Orano, ex-Areva, est partenaire dans trois mines, dont une seule est en exploitation
C’est tendu. » Depuis son lieu de vacances en France, ce cadre d’Orano (ex-Areva), groupe spécialisé dans le cycle du combustible nucléaire, qui vit habituellement au Niger, suit au quotidien les événements qui se déroulent dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Il a quitté le Niger juste avant que le putsch contre le président Mohamed Bazoum ne se produise, au soir du 26 juillet. «C’est la période des congés, peu d’expatriés et peu d’employés nigériens sont sur place », indique-t-il, signalant que le groupe nucléaire a mis en place une cellule de crise dès le début des événements.
Présente depuis près de cinquante ans dans le pays, au travers le contrôle de trois mines d’uranium dont une seule est en exploitation, la multinationale détenue par l’Etat français indique qu’à ce stade ses activités ne sont pas perturbées par la situation politique.
A Niamey, ses collaborateurs ont été mis en télétravail tandis que sur le site minier d’Arlit, en plein désert, plus proche de l’Algérie que de la capitale, «aucun changement n’est à signaler, la situation est normale », assure la porte-parole du groupe. « Pour l’instant, les vols sont annulés, mais nous maintenons le contact avec les employés sur place par le biais d’Internet et du téléphone satellitaire », corrobore le responsable précisant que les effectifs dévolus à la protection des sites, « environ 300 soldats nigériens », n’ont pas été modifiés.
Rompu aux soubresauts du pays, Orano avait renforcé sa couverture sécuritaire depuis l’enlèvement de sept de ses collaborateurs par Al-Qaida au Maghreb islamique, en septembre 2010. Ce type de risque, avec le temps, n’a pas disparu. Le 12 mai, à la suite d’une menace djihadiste, le groupe avait dû évacuer vers Niamey seize de ses expatriés travaillant sur les sites miniers. Selon Aït Info, un média de la région d’Agadez, « des individus armés » circulant « sur des dizaines de motos », aperçus près du village d’Inanbagaret (à mi-chemin entre la frontière malienne et Arlit), souhaitaient notamment savoir s’il y avait des «citoyens occidentaux dans la ville d’Arlit ».
Ce contexte ne change rien à la volonté affichée de la direction d’Orano de poursuivre ses activités dans le pays. Toutefois, sur les trois mines nigériennes dans lesquelles le groupe est partenaire du gouvernement local, la seule demeurant en activité est celle de la Société des mines de l’Aïr (Somaïr), presque en fin de vie même si son exploitation a été pro- longée, avec l’accord du gouvernement, jusqu’en 2040. La Compagnie minière d’Akouta (Cominak) est, quant à elle, fermée depuis mars 2021, ses réserves étant épuisées.
Enfin, présenté un temps par ce qui était encore Areva comme la « mine du siècle », avec des réserves estimées à près de 200 000 tonnes d’uranium, le site d’Imouraren est toujours sous cocon, et pourrait le rester jusqu’en 2028, le temps que le groupe évalue la faisabilité d’une méthode d’extraction de l’uranium par pompage. Cette technique demanderait moins de personnel sur place, et serait plus simple à sécuriser qu’une mine à ciel ouvert. « A cet effet, une feuille de route a été établie, incluant une enveloppe d’investissement de 85 millions d’euros, pour démontrer l’applicabilité technique, environnementale et économique de la méthode ISR [in-situ recovery] au gisement d’Imouraren », indiquait le groupe, le 4 mai, lors de la signature d’un accord global sur les trois sites avec le gouvernement nigérien.
Par souci de diversification, Orano s’est davantage déployé ces dernières années dans deux autres pays producteurs que sont le Kazakhstan et le Canada, ce qui a amoindri la place du Niger. D’autant que la Cominak a fermé et que les rendements de la Somaïr déclinent. Sur le plan européen, le Niger, encore le premier fournisseur d’uranium du Vieux Continent en 2021, s’est vu, en 2022, relégué, à la deuxième place (avec 25,3 % des livraisons) derrière le Kazakhstan (26,8 %), selon l’Agence d’approvisionnement d’Euratom. Arrivent ensuite le Canada (22 %) et la Russie (16,8 %) – le secteur du nucléaire échappant aux sanctions contre Moscou.
« Les stocks sont importants »
En matière d’approvisionnements, «il n’y aurait pas de crise à court terme, car les stocks sont importants, même si c’est plus incertain à longue échéance », explique l’analyste international indépendant Mycle Schneider. A lui seul, l’énergéticien EDF compte l’équivalent d’au moins deux ans de réserves de combustible. Quant au « yellow cake », la poudre jaune d’uranium provenant du Niger, il ne couvre que 10 % des besoins des centrales hexagonales. A ce stade, pour la France, « le problème est plus d’ordre géopolitique que du domaine de l’approvisionnement en uranium », confirme un ancien d’Orano.
« Dans la plupart des coups d’Etat qu’a connus le Niger, la filière de l’uranium n’a jamais été fondamentalement remise en cause », rappelle Emmanuel Grégoire, directeur de recherche émérite à l’Institut de re- cherche pour le développement. Ainsi, en 1974, « des négociations eurent lieu car les Français avaient imposé des contrats qui lésaient financièrement les Nigériens, mais il n’a jamais été question de les mettre dehors ». En sera-t-il différemment si un régime prorusse s’établit à Niamey ? Il est trop tôt pour le dire. « A priori, les autres pays de la région comme le Mali et le Burkina Faso qui se sont tournés vers ce type de régime n’ont pas pour l’heure rompu leurs liens avec les entreprises françaises », remarque ce chercheur.
Marjorie Cessac
Source : Le Monde