Par Narcisse Prince Agbodjan
La presse privée togolaise est entrée dans une refonte profonde avec l’application stricte et rigoureuse du Code de la presse et de la communication. Exit donc la période moratoire accordée aux organes de presse et aux professionnels des médias pour se mettre à jour des nouvelles dispositions contenues dans ce document de référence porteur d’espoirs et d’attentes de lendemains lumineux longtemps rêvés mais souvent refoulés, par actions ou par omission.
Selon plusieurs adeptes de ce bouleversement attendu, le moment est enfin venu de relever le défi de la professionnalisation. Et il n’est pas question de se louper sous aucun prétexte. Il faut nettoyer les écuries d’Augias et ne laisser aucun centimètre de l’écosystème médiatique à l’abri du regard inquisiteur de la loi.
Les motivations de cette austérité dans le landerneau médiatique ?
La crédibilité des hommes et des femmes des médias est prise depuis lurette dans un phénomène continu d’érosion sans obstacle.Tant et si bien que le charme et la noblesse de la profession se sont réduits comme peau de chagrin, laissant au yeux de l’opinion une image peu glorieuse des chevaliers de la plume et du micro.
Que dire de la profession longtemps à la portée du tout-venant ? Mais à en juger par la nature des nouvelles mesures contenues dans la loi portant Code de la presse et de la communication, on peut dire que rien ne sera plus comme avant. Désormais il faut montrer patte blanche pour accéder au métier de journaliste au Togo, comme cela est de rigueur dans d’autres professions.
Au-delà de la qualification, les organes de presse doivent aussi se transmuer en sociétés de presse. Super ! Seulement, cette transformation appelée de tous les vœux intervient au moment où la plupart des acteurs des médias concernés au premier chef ne sont pas encore prêts.
La Convention Collective en soutien
L’autre panaceé ? La Convention Collective ! Telle l’Arlésienne, elle était annoncée mais jamais personne n’avait vu son visage ni la couleur qu’elle allait arborer. C’est chose faite depuis quelque temps. Elle a été signée après plusieurs années de lutte. Ouf ! Enfin !
Ayons le courage de le reconnaître : la signature de cette Convention n’est nullement une fin en soi. Par-delà la confiance que l’on peut accorder aux patrons de presse, il reste à déterminer le modus operandi et l’alchimie par lesquels ils parviendront à rendre viables et proactives leurs entreprises, de sorte à mobiliser les ressources pour honorer leurs engagements vis-à-vis des salariés.
S’il n’y a pas un réajustement dans la gestion des organes devenus sociétés de presse où le premier responsable est beaucoup plus enclin à faire bombance, il est à craindre que la structure ne fasse long feu et mette la clé sous le paillasson, avec tout ce que cela comporte comme corollaire pour les employés. C’est ici que l’on peut d’ores et déjà s’apercevoir que rien n’est gagné d’avance et que la lutte pour la mise en œuvre effective de la Convention Collective doit être permanente, même si le pas franchi doit être salué.
And what next ?
Evidemment, la consécration des organes de presse comme sociétés de presse n’est pas sans créer des obligations pour les salariés et surtout d’autres charges pour les entreprises ainsi créées. Autant dire qu’elles ont plus que besoin d’accompagnement. Inutile de faire un dessin sur la partition des médias dans la jouissance par les citoyens de leur droit à l’information, sur leur contribution à la formation des opinions pour amener les uns et les autres à participer à la gestion des affaires de la cité, dans la promotion de l’éducation citoyenne et dans l’encrage démocratique des nations. Bref, ils rendent un service d’utilité publique qui a besoin d’être reconnu à sa juste valeur et accompagné comme il se doit.
A ce titre, accompagner ce labyrinthe à être mature revient à l’appuyer pour qu’elle s’acquitte convenablement de sa mission. Cet accompagnement peut prendre la forme d’investissements directs pour permettre la formation permanente des professionnels qui l’animent.
Toutes choses qui peuvent contribuer à mitiger les carences assorties de dérapages que l’on peut constater de temps à autre.
L’accompagnement peut aussi se traduire par des subventions accordées aux entreprises de presse. Dans les dédales de l’Etat togolais, on garantit cette profonde transformation par un fonds presse. On parle ici d’aides indirectes par dotation de budget et destinées à accorder des subventions permettant aux médias de rembourser. Il s’agit également de financement d’activités connexes aux médias, organisation de certains circuits financiers pour soutenir des projets liés à sa professionalisation. Tout cela reste pour le moment un chapelet de bonnes intentions qui doivent encore être traduites dans les faits concrets pour le bien et la santé de la presse togolaise « valétudinaire ».
La fausse route des patrons de presse
Les patrons de presse doivent renoncer à se bercer d’illusions quant au fonds presse, car ce n’est pas avec cette enveloppe qu’ils devront payer les salaires de leurs agents, les frais d’imprimerie, les impôts et autres factures. Le fonds presse, selon l’Etat, induira forcément des avantages pour l’ensemble des acteurs de la presse, certes.
Les patrons de presse doivent se détromper et arrêter de se pourlécher les babines à l’idee qu’avec le fonds presse, des espèces sonnantes et trébuchantes vont tomber régulièrement dans leurs bas de laine aussi facilement comme c’est le cas aujourd’hui.
Autrement dit, la presse privée ne devrait pas dérouler le tapis rouge au fonds presse. Cette aide ne sauvera aucune entreprise de presse. Il revient aux responsables des entreprises de presse de s’organiser dans un environnement où les annonces publicitaires ne sont réservées qu’à une infime minorité de médias privés et aux médias publics.
Conséquence : une bonne partie de la presse privée est au bord de l’asphyxie. Si rien n’est fait, d’ici 5 ans, certaines entreprises de presse devront disparaître, l’autre leitmotiv de ce nouveau Code de la presse
Trop de médias pour un petit pays comme le Togo, a toujours ressasser le ministre de la communication et des médias.
A l’oeuvre !
Face à ce tableau, l’heure est venue pour les guides de la presse privée togolaise de sortir le grand jeu. Oui !
Il est temps de nous organiser en faisant taire nos querelles inutiles, de sortir de la léthargie morbide, d’oublier un tant soit peu les intérêts individuels, de sous-estimer les fissures qui fragilisent la corporation pour sauver la profession. Cela y va de notre survie collective. Il faut battre le fer pendant qu’il est encore chaud. Le gouvernement vient de donner carte blanche pour mettre pression à partir de ces réformes.
Le sentimentalisme ne saurait régler les problèmes de la corporation, encore moins l’égoïsme et le complexe de supériorité. C’est l’objectivité et la rationalité dans l’unité, c’est la confraternité et la solidarité, c’est la volonté et la détermination de parvenir au bien-être commun. Il faut sortir de sa zone de confort pour des actes concrets concertés et efficients venant des acteurs.
Il devient impérieux pour nous de nous serrer les coudes pour amener les pouvoirs publics à nous soutenir et à faire quelques concessions. Entre autres, l’allélegement ou l’exonération du régime fiscal, la détaxe sur les intrants dans la production de l’information. Les organisations de presse doivent être avangardistes de la survie de la profession.
L’objectif est d’éviter de rendre la conjoncture plus drastique pour la presse privée. L’entreprise de presse privée doit bénéficier d’un « régime de faveur ».
Autre regret !
La plupart du temps, les acteurs de presse invités à des séances sérieuses comme l’atelier portant sur la lecture du Code de la presse et de la communication y vont sans véritablement se concentrer sur l’essentiel. Certains y vont même pour d’autres agendas. Ce n’est qu’à la fin qu’ils se rendent compte que beaucoup de choses leur auraient échappé où ce n’est pas la compréhension qu’ils avaient des lignes contenues dans le document. La presse privée doit engager un juriste pour de pareils exercices. Il faut pouvoir à chaque rencontre avec les pouvoirs publics sur des sujets sensibles qui concernent l’avenir de la profession, être lucide avec le concours d’un juriste afin de déceler les pièges et éviter qu’on nous fasse avaler des couleuvres car il s’agit de l’avenir de la profession. Cela nous éviterait d’être les dindons de la farce pour à la fin se mordre le doigt.
L’heure est enfin venue pour la presse privée d’avoir un rêve commun, celui de sauver la profession. C’est une urgence !
Organisations de presse privée, sortez des prières refuges et prenez votre bâton de pélerin. Le cocotier n’attend que d’être remué !