DISCOURS DU PROFESSEUR AIME TCHABOURE GOGUE
Les perspectives d’avenir de la lutte pour la démocratie au Togo
Introduction
A la suite de la chute du Mur de Berlin et la déclaration de la conférence de la Baule en 1989 beaucoup de pays africains se sont engagés dans le processus démocratique. Alors que le Ghana, le Mali et le Benin notamment, sont cités comme exemples relativement réussis dans la consolidation de la démocratie, d’autres pays s’illustrent par les difficultés éprouvées par la population à réaliser un rêve aujourd’hui universel : vivre libre et être gouverné par des gens que le peuple aura choisis librement ! Le Togo, fait malheureusement partie de ces pays. Si l’expérience de la lutte contre le colonialisme suggère que l’aspiration du peuple togolais à la liberté est très vivace, la question qui mérite d’être posée est alors : quelles sont « les perspectives de la lutte pour la démocratie au Togo ».
Après le bilan de la lutte en première partie, la deuxième partie sera consacrée a l’analyse de l’avenir de la lutte ce qui nous permettra de conclure sur ce que l’opposition et plus particulièrement le Front Républicain pour l’Alternance et le Changement (FRAC) attend de la diaspora. Le présent exposé devra être considéré comme une brève introduction à un débat que nous souhaiterons sincère tourné surtout vers l’avenir.
1.1. Bilan de la lutte pour la démocratie
1.1 La lutte pour la démocratie et ses acquis
Les manifestations de contestations qui ont suivi le soulèvement du 5 octobre 1990 ont été d’une ampleur considérable et les Togolais ont fait preuve d’un courage inouïe jusque-là insoupçonné. Les mains nues ou armées uniquement de pierres, des jeunes ont affrontés des militaires et des agents des forces de sécurité armées jusqu’aux dents.
Les acquis en moins d’un an de lutte étaient loin d’être négligeables. Cependant, vingt ans après, on doit reconnaitre un fait : au lieu d‘une consolidation, le processus démocratique a connu un recul et nombreux sont ceux qui se demandent si la situation socio politique et économique que vivent les Togolais aujourd’hui n’est pas pire que celle qui prévalait dans le pays avant le début des années 90. Ils sont de plus en plus nombreux ces Togolais qui n’arrivent même pas à avoir un repas décent par jour alors que c’est le chômage qui attend les jeunes qui atteignent l’âge de travailler, qu’il soit diplômés ou non. Des jeunes titulaires de diplômes universitaires (BAC + 4 voire +5) sont contraints de devenir des zemidjans ! La recrudescence des violations des droits de l’homme et les conditions économiques du pays ont poussé beaucoup de compatriotes à l’exil : avec 10,3% du PIB reçus de ses émigrants, le Togo fait partie des 10 premiers pays destinataires de fonds des émigrants en 2010.
1.2 Les causes des échecs de la lutte pour la démocratie
L’échec de la lutte pour la démocratie s’explique par plusieurs facteurs : violence brutale du régime ; utilisation partisane des forces armées et de sécurité ; corruption ; cupidité des hommes politiques ; incapacité de l’élite politique d’opposition à s’unir ; « complicité » de la « communauté internationale » ; etc ; mauvaise appréciation des forces en présence. Dans le cas de l’apartheid de l’Afrique du Sud ou du Deep South des Etats Unis sous l’époque de Martin Luther King, les adversaires étaient clairement bien identifies : ceci n’est pas le cas des adversaires à la démocratie au Togo qui constituent une « nébuleuse ». Nous avions limité ces adversaires à EYADEMA et à son clan élargi aux gens du Nord. Des gens sont qualifiés d’anti démocrate sur la base exclusive de leur origine régionale ou ethnique.
1.2. Perspectives de la lutte pour la démocratie
2.1 La situation socio-politique actuelle au Togo
En raison de l’expérience, les Togolais qui croient que l’alternance politique sera obtenue de manière pacifique et à travers les urnes sont rares. Ils sont rares ces Togolais qui croient au dialogue organisé, comme un rite, après chaque consultation électorale. Nous vivons également dans un pays où des responsables politiques incitent à la division.
En transit à Philadelphie, j’ai remarqué que tous les américains qui attendaient le vol US Air en direction pour Minneapolis ont applaudi lorsque l’hôtesse a invité les militaires à se présenter à l’embarquement ! Un peuple en symbiose avec son armée. Au Togo nous ne nous retrouvons pas dans notre armée.
Les Togolais connaissent plutôt une généralisation de la pauvreté et de la misère la plus abjecte. Les jeunes pour échapper au chômage n’ont d’autre recours que l’émigration qui concerne 5,4% de la population, 18,7% des diplômés du supérieur et près de 20% des infirmiers formés dans le pays.
Face à un régime autocratique, prédateur et sans foi ni loi qui règne sur le pays depuis bientôt cinquante ans, les organisations de la société civile qui devraient actuellement être à la pointe de la lutte contre les violations des droits de la personne, la corruption, l’impunité et la détérioration des conditions de vie des populations sont absentes et beaucoup d’entre elles sont manipulées par le pouvoir en place. Elles ont abandonné la première place de la lutte aux partis politiques d’opposition qui, en dehors du FRAC, sont caractérisés par leur incapacité à réunir leurs forces et ressources pour une plate-forme commune.
Face à un régime cleptomane qui puise des deux mains dans les ressources de l’Etat, les organisations de l’opposition sont sans ressources.
Face à un régime sans scrupules qui peut compter sur une armée et des forces de sécurité unies et acquises à sa cause et des militants fanatiques prêts à tout pour conserver le pouvoir, la population désabusée par des années de lutte sans succès.
Face à un régime toléré par la communauté internationale et par les gouvernants des pays de la sous-région, l’opposition politique a un carnet d’adresses limitée et n’est soutenue ouvertement par aucun pouvoir extérieur.
Enfin, en dépit des actes parfois des plus ignobles posés par des membres du régime en place, nous devons considérer comme une donnée le fait qu’étant frère et sœur d’un même pays, nous devons nous considérer explicitement comme tel et travailler pour une émancipation inclusive de l’ensemble du peuple togolais.
Dans un tel environnement il y a de quoi dire qu’il n’y a pas de perspectives pour la lutte pour la démocratie au Togo.
2.2 Les perspectives de la lutte pour la démocratie au Togo
En raison des difficultés de la lutte, nous pouvons nous spécialiser dans la critique sans nous demander ce que nous, individuellement ou collectivement, avions fait ou pouvons faire pour la lutte pour la démocratie. En fait, en paraphrasant ce que le Président Kennedy avait dit, le temps est venu de nous demander non pas ce que l’opposition a fait pour la lutte mais ce que nous personnellement avions fait pour la lutte.
Le découragement, la résignation et l’abandon de la lutte ne peut être et ne doit pas être une option pour la population togolaise. En fait David n’avait-il pas vaincu Goliath ? En moba, nous disons que c’est en essayant que la souris peut tuer l’éléphant ! Paradoxalement, nous pouvons donc réussir et ce pour car maintenant nous appréhendons mieux nos « adversaires », les risques, les dangers et les sacrifices à consentir.
La non-violence a été l’option retenue par l’opposition démocratique depuis au moins 1990. La non-violence a été le mode d’action adopté par les nationalistes pour obtenir l’indépendance du pays. La non-violence a également donné des résultats avant la Conférence Nationale Souveraine. Il n’y a pas de raisons qu’elle ne donne pas de résultats aujourd’hui. C’est pour cette raison que nous privilégions la non-violence à travers une mobilisation générale de la population pour obtenir le changement au Togo.
Ceux qui connaissent la Tunisie de Ben Ali, doivent reconnaitre que la force de frappe et de répression du régime tunisien était beaucoup plus importante et terrible que celle du régime au pouvoir au Togo. Mais on nous rétorquera que les expériences des échecs passés peuvent rendre plus difficile une mobilisation générale au Togo, mobilisation qui a permis aux Tunisien de réussir dans leur combat contre le régime de Ben Ali. Cependant, l’ampleur et la généralisation des manifestions de décembre 2011 ont montré que de tels mouvements soient encore possibles au Togo. En outre, ce sont les gens de notre génération ou des plus de 40 ans qui ont été le plus marqué par les expériences malheureuses passées et non les plus jeunes. Or ces jeunes sont actuellement majoritaires dans le pays et c’est à eux qu’appartient sans aucun doute l’avenir de ce pays. C’est avec les jeunes que la Tunisie a réussi son printemps, c’est avec les jeunes que le Togo réussira son changement.
Cependant, pour réussir, des conditions préalables doivent être réalisées.
D’abord il faudra faire prendre conscience à la population de son état, de ses conditions de vie, de ses capacités et de ses droits. Ensuite, il faut l’organiser, il faut mieux la former aux actions de non-violence. Nous devons vaincre la peur et franchir ce pont de la peur qui est la fondation de toute dictature. Nous devons également mieux exposer notre cause et mieux faire connaitre notre cause à la communauté internationale.
Faut-il l’union de l’opposition ? Oui. Pendant vingt ans je me suis consacré personnellement à cette mission. Nous avions mis l’ambition de postuler à la magistrature suprême du pays entre parenthèses conscient que la lutte pour la démocratie était prioritaire. Cela nous a coûté cher ! Malheureusement plusieurs leaders politiques ne partageaient pas cette vision. Suite aux résultats obtenus, nous dirons maintenant que nous sommes prêts à poursuivre dans cette nouvelle lutte avec ceux qui partagent cette option : le FRAC. Nous voulons ainsi être très clair : tout en étant convaincu que l’union devrait nous faciliter le travail, nous ne sommes plus prêts à trainer pour convaincre des collègues de la nécessité de l’union. A l’ADDI, nous sommes maintenant convaincues que l’on ne réveille pas celui qui ne dort pas.
Faut-il une implication de la Diaspora. Ici encore nous répondons sans hésitation oui. Dans les luttes contre les dictatures comme celle sous laquelle vit le peuple togolais, l’implication de toutes les composantes de la société, qu’elles vivent sur le territoire national ou à l’extérieur du pays est nécessaire.
Beaucoup d’entre vous se sont activement impliqués dans la lutte pour la démocratie par le passé. Dans beaucoup de cas, ils ont été déçus soit par les résultats obtenus, soit par la manière dont les ressources ont été gérées. Ceci est le fait qu’ils ont soutenu ou envoyé les ressources à des gens qui malheureusement ne sont pas véritablement engagés pour la promotion de la démocratie au Togo. C’est le cœur serre que je me souviens que certains d’entre vous ont des difficultés financières à la suite de leur implication dans la lutte. Beaucoup de jeunes qui sont actuellement à l’extérieur ont risqué leur vie pour la lutte. Certains d’entre vous sont présents parmi nous aujourd’hui simplement parce qu’ils ont pu sortir voire fuir du Togo. Certains d’entre vous ont perdu des parents et des amis parce que ces derniers ont eu la noble idée de se battre pour des valeurs universellement admises de nos jours. Alors la question que je me pose est de savoir si nous avons le droit de nous laisser découragés par ces mauvaises et douloureuses expériences ? Non.
Nous sommes convaincus que l’avenir de tout peuple se construit par lui-même. Et la diaspora fait partie de ce peuple togolais.
La Diaspora tirera profit de la victoire de la démocratie au Togo. Cette lutte gagnée vous permettra de ne pas baisser la tête lorsque dans un groupe on vous qualifie de Togolais. Cette lutte gagnée vous permettra de parler comme un ressortissant d’un pays normal. Cette lutte gagnée, vous permettra de lire dans des journaux et magazines de votre pays d’accueil des articles relatifs de votre pays d’origine qui ne vous font plus honte. La victoire des forces démocratiques vous donnera l’occasion de ne plus avoir peur de répondre aux coups de téléphones qui viendront des membres de votre famille demeurés au Togo parce que vous serez convaincus que ce ne sera plus pour vous demander de l’argent ; les changements qui suivront l’instauration et la consolidation de la démocratie leur auront permis de trouver ce de quoi vivre décemment. La victoire des forces démocratiques vous permettra de rentrer paisiblement au Togo et de jouir de vos vacances sans avoir peur de dépasser vos prévisions budgétaires parce que des parents ne viendront pas vous soumettre des problèmes financiers auxquels vous ne pouvez certainement pas répondre en totalité ?
Conclusion : Contribution attendue de la diaspora
Alors que faire ?
Nous devons ensemble construire un Togo uni respectant les droits de l’homme et les valeurs universelles de démocratie ou des leaders tenant des langages tribalistes ou régionalistes ne devraient pas être des références et ou les gouvernants sont librement choisis par le peuple à travers des élections libres, transparentes et démocratiques. C’est pour cette raison que la diaspora ne devrait pas disperser ses ressources et énergies dans son appui aux leaders et organisations politiques de l’opposition.
C’est en choisissant de soutenir des personnes sans scrupules que la lutte semble continuer sans fin. Il aurait été plus facile pour vous que l’opposition soit unie. J’ai pu constater à quel point la diaspora est également divisée. Cela ne nous aide pas. Je vous invite à faire plus d’efforts pour vous rapprocher. Mais à l’impossible, nul n’est tenu. Ceux de la diaspora qui sont engagés dans cette noble lutte et qui partage la vision du FRAC, devraient s’organiser pour apporter leur appui à la lutte. Jésus a réussi son œuvre avec 12 personnes, les 12 apôtres. Et nous avions la chance d’être plus de douze ! Ceux qui partagent cette option se joindront à nous après, Inch Allah.
Pour nous, dire qu’il faut attendre l’union de l’opposition pour agir est une incitation à ne pas agir. C’est pour cette raison que nous espérons que beaucoup d’entre vous apporterons leur appui aux organisations du FRAC et à l’ADDI.
Nous souhaitons un appui politique et diplomatique auprès des responsables politiques de vos pays d’accueil. A cet effet, il est important que la diaspora puisse pénétrer la classe politique et de décision de leurs pays d’accueil et faire entendre la voie de l’opposition togolaise qui est celle de la population. Elle doit être en mesure de prendre des rendez-vous pour les responsables de l’opposition avec les élus et les hommes de décision de leur pays d’accueil. Il est indispensable qu’aux Etats Unis par exemple la diaspora puisse avoir des contacts avec des élus comme les gouverneurs, les membres du Congrès et qu’elle soit en mesure d’obtenir des rendez-vous auprès de ces élus pour les leaders de l’opposition.
Mais plus important, la diaspora doit contribuer de manière significative aux efforts financiers de la lutte. Qu’elle soit violente/armée ou non-violente, ce type de lutte a besoin de ressources : il faut sensibiliser/former et organiser la population ; il faut soigner les blessés des manifestations ; soutenir les jeunes impliqués dans la lutte ; payer les déplacements ; communiquer ; etc. Cela exige des ressources hors de portée de l’opposition au Togo. En plus des contributions que vous pouvez nous apporter, vous pourrez approcher vos nouveaux concitoyens qui peuvent dans certains cas être également prêts à nous aider.
Nous pouvons convaincre la population a notre cause en réalisant de microprojet à leur profit : écoles, centre de sante et matériels pédagogiques et de sante; médicaments et forage/puits ; etc. Nous savons que beaucoup d’entre vous le font : pourquoi ne pas associer des responsables du FRAC à la mise en place de ces projets dont vous aurez toujours la paternité ? Approcher les ONG de vos pays d’accueil pour multiplier ce type d’actions.
Pour nous, la lutte est et demeurera une cause commune et nous du terrain avons besoin de vous redonner confiance. Pour rétablir cette confiance, nous devons concevoir ensemble un système de suivi des actions qui seront menées sur le terrain. Des propositions de votre part seront toujours les bienvenues. Nous devons également mettre en place des procédures relativement légères pour nous permettre de faire le suivi de la gestion des ressources que vous mettrez à la disposition de la lutte.
Vue l’urgence des actions à mener, nous proposons à ceux qui partagent cette vision de se retrouver et de mettre en place le plus rapidement possible un comité de coordination.
Au nom de mes collègues du FRAC (Abbi Tchessa, Jean Pierre Fabre et Koffi Yamgnane) je vous remercie pour m’avoir invité et pour avoir consacré votre temps à m’écouter surtout que certains parmi vous ont parcouru des centaines de km pour cela. Je vous remercie pour le chaleureux accueil que vous m’aviez réservé.
Nous vous avions certainement déçus par le passé. Nous vous prions de nous en excuser. Je vous garantis que nous du FRAC, nous poursuivrons la lutte quel qu’en soit le prix à payer et les sacrifices à consentir. Mais sachiez que nous comptons sur votre soutien.
Bonne et heureuse année pour vous et à tous ceux qui vous sont chers et succès pour 2012.
Aimé Tchabouré GOGUE
Président du Bureau Exécutif National de l’ADDI
Minneapolis le 7 janvier 2012