Dans le contexte d’un pays qui a connu des crises politiques graves ayant jeté certains de ses enfants sur le chemin de l’exil, prôner leur réintégration dans la nation et, en même temps, exclure les tâches prioritaires nécessaires au retour de la confiance, est une gageure. On parle beaucoup, à Lomé, d’Opportunités d’investissement et de marché, de mesures incitatives à accorder à la diaspora… ».
Qu’en est-il du recensement de ces Togolais, de leurs droits civiques et politiques, de la validation par l’état de leurs associations et des grands acteurs qui les animent? Omerta totale ! Ce projet, à moins qu’il ne soit une affaire secrète entre militants, n’est pas en bon état de marche. Il montre une charge de plomb dans l’aile.
La genèse de la diaspora togolaise recommande aux autorités togolaises de procéder par des démarches originales empreintes d’une franche volonté politique si, enfin, elles sont décidées à intégrer à la vie économique, politique et civique les quelques deux millions de Togolais vivant à l’étranger. On ne peut pas traiter de la diaspora sans se rappeler de certains épisodes de notre histoire: les jours qui ont suivi la date du 5 Février 2005, certaines villes occidentales ont été le théâtre d’un spectacle unique en son genre. Des Togolais, par centaines voire par milliers, accompagnés de ressortissants des pays dans lesquels ils vivent, ont acceuilli dans une liesse générale la mort du Général Eyadéma. C’est penible à dire mais c’était cela la réalité. A Paris, Bruxelles, New York, Montréal, et partout ailleurs, les Togolais, accourus dans des meetings spontanés, scandaient des slogans rendant hommage, à la “Terre de nos aieux”. Cette joie, ce soulagement, à la hauteur des souffrances et frustrations qu’avaient connues ces émigrés, ont tourné court lorsqu’un des fils du président défunt a été promu chef de l’état à la faveur d’un jonglage constitutionnel inédit. La marge des frustrations s’est élargie pour atteindre toutes les limites quand, en avril, des centaines de Togolais seront fauchés à l’issue d’une élection présidentielle vastement contestée.
Depuis, la taille de la population des Togolais de l’étranger a grossi. Considérablement. Cette diaspora nourrit, dans sa grande majorité – il faut rapporter l’effet à la cause – un sentiment de révolte et de rejet à l’égard de Faure Gnassingbé. Une répulsion compréhensible qu’une septuagénaire ayant perdu deux de ses petits fils à Aného pendant les tueries de 2005, elle-même refugiée à Newwark, dans l’état de New Jersey, va caricaturer de fort belle manière : “le pouvoir a été offert par la France et les FAT en cadeau d’anniversaire à cet enfant d’Eyadéma, après d’abondants sacrifices de vies humaines”. Ce sont-là des péripéties qui expliquent pourquoi Faure Gnassingbé ne peut pas se retrouver du jour au lendemain dans les bons livres de ses compatriotes que la persécution politique et la pauvreté ont poussés loin du territoire national.
“Le sang sèche vite”!C’est peut-être vrai. Mais l’histoire, elle, ne tarit pas aussi aisément. Le président et son gouvernement issus donc de cette histoire tragique, conséquemment, ne sont pas en odeur de sainteté avec la diaspora. D’où, l’intérêt pour eux de mettre en place un “Programme Diaspora”. Ils en ont eu l’idée. C’est bon, C’est surtout salutaire. Non seulement pour le régime mais surtout pour la cohésion nationale qui, indéniablement, y trouverait son compte. Arthème Ahoomey-Zunu trouvera même la formule juste, voire géniale pour vendre l’idée quand il dit: ‘Il n’est pas question de demander à la Diaspora de se ranger derrière le gouvernement de manière caporalisée mais de transcender les clivages politiques pour le développement du pays’. C’est parfait mais pas suffisant lorsqu’on retourne aux faits.
En effet, selon les estimations à vue d’oeil que le gouvernement refuse d’officialiser par à un recensement, près de deux millions de Togolais vivent à l’étranger. Quelles qu’en soient les causes de leur départ, tous ces émigrés étaient à la recherche d’une terre plus clémente, moins humiliante, d’une vie paisible que leur propre pays ne pouvait plus leur offrir. Bien que le choix de partir soit difficile, tous ne manquent pas de ressentir un fort attachement à leur pays et ne cachent pas leur désir d’y retourner un jour. Ce lien se matérialise par le soutien financier qu’ils apportent à leurs familles que l’instabilité politique a plongées dans une misère déshumanisante. Sans cette contribution financière massive de la diaspora, il y a longtemps que ces familles auraient fini de manger le pouvoir en place. C’est peut-être cela qui a fait dire récemment au président du CMDT (Congrès Mondial de la Diaspora Togolaise), Docteur Amouzou Martin, que la Diaspora n’a pas besoin du Togo, bien au contraire. On pourrait reprendre le leader du CMDT autrement: la diaspora n’a pas besoin du gouvernement, bien au contraire.
En dépit de son importance démographique et économique, notre diaspora ne s’est jamais vu accorder le droit de participer à la vie publique togolaise. Le régime voit en elle une population hostile. Alors que le montant de transfert d’argent en provenance de ce qu’on pourrait considérer comme la sixième région du pays s’élève, pour la seule année 2013, à près de 170 milliards de francs CFA. Il s’agit d’une des trois principales ressources de l’état, sinon la principale. Il est donc crucial d’entreprendre aujourd’hui une démarche d’intégration de ces Togolais vivant à l’étranger à la vie politique et économique. C’est donc une erreur monumentale de les confiner dans le rôle de carnet de chèques. Car, le premier pas devrait consister en une reconnaissance officielle des associations qui animent cette diaspora. On devrait ensuite accorder à ces Togolais le droit de vote ainsi que la possibilité pour eux de prendre part, par un mécanisme de consultation, à certaines prises de décision. Le gouvernement s’engage t-il sur ces voies à travers son programme? Ou veut-il seulement favoriser les investissements financiers de la Diaspora au Togo sans que ses membres bénéficient de tous ces droits susmentionnés? Toute volonté exprimée par l’état togolais – mieux vaut tard que jamais – de rapprocher ce bon tiers de la population éparpillée aux quatre coins de la terre est une chose louable.
Mais très vite, on s’est rendu compte que le pouvoir veut, par le biais d’une opération à la va-vite, choisir juste la partie de la population des Togolais de l’extérieur qui l’intéresse, de la même manière dont il s’octroie très souvent le droit de choisir, à l’intérieur, ses propres opposants, sur la base de critères qui lui sont favorables. C’est par ce rapprochement que les états major de la diaspora, dans leur ensemble, assimilent le programme Diaspora en cours à « un business de Kossi Antoine Gbékobu », une affaire secrète dont la vraie nature se dévoile lorsqu’on regarde de très près, aussi bien les thématiques dans lesquelles elle est libellée que la procédure cavalière et hative de son organisation. L’on s’étonne que le PNUD, l’UE et la BAD aient pu financer ce projet pourtant crucial pour la consolidation de la réconciliation nationale sans prendre la peine de vérifier son originalité, sans demander aux bénéficiaires des fonds alloués (le gouvernement) de déclarer avec possibilité de traçabilité les partenaires de la diaspora associés à sa préparation.
Ainsi mis en oeuvre sans une participation effective des grands acteurs de la diaspora, le programme, naturellement, est tombé dans une indigence que seules les habitudes d’opacité qu’a le pouvoir dans la gestion des affaires de l’état justifient. Il est difficile d’imaginer que l’idée de ce projet riche en éléments attractifs capables de doper la cohésion nationale puisse se réaliser sans des échanges préalables entre, d’une part l’autorité gouvernementale et de l’autre les grands acteurs et les groupes associatifs de la Diaspora, le Congrès Mondial de la Diaspora Togolaise notamment.
Ces structures existent bel et bien et pourraient servir de pierre angulaire à cette noble initiative dont l’authenticité pourrait constituer un atout considérable. A quoi assistons-nous ? Une fois encore, comme cela est de coutume en terre togolaise, à une autre campagne d’exclusion et de déni que le régime a tendance à cacher sous la formule passe-partout: “ils ne sont pas organisés”?
Il y a une grande énergie chez les Togolais de l’étranger, de même qu’un désir de contribuer à la construction d’un Togo démocratique. Beaucoup d’entre eux ont une importante expérience dans des secteurs vitaux à la nouvelle société togolaise en construction et qui souffre de graves lacunes comme l’éducation, la santé, les nouvelles technologies et les services sociaux. Ces expériences sont autant d’énergies qui peuvent être canalisées pour participer à la gestion et au financement de projets capables de relever le taux d’emploi, réduire la pauvreté et bâtir une démocratie moderne, inclusive. Il y a un travail de fond que le gouvernement doit faire, de l’intérieur, s’il veut provoquer aux ports d’entrées du Togo une bousculade des candidats au retour.
C’est le lieu d’en appeler à la responsabilité du chef de l’état togolais afin qu’il prenne conscience de la nécessité de mettre fin à ces pratiques surannées par lesquelles, depuis toujours, le régime utilise les maillons faibles des différentes couches de la société pour gouverner contre le peuple dont les volontés sont sans cesse bafouées. Le programme diaspora du gouvernement sera voue a l’échec si on doit continuer à voir dans les acteurs de la diaspora des ennemis à éviter, à diaboliser comme ce fut le cas, il n’y pas si longtemps, du compatriote de Suisse, Kofi Komdedzi Folikpo, arrêté, jeté en prison puis libéré furtivement, sans qu’on dise les motifs réels de sa rétention.
Il urge que cette affaire soit redessinée, reorientée dans un canevas de transparence, différemment du procédé à la dérobée, par en dessous, à laquelle nous assistons. Trop de gens dans la diaspora – cela ne coûte rien au gouvernement de le vérifier – considèrent que le dispendieux tralala de Kossi Antoine Gbékonu et ses amis à Paris, Montréal et Lomé est simplement à mettre au compte d’une série de séminaires de formation politique à l’attention d’une catégorie cooptée. Ou alors, il s’agit du traditionnel défilé des ventres organisé à quelques enjambées de l’échéance présidentielle. C’est dire, à la fin, que le Programme de gestion de la Diaspora n’a pas encore commencé.
Kodjo Epou
Washington DC
USA
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