Les Subsahariens paient des tarifs parmi les plus élevés au monde pour le Web mobile.
Un phénomène qui pèse sur l’emploi et la réduction de la pauvreté.
Début avril, des consommateurs ivoiriens, outrés, ont lancé pêle-mêle des pétitions et des appels au boycott. La raison de leur courroux ?
Ni le prix des produits alimentaires – l’inflation touchant, comme beaucoup d’autres, ce pays d’Afrique de l’Ouest – ni ceux des carburants ou de l’électricité.
Les citoyens pestaient contre une hausse de fait des tarifs de l’Internet mobile, le téléphone étant la première source d’accès à la Toile sur le continent. Les trois opérateurs de Côte d’Ivoire (Orange, MTN et Moov) avaient diminué de concert le volume de données incluses dans les forfaits 4G, tout en maintenant leurs prix. La décision a finalement été suspendue par les autorités.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle bronca éclate au sud du Sahara.
En 2016, en Afrique du Sud, le hashtag #Datamustfall (« les données doivent diminuer ») avait enflammé Twitter, tandis qu’une manifestation contre le coût d’Internet avait été interdite en 2018 au Bénin.
Si le sujet est aussi épineux, c’est parce que le prix des données mobiles est, dans la région, parmi les plus chers du monde, en matière relative comme absolue. Bien loin des 2 % recommandés, les Africains dépensaient en moyenne plus de 9,5 % de leurs revenus bruts en 2021 pour s’acheter 1 gigaoctet, selon les données compilées de l’Alliance pour un Internet abordable, un groupe de lobbying soutenu par certains des mastodontes du Net.
En valeur absolue, le coût moyen du gigaoctet atteint 4,47 dollars (4 euros) en Afrique subsaharienne, avec de très fortes disparités, contre 2,72 dollars en Europe de l’Ouest, selon le Worldwide Mobile Data Pricing de 2022.
L’Afrique du Nord, elle, affiche un tarif de 1,05 dollar.
Certains pays subsahariens figurent parmi les records mondiaux : le Togo, la Namibie ou le Botswana dépassent les 10 dollars le gigaoctet.
A titre de comparaison, la France se situe à 0,23 dollar.
« Ce n’est pas un problème d’offre, mais de
demande »
Pourquoi des coûts si élevés ?
Tout d’abord en raison de la taille réduite des marchés, plaide l’industrie.
Si, dans les grandes villes, la classe moyenne ultraconnectée peut s’offrir les smartphones asiatiques qui inondent les échoppes et les forfaits prépayés qui vont avec, la « fracture numérique » reste très marquée, notamment dans les zones rurales.
D’après une étude de 2020 de la Banque mondiale, les trois quarts des Subsahariens n’utilisent pas du tout Internet.
Soit parce qu’ils ne sont pas couverts par la 3G ou la 4G (ces zones blanches tendent à se réduire, touchant 17 % de la population aujourd’hui), soit parce qu’à partir de 40 dollars environ un smartphone reste inaccessible, soit parce qu’acheter des données reste hors du budget des ménages, détaille Angela Wamola, directrice Afrique subsaharienne de GSMA, l’association internationale des opérateurs télécoms.
« Ce n’est pas un problème d’offre, mais de demande, insiste-t-elle, de ses bureaux surplombant l’un des plus effervescents quartiers de Nairobi, la capitale kényane. L’infrastructure est là, les investissements ont été faits (…) Mais l’Internet mobile fonctionne comme un produit de grande consommation : si vous voulez baisser les prix, il vous faut plus de gens pour consommer le service. »
De son côté, l’analyste Thecla Mbongue, établie à Johannesburg pour le cabinet Omdia, précise que ces investissements, considérables au cours des vingt dernières années, ont été particulièrement coûteux.
« Si l’on compare à de nombreuses régions du monde, les opérateurs télécoms africains n’ont quasiment pas pu s’appuyer sur des infrastructures historiques comme les systèmes filaires (…) en dehors des zones urbaines aisées. Ils ont ainsi dû partir de rien et tentent de rentabiliser leurs réseaux aussi vite que possible », poursuit-elle, ajoutant que les prix reflètent également les coûts élevés de l’électricité, le manque de serveurs sur le continent ainsi que la fiscalité.
Plusieurs Etats, dont l’Ouganda, ont notamment mis en place, puis parfois abandonné, des taxes sur les réseaux sociaux qui viennent s’ajouter aux forfaits.
Enjeu immense
L’Afrique subsaharienne a également souffert d’un manque de compétitivité dans les télécoms, avec des monopoles d’Etat qui ont débouché sur des tarifs élevés, relevait la banque panafricaine Ecobank dans une note de 2018.
Les marchés se sont aujourd’hui ouverts, affirme Angela Wamola, mais y accéder reste, selon elle, cher pour les opérateurs, en raison notamment de licences d’exploitation de trop courte durée – « parfois cinq ans » – qui ne permettent pas d’amortir les investissements.
La situation semble cependant s’être améliorée ces dernières années. En 2021, le prix moyen du gigaoctet se situait à 6,44 dollars en Afrique subsaharienne, selon le Worldwide Mobile Data Pricing, soit 2 dollars de plus qu’en 2022.
L’enjeu est immense, l’accès à Internet ayant un impact considérable sur la réduction de la pauvreté.
Applications et autres plates-formes permettent à un fermier de vendre ses récoltes à temps et au meilleur prix, à un commerçant d’atteindre de nouveaux clients, tandis que la Toile offre aux étudiants des ressources pour leurs travaux. « Elargir l’accès à Internet signifie créer des millions d’opportunités d’emplois », notamment pour les jeunes, déclarait en 2019 Makhtar Diop, alors vice-président de la Banque mondiale.
Selon une étude menée par cette institution avec GSMA au Nigeria et datée de 2020, la proportion de foyers en situation d’extrême pauvreté se réduit de 7 % après au moins deux années d’accès à Internet.
A l’échelle d’un pays comme ce géant d’Afrique, première population du continent, « cela correspond à sortir environ 2,5 millions de personnes de l’extrême pauvreté », et ce particulièrement dans les zones rurales, soulignait la Banque mondiale.
Marion Douet(Nairobi, correspondance)