“Hier, notre compatriote le journaliste Anani Sossou a posé sur sa page Facebook un problème aussi intéressant que sensible. Il se plaignait du pourcentage très élevé de littéraires dans l’effectif des nouveaux admis au baccalauréat.
Selon le journaliste, cette proportion d’élèves formés dans des matières littéraires et qui embrasseront à l’université des domaines comme le droit, les lettres, la sociologie, le journalisme, la psychologie, l’histoire… ne permet point un développement de nos pays qui ont plutôt besoin d’informaticiens, de financiers, d’économistes, d’ingénieurs, d’agronomes…
Disons-le d’emblée : Anani Sossou n’a pas tort. Il suffit de faire un tour dans les amphis bondés de droit, des lettres, de la sociologie et voir le contraste avec des facultés de sciences dures presque vides pour se rendre compte du déséquilibre. Aujourd’hui, sur 100 CV que prend un recruteur dans nos pays (j’en suis un), il se retrouve avec au moins 95 CV de postulants en droit, sociologie, lettres, gestion…
Mais le drame est ailleurs. S’il est vrai que pour amorcer un processus de développement dans nos pays il nous faut plus d’ingénieurs, d’informaticiens, d’agronomes, d’économistes… quelle est actuellement la réelle valeur ajoutée des gens formés dans ces domaines dans nos pays ?
Je repose la question : le peu d’informaticiens, d’ingénieurs, d’économistes, d’agronomes… dont nous disposons sont-ils aujourd’hui mis dans les conditions pour aider nos pays à se développer ?
Chacun peut répondre à cette question. Par non. Dans la plupart des cas, ils immigrent en Occident où ils deviennent au mieux des exécutants lobotomisés par la routine bureaucratique, au pire des travailleurs déclassés tirant le diable par la queue comme tout le monde.
Ceux qui sont restés en Afrique sont soit oubliés dans des bureaux poussiéreux de la fonction publique, ou exploités dans des sociétés privées, ou recyclés en miséreux enseignants de maths et physiques.
On a donc des informaticiens ne fabriquant aucun robot, des ingénieurs qui ne produisent aucun logiciel, des agronomes qui ne conçoivent aucun mini-tracteur, aucune technique de labour…
Le plus triste est la tendance actuelle où ces scientifiques, pour accéder à des postes plus élevés, donc des salaires plus mirobolants, délaissent leurs domaines pour se tourner vers des formations comme le management, l’administration d’entreprise, la gestion d’équipes…
A qui la faute ? On va enfoncer des portes ouvertes, mais enfonçons-les ! A nos Etats ! Qui, par leur éternel manque de moyens et de vision (on ne sait si c’est le manque de moyens qui entraîne leur manque de vision ou c’est le manque de vision qui les empêche d’avoir des moyens) sont incapables de mettre en place de vrais programmes de formation, de rétention et de valorisation des meilleurs élèves en sciences.
Combien d’admis aux baccalauréats C et E avons-nous au Togo, par exemple, chaque année, pour que l’Etat soit incapable de les prendre sous ses ailes, pour les former dans les meilleures conditions, mettre à leur disposition les moyens, pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux à leur pays ?”
David Kpelly