Interviendra-t-elle? N´interviendra-t-elle pas? Telle est la lancinante question que tout le monde, en Afrique de l´ouest, en Afrique et dans le monde entier, se pose. Il s´agit bien sûr de la Communauté Économique des États de l´Afrique de l´Ouest (CEDEAO). Une CEDEAO créée en 1975 et programmée pour être une communauté au service des peuples, s´est peu à peu avilie pour devenir une coquille vide, un syndicat des chefs d´état qui ne brille que par sa solidarité dans le mal. Aujourd´hui c´est la crise politique au Niger, un pays du Sahel, où des militaires ont perpétré un coup de force contre le président Mohamed Bazoum et le tiennent en otage. Après donc le Mali, le Burkina-Faso et la Guinée, c´est au tour de la garde présidentielle nigérienne d´essayer d´étendre l´influence du pouvoir kaki en Afrique de l´ouest. Et les militaires de ce pays confronté au terrorisme n´ont pas l´intention de plaisanter. Non seulement ils ont ignoré l´ultimatum fixé par les chefs d´état du syndicat pour remettre le pouvoir au président déchu, mais les militaires putschistes nomment un premier ministre civil et un gouvernement.
«Ce qui frappe à l’oeil de tout observateur, c’est que la position incompréhensible des chefs d’états de la CEDEAO vis-à-vis du Niger ressemble curieusement et comme par hasard à la position française. Les autorités françaises, pour leurs intérêts impérialistes, ne veulent pas entendre de cette oreille qu’il y ait changement de régime politique au Niger. Et nous avons l’impression que nos présidents au sein de la CEDEAO sont entrain de faire le travail pour la France qui ne veut pas se salir les mains; et pour faire plaisir à ce pays situé à des milliers de kilomètres en Europe, les dirigeants de l’Afrique de l’ouest sont prêts à faire mal à l’un de leurs frères, en allant faire verser du sang pour remettre en selle le président déchu qui a la faveur des Français.» C´est ce que nous écrivions la semaine passée pour souligner le caractère incompréhensible de la décision des chefs d´état de la CEDEAO qui se comportent comme si toute l´Afrique de l´ouest était un îlot de démocratie et que seul le Niger passait pour être la seule brebis galeuse. Loin de nous l´intention de faire l´apologie des coups d´état; mais la forte fièvre qui pourrait menacer la vie humaine a toujours une cause à laquelle il faut s´attaquer pour prévenir les cas d´urgences. Nous soulignions la curieuse ressemblance de la position des autorités françaises et celle des chefs d´état de la CEDEAO vis-à-vis du coup d´état au Niger.
Beaucoup d´intellectuels, hommes politiques en dehors du pouvoir, citoyens de la rue, sur le continent et dans la diaspora, ont marqué, d´une façon ou d´une autre, leur désaccord quant à une éventuelle intervention militaire des pays de la CEDEAO au Niger. Le coup de force dans ce pays du Sahel, comme toutes les autres intrusions des militaires sur la scène politique ici et là sur le continent noir, qui ne sont pas forcément la meilleure solution, peut être condamnable; mais chercher à verser de l´huile sur le feu pour envenimer une situation déjà intenable à cause du terrorisme, et faire souffrir d´innocentes populations pour des considérations politiciennes pour lesquelles elles ne peuvent pas grand´chose, serait irresponsable de la part d´une communauté supposée avoir été créée pour travailler pour la paix. Et l´impossibilité de parler d´une voix pour une intervention militaire ou non au Niger est l´image que nous renvoient aujourd´hui les chefs d´état du fameux syndicat de la CEDEAO. Les uns, certainement sous pression de la France, des va-t-en-guerre, dont l´agissement n´aurait rien à voir avec un quelconque intérêt africain, ne jurent que par une intervention militaire pour rétablir Mohamed Bazoum dans sa fonction. Est-ce réaliste? Si pour Alassane Ouattara de la Côte d´Ivoire, on pourrait peut-être comprendre qu´il n´ait pas encore fini de remercier ceux qui l´ont placé là où il est aujourd´hui, Macky Sall, pour le respect de la relative stabilité de la démocratie au Sénégal, ne devrait-il pas avoir l´intelligence et le courage de résister aux pressions et se faire un peu discret ?
L´un des présidents de la communauté ouest-africaine qui surprend le plus par son zèle et son jusqu´au-boutisme dans cette crise politique au Niger, autour de la question d´intervenir militairement ou non, c´est sans nul doute M. Patrice Talon de la République du Bénin. Même si la démocratie et la situation des droits de l´homme dans ce pays voisin et frère du Togo ne sont pas parfaites, comparer le Bénin à son voisin de l´ouest sur le plan politique reviendrait à comparer le jour et la nuit. Nous estimons que cette avancée démocratique, faite d´alternance pacifique régulière au sommet de l´état, devrait donner des ailes et surtout beaucoup plus de légitimité au président béninois pour pouvoir se faire respecter en décidant librement de ce qui serait bon pour son pays et pour la sous-région. Cette façon pas très authentique de se comporter de Patrice Talon et surtout du nouveau président du Nigeria, Bola Tinubu, dont le pays est anglophone, devrait faire réfléchir sur la capacité de la majorité de ceux qui sont placés à la tête de nos états, à défendre notre indépendance et notre souveraineté.
Selon des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux, le président de fait du Togo, Faure Gnassingbé, serait l´un des chefs d´état de la CEDEAO qui s´opposeraient à une intervention militaire au Niger. Une information, si elle était vraie, surprendrait, surtout que le chef de l´état togolais était présent à Abuja où la décision d´intervenir militairement dans ce pays du Sahel est prise. Les mêmes fameux réseaux sociaux nous renseignent par ailleurs que Faure Gnassingbé recevrait de temps en temps à l´aéroport de Niamtougou, dans le nord du pays, les premiers responsables des militaires putschistes à Niamey; et que ce serait également le cas pour les autorités militaires à Ouagadougou et à Bamako. À quel jeu jouerait alors le régime de Faure Gnassingbé, surtout qu´il n´y a pas de communication officielle venant de la présidence togolaise?
Mais sincèrement entre nous, Faure Gnassingbé ne serait-il pas aujourd´hui pris entre le marteau et l´enclume? D´un côté, il ne peut pas ouvertement s´opposer à une intervention militaire au Niger, au risque de s´attirer le courroux de Paris qui le soutient dans ses dérives dictatoriales au Togo depuis 18 ans. De l´autre côté, Faure Gnassingbé sait que ce qui se passe chez lui en termes de mauvaise gouvernance politique et violations massives des droits humains ne lui donne aucune légitimité pour donner des leçons à qui que ce soit, et moins encore au Niger. À l´image de la CEDEAO, le président togolais, Faure Gnassingbé, s´embrouille dans ses contradictions et ne sait vraiment pas à quoi s´en tenir dans la crise nigérienne, pour ne pas froisser les uns et les autres, et surtout pour ne pas mettre en danger son pouvoir qu´il veut éternel.
Samari Tchadjobo
Allemagne