Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
Durant le dernier demi-siècle, le mensonge a été largement utilisé dans la vie publique togolaise. Ainsi, les plus âgés d’entre nous n’ont pas oublié ces faits extraordinaires : ayant assisté à un événement avec très peu de personnes, le soir, elles étaient surprises de voir sur leur écran que le même événement avait drainé une foule innombrable. Pire encore : il est arrivé à certaines personnes qui avaient accordé une interview de s’entendre affirmer des choses très différentes de ce qu’elles pensaient avoir dit !
Les techniciens des années 1970-1980 étaient en effet des As des montages et truquages dans le régime à parti unique où tout était à la gloire du Timonier national.
Et dans cette atmosphère, porte-paroles et hommes politiques récitaient toujours à propos de tout et de rien un discours bien rôdé, version officielle, agrémentée de louanges au Guide Eclairé, que tous les médias d’Etat serinaient à longueur de journée. Tout cela était rendu possible par les moyens techniques de l’audiovisuel, moyens qui facilitaient à la fois la conception et la diffusion des éléments comportant des approximations et ce d’autant plus que les médias privés n’étaient pas admis sur le terrain de la communication. La délation et le culte de la personnalité étaient les maîtres mots.
Qu’en est-il aujourd’hui, avec la multiplication des organes privés de presse, et la possibilité de s’abonner à des médias étrangers ? Les média d’Etat font-ils plus attention à leur style et contenus de communication, étant donnée leur ancienne et mauvaise réputation ? Il faut dire que cela ne dépend pas d’eux dans la mesure où ils doivent toujours donner la version officielle.
La spécialité où les derniers gouvernements se sont distingués dans la diffusion des contrevérités c’est le domaine des données officielles : des résultats économiques aux chiffres du chômage, de la mortalité infantile aux statistiques scolaires, la plupart des informations ne sont pas fiables et même récemment le Togo s’est fait remarquer par ce comportement dans des classements internationaux. Cela a pu même amener certains citoyens à douter de la réalité de la pandémie du COVID-19 et à adopter des comportements peu prudents.
Cependant, c’est le développement des réseaux sociaux avec la possibilité de joindre individuellement tous ceux qui possèdent l’appareil adéquat pour y être présents, qui a donné de grandes chances au mensonge. Ainsi, les spécialistes de l’information ne se privent pas de noyer les citoyens dans un flot d’informations à moitié fausses car, tout le monde le sait, mélanger le faux et le vrai est la meilleure technique pour donner à une information un air de vérité.
Et ce qui fait vraiment problème à présent c’est que beaucoup de gens peuvent se transformer en diffuseurs. Parmi ces personnes il y a toutes celles qui sont crédules et croient de bonne foi ce que disent les réseaux sociaux comme on disait avant : « c’est vrai, la preuve, je l’ai vu à la télé ! ». Alors, après avoir pris connaissance de la fausse information, le crédule la diffuse comme cela lui est souvent conseillé.
Mais il y a aussi les personnes qui répandent ce type d’information par pure malveillance pour nuire à celui ou celle qui est ainsi victime d’une calomnie. Et une des difficultés pour lutter contre la calomnie portée par les réseaux sociaux, c’est que, souvent, et la source et les diffuseurs, peuvent se cacher dans l’anonymat que facilitent les réseaux dits sociaux.
Les membres de la Conférence Episcopale du Togo (CET), ont été récemment victimes de ce phénomène. Et plus ils se défendent, plus la fausse information se fait tenace. Pourquoi ? Parce que bien souvent, prenant nos désirs pour des réalités, lorsqu’une information correspond à ce que nous aimerions entendre pour arranger et conforter nos points de vue, nous perdons nos capacités de discernement. C’est ainsi que ceux qui en voulaient pour telle ou telle raison à la CET, ou à l’Eglise Catholique en général, ont confirmé cette fausse information en la diffusant avec des argumentations pour l’appuyer.
La CET s’est, bien entendu, défendue au mieux et elle avait raison. Mais ce qu’un certain nombre d’entre nous auraient voulu c’est que bien avant cela, l’Eglise catholique mais aussi toutes les autres Eglises et confessions religieuses dénoncent vigoureusement la présence constante du mensonge dans l’espace de la cité. En effet, nous attendons des églises qu’elles soient au-devant de la lutte contre le mensonge dans la vie publique au Togo d’abord parce que le mensonge, la calomnie blessent des personnes sans qu’elles puissent se défendre. Or les religions devraient toujours être du côté des plus faibles, des sans-voix surtout dans un pays où le mensonge et l’injustice sont institués comme mode de vie et de gouvernement.
Par conséquent, il aurait été bienvenu que l’Eglise catholique, en particulier, au-delà des mots, pose des actes dans ce sens sans attendre d’être elle-même une des cibles du mensonge. Cela aurait montré que c’est d’abord au nom de principes et de valeurs qu’elle proteste. De la même façon nous aurions voulu que les confessions religieuses s’indignent contre la violation de la vie privée que constituent les écoutes téléphoniques, bien avant qu’elles-mêmes en soient victimes, que ces écoutes aient coûté ou non des millions, parce que ces pratiques habituelles du système au pouvoir depuis bien longtemps sont inadmissibles dans un Etat de droit.
La seconde raison pour laquelle il aurait fallu que les églises s’élèvent contre le mensonge, c’est qu’elles ont à jouer, de cette manière, leur rôle d’autorités morales afin que la vie publique ne soit pas le lieu où le mensonge s’établit sans trouver en face de lui aucun obstacle, aucune opposition. Mais les Eglises ne doivent pas se réduire à la hiérarchie au contraire, tous les chrétiens, fidèles et croyants doivent se sentir concernés car l’Eglise ne se réduit pas aux évêques, prêtres, pasteurs et ministres ordonnés.
Les églises participeront ainsi à la moralisation de la vie publique indispensable pour que la vie politique soit un lieu d’engagement des croyants en principe opposés au mensonge, car comme le disaient la CET en avril 2016, à l’occasion du 56ème anniversaire de notre indépendance :
« Le pape François nous rappelait encore de façon vibrante lors de la rencontre œcuménique tenue à Nairobi le 26 novembre 2015 que c’est en puisant dans son appartenance religieuse la plus intime que chacun peut trouver les ressources de participer à la vie commune.
« En promouvant le respect de cette dignité et de ces droits [de la personne humaine], disait-il, les religions jouent un rôle essentiel dans la formation des consciences, dans le fait d’insuffler aux jeunes les profondes valeurs spirituelles de nos traditions respectives et dans la préparation de bons citoyens, capables d’infuser dans la société civile l’honnêteté, l’intégrité et une vision du monde qui valorise la personne humaine par rapport au pouvoir et au gain matériel. » »
Dans notre pays, tout particulièrement, c’est de cette manière qu’elles aideront à lutter contre la désaffection que beaucoup de citoyens ont pour la politique à cause justement du mensonge qui règne dans ce domaine : fausses promesses des campagnes électorales, résultats truqués aux élections, changements spectaculaires de camp, corruption et détournements, impunité, justice à la solde du pouvoir, tout provoque le manque de confiance dans la parole des hommes politiques, mais surtout le désir de se tenir loin de ce secteur où on est obligé de mentir. Qui s’engagera alors pour que le changement advienne ? Qui se sentira assez responsable de la qualité de notre vie publique au Togo pour mener la lutte contre le mensonge? En effet, et nous citons encore la lettre de la CET à laquelle nous venons de faire référence,
« Nous sommes donc tous appelés à la responsabilité. Mais devant qui ? Devant quoi ?
C’est le lieu ici de rappeler une seconde réalité intimement reliée à la précédente : il n’y a pas de responsabilité s’il n’y a pas de vérité. Car l’homme n’est jamais vraiment responsable que dans la vérité, devant la Vérité – c’est-à-dire ultimement, devant Dieu. Disons-le clairement, l’envers de la responsabilité n’est pas souvent l’irresponsabilité mais la désinvolture, cette attitude qui consiste à faire comme si la vérité n’obligeait pas. Cette attitude qui consiste à connaître le bien commun et à refuser de le servir ; à jurer de rendre justice et ensuite à négliger soigneusement d’en répondre. S’il y a défaut de responsabilité, c’est surtout de désinvolture qu’il s’agit, de cette disjonction entre la vérité et la responsabilité. »
La lutte contre le mensonge constitue une urgence dans notre pays et c’est à ce prix que le politique prendra toute son importance aux yeux des citoyens et la politique toute sa dignité comme lieu d’engagement du citoyen désireux de faire sa part dans la construction de la Nation.
Lomé, le 6 novembre 2020