Jugé pour le massacre du 28 septembre 2009 en Guinée, l’ex-chef de la junte soutient avoir été victime d’un coup monté, ourdi par Sékouba Konaté et Alpha Condé.
Au tribunal criminel de Dixinn, où se tient depuis près de quatre mois le procès du massacre du 28 septembre 2009, c’est parole contre parole. Principal accusé de ce procès qui s’est ouvert treize ans jour pour jour après les faits, Moussa Dadis Camara s’applique à se dédouaner de toute responsabilité. S’en prenant tantôt aux avocats présents dans la salle, tantôt à ses co-accusés, il répète n’être pour rien dans la mort des 157 personnes tuées ce jour-là. Tout au plus a-t-il reconnu une responsabilité morale. « C’est lui [Aboubacar Sidiki Diakité, dit Toumba] qui a perpétré ce massacre », a-t-il encore lancé face aux juges, il y a quelques jours. Et quand ce n’est pas vers son ancien aide de camp qu’il pointe un doigt accusateur, c’est à Alpha Condé, au pouvoir de 2010 à 2021, qu’il s’en prend.
À la barre, Moussa Cadis Camara n’en démord pas : ce sont Alpha Condé, à l’époque figure emblématique de l’opposition, et Sékouba Konaté, ancien numéro deux de la junte qui s’est emparée du pouvoir à la mort de Lansana Conté, qui ont comploté contre lui. Ils voulaient le compromettre pour l’évincer de la tête du pays, poursuit-il, et Toumba Diakité était leur « exécutant ». Mais de quelles preuves dispose-t-il ?
L’audio qui a fuité
À l’appui des propos de son client, l’avocat Pépé Antoine Lama cite devant le tribunal un enregistrement qui a fuité en août 2020 et que l’on peut encore écouter sur les réseaux sociaux. On y reconnaît les voix de Kiridi Bangoura, ancien secrétaire général à la présidence sous Alpha Condé, et d’Amara Camara, ancien ambassadeur de Guinée en France.
L’audio a été enregistré en novembre 2018, au domicile parisien de Sékouba Konaté. Ce jour-là, Kiridi Bangoura tente de réconcilier Alpha Condé et Sékouba Konaté, qui a tenu les rênes du pays après que Toumba Diakité a tiré une balle dans la tête de Moussa Dadis Camara, en décembre 2009.
Cela prouve à suffisance que ce que je dis est vrai !
« J’ai toujours dit au président : « Le jour où Sékouba est prêt, il faut qu’on parle sérieusement » », entame l’homme identifié comme Kiridi Bangoura. « Il faut que cette fois-ci je dise à mon ami, mon frère [Alpha Condé], qu’il a tout intérêt, politique, moral que le président [Sékouba Konaté] soit à l’aise. Je ne saurais mentir : sans lui, on ne serait jamais au pouvoir ». Moussa Dadis Camara exulte : « Cela prouve à suffisance que ce que je dis est vrai ! »
Selon Me Pépé Antoine Lama, Sékouba Konaté avait accepté que quatre mois s’écoulent entre le premier tour (qui sera remporté par Cellou Dalein Diallo avec près de 44 % des suffrages) et le second, alors que la loi prévoyait un délai de deux semaines, à compter de la publication des résultats définitifs.
Un laps de temps durant lequel Alpha Condé parvient à inverser la tendance : les résultats officiels le donneront vainqueur du deuxième round avec 52,52 % des voix, contre 47,48% pour son rival, qui demeure à ce jour convaincu qu’on lui a volé la victoire. Cette conviction, Moussa Dadis Camara et ses avocats la partagent, ils en veulent pour preuve la suite du fameux audio, dans lequel Kiridi Bangoura déclare : « [grâce à Sékouba Konaté] on a pu refaire un retard extraordinaire qui aurait été impossible sans son autorisation […]. Vous ne savez pas la chance qu’on a d’avoir quelqu’un comme lui. […] Il lui suffisait de dire : respectez le calendrier. »
« On a tous été roulés dans la farine »
Poursuivant son offensive, Pépé Antoine Lama évoque également un autre audio, dont il lit des extraits au tribunal. Il dit citer un autre opposant, Sidya Touré, le leader de l’Union des forces républicaines (UFR). À en croire l’avocat, lui aussi a cru à la thèse du complot : Sidya Touré se serait étonné du fait que Sékouba Konaté était à Macenta, dans le sud-est du pays, le jour du massacre et du fait qu’Alpha Condé se trouvait, lui, encore à l’étranger la veille des faits. « Ils savaient ce qui se passait, c’était pour se mettre en dehors de cela, aurait déclaré Sydia Touré. Leur théorie était que si Dadis était là, il n’allait pas donner le pouvoir à Alpha Condé. » Problème, et non des moindres : l’audio qu’il cite mais ne produit pas à la barre n’a pas été authentifié.
Moussa Dadis Camara s’en accommodera malgré tout. « Plus tard, [les leaders politiques] se sont rendus compte qu’on a tous été roulés dans la farine », conclut- il. Ses défenseurs, eux, demandent la comparution de Sékouba Konaté et d’Alpha Condé