Le préfet Awaté Hodabalo entretient la crise qui secoue la commune Agoè-Nyivé 4. Au lieu de se conformer à la loi sur la décentralisation pour trouver une solution à l’affaire qui oppose le maire déchu Adamou Abdoulaye au conseil municipal, le représentant de l’administration joue l’avocat du diable. Pire, il se substitue au juge administratif, personne habilitée à se prononcer sur cette affaire.
Le 12 octobre dernier, le conseil municipal de la Commune Agoè-Nyivé 4 a voté la destitution du maire Adamou Abdoulaye. L’événement a été précédé, le 1er octobre 2020, d’une session au cours de laquelle ont été abordées des questions relatives à la gestion de ladite commune, notamment son exécutif. En toile de fond, des différends liés aux finances, mais surtout une découverte de tickets parallèles mis en circulation dans le ressort territorial de la Commune par le maire. Dans notre parution N°3252 du 13 octobre 2020, nous avons rapporté les débats houilleux qui ont précédé le vote de destitution du maire ainsi que l’intervention de personnalités comme le préfet Awaté Hodabalo d’Agoè-Nyivé et le chef canton de Togblékopé. Intervention qui n’a pas permis de sauver Adamou Abdoulaye. «Depuis un certain temps, il y a des dysfonctionnements graves qui sont à l’origine de cette destitution », avait indiqué Méféinoyou Mésoka Samo, l’adjoint au maire de la Commune Agoè-Nyivé 4.
Cette destitution, avions-nous relevé, a été adopté conformément à la loi n°2019‐006 du 26 juin 2019 portant modification de la loi n°2007‐011 du 13 mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales modifiée par la loi n°2018‐003 du 31 janvier 2018. L’article 115 stipule : « En cas de dissension grave entre le maire et le conseil municipal mettant en péril le fonctionnement normal et la gestion de la commune, le maire peut être destitué par le conseil à la majorité des deux tiers de ses membres ». L’article 133 précise que la destitution du maire est décidée par le conseil municipal à la majorité des deux tiers de ses membres. Pour ce qui est de l’élection d’un nouveau maire, la question est réglée par l’article 138 de la même loi qui indique : «En cas de décès, de démission, de destitution, de révocation ou d’empêchement définitif, il est procédé à l’élection d’un nouveau maire dans un délai de trente jours à compter de la date de la vacance ».
Depuis cette destitution, les proches du maire déchu multiplient les sorties médiatiques soutenues par des arguments qui ne convainquent personne. Parmi ces soutiens, le préfet Awaté Hodabalo. En fin de semaine dernière, celui fait une sortie et prend fait et cause pour Adamou Abdoulaye alors qu’il est censé être au-dessus de la mêlée et concilier les points de vue, si cela est encore possible. Dans un article du confrère telegramme228, le préfet déclare que « la destitution d’un maire est un acte suffisamment grave et important et ne saurait dépendre d’un seul article de la loi sur la décentralisation ».
Cette seule phrase suffit à condamner le préfet qui étale sa méprise envers les lois de la République. Si Gnassingbé Eyadéma a pu être candidat à la présidentielle de 2003, c’est parce qu’un seul article de la Constitution a été modifié et le verrou de la limitation du mandat sauté. Si Faure Gnassingbé a revendiqué le droit à une 4ème candidature lors de la présidentielle de février 2020, c’est parce qu’il a fait glisser dans la Constitution une seule phrase pour s’offrir une dérogation. Monsieur le préfet doit savoir qu’un seul article est capable de faire d’une personne un roi et un seul peut aussi faire de cette personne un damné. De la même manière que le maire Adamou Abdoulaye et son adjoint ont été élus et non nommés parce qu’un seul article, en l’occurrence l’article 122, l’a ainsi voulu, ils peuvent être destitués sur la base d’un autre article. Toute la loi sur la décentralisation ne saurait être consacrée à la destitution du maire. Si c’était le cas, le législateur allait écrire une loi pour chaque situation.
Le préfet Awaté Hodabalo estime aussi que la destitution du maire Adamou Abdoulaye n’était pas inscrite à l’ordre du jour de la 3ème session ordinaire de la Commune Agoè-Nyivé 4. Il a sûrement oublié que les questions inscrites à l’ordre du jour de ladite session étaient relatives aux problèmes de l’exécutif du conseil municipal. « Le bureau exécutif du conseil municipal est composé du maire et des adjoints. Le maire est le chef de l’exécutif de la commune. Il est assisté d’un ou de plusieurs adjoints », article 60. Les discussions dans le cas précis peuvent déboucher sur une délibération favorable ou défavorable à l’action du maire. Dans le cas de la commune Agoè-Nyivé 4, les magouilles imputées au maire ont conduit le conseil municipal à voter sa destitution. Contrairement aux propos du préfet, la loi sur la décentralisation n’oblige pas le conseil municipal à convoquer une réunion exceptionnelle avec comme ordre du jour « la destitution du maire ». Cela n’est écrit nulle part et Awaté Hodabalo le sait.
Pour ce qui est des preuves demandées par le préfet, c’est une fuite en avant. Le maire Adamou a bien reconnu avoir introduit des tickets dans les marchés, en violation des textes. D’après les informations, l’émission des tickets n’est pas du ressort du maire, mais du Trésorier payeur, le garant des finances d’une commune et l’intermédiaire avec le Trésor Public. C’est le Trésorier payeur qui fait émettre les tickets qui sont remis à l’administration des finances qui le remet ensuite au régisseur pour être vendus dans les marchés. (Le régisseur relève de la commission des finances). Le circuit inverse est réalisé pour le versement des recettes issues de la vente des tickets. Toutes ces étapes ont été brûlées par le maire qui a fait confectionner des tickets pour les mettre directement en vente dans les marchés. Si l’on reste fidèle au circuit, cela veut dire que les recettes vont lui être versées directement. De quelles preuves Awaté Hodabalo a-t-il encore besoin ?
En réalité, il s’agit d’actes dont la finalité est de venir au secours d’un proche qui s’est fourré dans la merde. S’il y a vice de procédure ou quelque manquement dans la destitution du maire, l’institution habilité à le faire savoir reste le juge administratif près la Cour Suprême. C’est dans ses prérogatives. Ce n’est ni du ressort du préfet, ni du ministre de l’Administration territoriale qui doivent jouer aux arbitres au lieu de prendre partie. Et s’il faut réinstaller le maire dans son fauteuil, c’est le conseil municipal qui doit le faire. Ce que la loi sur la décentralisation dit en son article 10, c’est que l’acte posé par le conseil municipal d’Agoè-Nyivé 4 peut faire l’objet de recours. « Aucun organe d’une collectivité territoriale ne peut délibérer hors session ou prendre des actes sur un objet ne relevant pas de ses attributions. Toute délibération ou tout acte pris en violation de la présente disposition est frappé de nullité. L’annulation est prononcée par le juge administratif sur saisine du représentant de l’Etat », indique l’article 10. Les défenseurs d’Adamou Abdoulaye peut s’y conformer, s’ils sont de bonne foi.
La configuration du conseil municipal d’Agoè-Nyivé 4 et les conditions de destitutions du maire montrent aussi qu’il s’agit d’un acte sans coloration politique. Au sein de ladite commune de 11 conseillers, le parti au pouvoir 6 élus, l’ANC 2, le CAR 1 et les Indépendants Tsoménényo 2. L’opposition, si on considère le CAR et l’ANC, ne dispose que de 3 conseillers et est donc minoritaire. Mais lors du vote, 9 conseillers ont voté pour la destitution du maire. Il faut comprendre que M. Adamou Abdoulaye n’a plus la confiance de ses collègues.
La leçon qu’il faut tirer de ces sorties maladroites des représentants de l’administration, c’est que les ateliers de renforcement de capacités doivent aussi être organisés au profit des préfets et leur supérieur. A moins que le préfet défenseur n’ait un intérêt particulier à défendre mordicus le maire indélicat.
Géraud A.
Source : Liberté