà Henri-Frédéric AMIEL dans son Journal intime en ces termes : «Il y a deux types d’orgueil : l’un où l’on s’approuve soi-même ; l’autre où l’on ne peut s’accepter…Celui-ci est probablement le plus raffiné». Pour conduire une destinée collective, on ne peut pas se contenter du peu. Il faut être dans le présent, dans le combat, dans l’efficacité des résultats pour construire l’avenir. Rester sur ses petits pas, c’est être un passéiste.
Par ailleurs, l’héritage du système de renseignement au Togo qui fait voir à Faure partout des peletons d’ennemis le détourne des vrais enjeux du pays. Le zèle affiché de l’ANR (Agence Nationale de Renseignement) dessert dangereusement le Prince parce que dans ses travers, l’Agence mobilise insidieusement la population togolaise toute entière contre le Chef de l’Etat qui en est le premier responsable. Cette Agence fait de Faure un héritier d’un despotisme que le Togo, dans ses petits coins et recoins n’a jamais accepté. La notion de norme est au cœur de l’action de l’ANR. Cette Agence frappe son style de bêtise qui peint Faure comme un vrai tyran.
La force brute, l’impunité, l’injustice, le vol, la tricherie sont un poison, un venin mortel de la stratégie de conservation de tout pouvoir. L’inaction, les tâtonnements, l’absence de solutions innovantes face aux détresses d’un peuple sont des crimes qui font périr dans les cœurs des populations l’autorité. La conscience du mal subi atrocement met le peuple en situation de révolte. Le soupir de la libération à l’unisson monte.
3) De l’exaspération à la libération.
La seule et unique idée de garder le pouvoir ne fait pas de Faure un serviteur du peuple togolais. Cette unique ambition le détourne des vraies questions d’intérêt national. Si l’énergie dépensée dans cette optique personnelle devrait être canalisée pour nourrir les stratégies de développement, le Togo aurait réalisé un bond spectaculaire. Comment peut-on faire la politique sans répondre aux demandes sociales, aux besoins primaires et vitaux des populations ? Au nom d’une ivresse de pouvoir, est-il possible de laisser ses propres concitoyens dans les affres de la détresse et de la mort ?
La conscience nationale se convainc d’un exploit du régime actuel : avec responsabilité, il a poussé les populations en situation de survie à un cas généralisé d’indigence. Nul ne peut conduire un peuple s’il n’est pas d’abord humain. L’humanité impose à l’esprit qui la porte l’exigence absolument nécessaire de justice au sens kantien du terme. Où un chef peut-il régner en exerçant assidûment l’étonnant pouvoir de l’absence ?
Le comble de l’argument d’une justification de l’action du gouvernement réside dans la répétition malsaine de perroquet ; « le Togo en chantier». Ce réduit de raisonnement, cette seule idée sans couleur, est une vraie aridité de l’esprit en ce qu’elle consiste en une fourberie qui donne une onction aux affres de la faim d’un peuple à bout de souffle. Ceux qui prennent le prétexte d’une réhabilitation hasardeuse de quelques tronçons, principalement de la capitale pour donner vie à ce pouvoir ignorent que les larmes quotidiennes de nos concitoyens sont très salées dans la précarité et le mal de vivre. Ils n’ont aucune répugnance pour ce qui tue la vie et l’appétit de vivre. C’est à eux que s’adresse Paul VALERY dans son œuvre Mélange : «Celui qui n’a pas de répugnance nous répugne.» Au nom de quel principe Faure peut-il s’évertuer à faire des routes pour conduire massivement, précocement et plus rapidement les dépouilles efflanquées, desséchées des Togolais au cimetière ?
La dégradation de la qualité de la vie dans notre pays est intolérable. L’inaction du pouvoir allume une colère noire dans les cœurs, qui enflamme tout le Togo. Des murmures aux récriminations populaires, l’amère expérience du peuple sous Faure se traduit de plus en plus en des réclamations ouvertes, claires et assourdissantes d’un départ du pouvoir d’un Prince tout à fait absent et inconnu du peuple aux heures troublantes de son existence. Sept années de calvaire collectif sont suffisamment édifiantes pour prendre une nouvelle option radicale, mais indispensable à la survie de toute une nation. Dix années seraient perdues en deux mandats avec ses horreurs. Plus personne n’est disposé à poursuivre l’aventure ambiguë avec un chef réductible à une idée, à une seule idée, le pouvoir, rien que le pouvoir. Réné DUMONT avait-il raison d’écrire dans L’Afrique noire est mal partie : «quand un nègre détient une parcelle de responsabilité, il devient dangereux pour ses semblables» ?
Didier Amah DOSSAVI
L’Alternative N°91 du 09 août 2011
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