Au même moment qu’on se réjouit de l’adoption de la loi sur les services du médiateur de la République, ouvrant ainsi la voie à la déclaration biens, on peut s’inquiéter du fait que les fortunes déclarées ne seront pas justifiées. Une porte-ouverte au blanchiment des biens acquis aux prix de détournements de deniers publics.
Les députés de la sixième législature ont adopté, le 30 mars 2021, deux projets de loi lors de la quatrième séance plénière de la première session ordinaire de l’année. Ils ont, pour le premier texte, autorisé l’automatisation du casier judiciaire. Le second texte de loi est relatif au fonctionnement des services du médiateur de la République. Cette relecture fait suite à l’avis de non-conformité de l’article 2 alinéa 1er de ladite loi donné par la Cour constitutionnelle. « En adoptant ce projet de loi organique, vous venez d’ouvrir la voie au processus de déclaration des biens et avoirs des personnalités togolaises et aussi des agents qui sont portés dans cette loi comme devant le faire. Tout le monde attend cela », a déclaré le ministre de la Justice, Pius Agbetomey.
Tout est donc fin prêt pour lancer le train de la déclaration des biens et avoirs, n’en déplaise à ceux qui ont fait le choix de la lenteur. Par crainte peut-être que l’on découvre leurs immenses fortunes. Cette crainte est injustifiée puisque selon la loi sur la déclaration des biens et avoirs, tout est tenu secret et le procès-verbal de déclaration ne peut être rendu public que sur autorisation formelle du déclarant. « En aucun cas, le contenu de la déclaration de patrimoine ne peut faire l’objet de publication par des tiers sans autorisation expresse du déclarant. Seul le déclarant peut décider de publier tout ou partie de sa déclaration. Dans ce cas, il peut soit publier lui-même une copie du deuxième original de sa déclaration, soit autoriser le Médiateur de la République à faire la publication d’une copie du procès-verbal de comparution du déclarant », dispose l’article 15 de ladite loi.
Concernant la valeur des biens à déclarer, l’article 9 précise que ce sont les biens et avoirs d’une valeur supérieure à deux cent mille (200 000) francs CFA. Quelques exemples ont été donnés. Il s’agit, entre autres, des immeubles bâtis ou non bâtis, les terrains ruraux exploités ou nus, les parts de sociétés commerciales ou civiles, les véhicules terrestres à moteur, les bateaux et aéronefs ; les fonds de commerce, les clientèles, les charges et les offices, les valeurs mobilières non cotées ; les comptes courants d’associés et les prêts consentis à des tiers, les instruments financiers, les comptes bancaires courants et comptes d’épargne, les comptes détenus dans tout autre établissement financier, les assurances vie ; les objets d’art, les biens mobiliers divers et les espèces d’une valeur supérieure à deux cent mille (200 000) francs CFA. La déclaration doit également comporter la liste des engagements financiers contractés au Togo ou à l’étranger…
Qu’en est-il de l’origine du patrimoine du déclarant ? Le même article 9 y consacre un alinéa. Il y est écrit : « Le déclarant dresse la liste des biens et avoirs lui appartenant au Togo et à l’étranger dans laquelle il fait figurer l’origine de la propriété, le prix, le titre et la date d’acquisition, leur valeur estimative à la date de la déclaration, les références d’identification, le régime de propriété, notamment bien propre ou commun, indivis ou non, ainsi que la localisation, la superficie, l’immatriculation lorsque cela est applicable ». En d’autres termes, le déclarant peut dire qu’il a acquis tel immeuble ou tel autre auprès de la collectivité X ou Y, en précisant le prix, la valeur, la date d’acquisition… bref, toutes les informations pouvant permettre d’identifier le bien.
Là où cette loi comporte des failles, c’est qu’elle ne fait pas obligation aux déclarants de prouver l’origine des moyens financiers ayant permis d’acquérir les biens déclarés. De ce fait, le colonel, le douanier, le ministre, le directeur de société d’Etat qui déclare avoir acquis un domaine de plusieurs hectares en périphérie de Lomé, ou plusieurs maisons cossues dans la capitale même n’aura pas à justifier l’origine des moyens financiers ayant permis ces acquisitions. Ceux qui disposent de fortunes colossales n’auront pas à se justifier par rapport aux sources de ces fortunes. Cette situation ouvre, en effet, la voie au blanchiment des capitaux. Ils auront juste à les énumérer. Les sanctions ne sont prévues qu’en cas de retard de déclaration ou de fausse déclaration de patrimoine.
G.A. / Liberté