Le 27 mai 2024, Gilbert Bawara, le ministre de la Fonction publique, du travail et du dialogue social sortant, s’est exprimé sur New World TV au sujet du non-dialogue avec la classe politique de l’opposition concernant le changement constitutionnel, car, à l’en croire, un dialogue du genre ne donnera rien.
« Lorsque vous avez la certitude que quoique vous disiez ce sera la contestation systématique ; quoique vous fassiez comme homme d’ouverture et de dialogue et de compromis, ce sera toujours le refus et le rejet systématique. Et en même temps, vous avez une responsabilité vis-à-vis de la nation et du peuple, vous devez l’assumer. Voilà pourquoi des gens peuvent à tort considérer qu’un large débat national aurait pu changer l’attitude de certains. Ça ne changera rien », a dans un premier temps déclaré Gilbert Bawara, ajoutant plus loin : « En 2018 avec la crise que nous avions connue, au lendemain du dernier round des discussions à Conakry, malgré la concession sur la composition de la CENI, la reprise partielle du recensement électoral et la composition de la cour constitutionnelle, l’opposition a encore opposé un refus catégorique ».
Le ministre dit regretter que contrairement à tous les opposants de la Coalition de l’opposition C14, il y en ait un qui refuse tout compromis« il dit non, si nous accompagnons le parti UNIR pour adopter une révision constitutionnelle, cela veut dire que la crise togolaise est terminée. Il vaut mieux entretenir de façon substantielle un climat de crise parce que c’est devenu un fonds de commerce ». Gilbert Bawara en est donc arrivé à la conclusion qu’un dialogue autour de la réforme constitutionnelle, quel qu’il puisse être, ne débouchera sur rien, arguant de la fin de non-recevoir opposée par l’opposition à la perche tendue par Faure Gnassingbé qui avait demandé une relecture du texte de révision constitutionnelle et suggéré qu’il y ait de larges consultations. Et de conclure : « S’ils avaient adhéré à cette démarche en disant que nous critiquons l’initiative de la révision constitutionnelle parce que nous ne sommes pas suffisamment édifiés sur le contenu et les conséquences donc donnez-nous du temps pour que nous puissions ensemble regarder, nous aurions pu être à leur écoute ». Le même Bawara estime que l’opposition togolaise, qu’il taxe de radicaliste et d’intransigeant, est tout sauf républicaine. « Nous aimerions avoir une opposition, je dirais républicaine, ouverte au dialogue et au compromis, mais qui peut être aussi intransigeante sur certains principes ou certains éléments au lieu d’avoir opté pour la contestation systématique ».
Gilbert Bawara a décidément des griefs contre cette opposition qui visiblement ne «prend la mesure des réformes qui pèsent sur chacun de nous au sein de son parti politique en termes d’implantation sur le terrain, en termes de message à véhiculer vers nos concitoyens, en termes de la capacité des uns et des autres à apporter des éléments de solution aux défis auxquels notre pays est confronté».
Bawara, l’art futile de faire de l’esprit
Maintenant on sait. On sait qui ne veut pas faire avancer le schmilblick. Sus donc à cette opposition, cette pelée, cette galeuse d’où vient tout le mal togolais, et donnons par la même occasion un blanc-seing à cette Union pour la république qui a toujours voulu du bien à tous les citoyens. Emballé, c’est pesé. La Constitution qu’appellent de leurs vœux Bawara et les siens arrive comme marée en carême. Bawara le clame déjà à qui veut l’entendre : «La Constitution dit que c’est le Président du parti politique majoritaire ou de la coalition majoritaire à l’Assemblée Nationale qui est désigné, c’est-à-dire le parti lui-même notifie, informe le bureau de l’Assemblée Nationale que voilà le Président du parti. Aujourd’hui, c’est Unir. Le Président du parti Unir tout le monde le connaît, c’est Faure Gnassingbé donc le Président qui est désigné pour être Président du Conseil. Ensuite l’Assemblée Nationale saisit la Cour constitutionnelle en vue de la prestation de serment du Président du Conseil ».
On peut accorder au ministre que l’opposition a de temps à autre péché par manque de solidarité, mais connaissant les subterfuges du système Gnassingbé, cette opposition est dans son droit de refuser tout débat avec un pouvoir qui, n’en déplaise à la fausse vérité de Bawara, n’a jamais fait de concession quand l’intérêt du pays est en jeu. Et l’attitude de l’opposition ne saurait nullement justifier ce braquage dont a été victime cette constitution que les Togolais ont obtenue de haute lutte.
Bawara oublie que tout changement de Constitution, comme le stipule l’article 59 de la Constitution togolaise, ne concerne pas seulement l’opposition, et nécessite l’organisation d’un référendum dont son camp n’a pas daigné donner cher, conscient qu’il est que le peuple dans sa majorité désavouerait en bloc cette antirépublicaine idée qui consacre la violation du protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui interdit toute modification substantielle de la loi électorale d’un pays membre moins de six mois avant une élection, sauf avec le consentement de la majorité des acteurs politiques.
Bawara a oublié que ce n’est pas seulement l’opposition qui est vent debout contre cette constitution taillée sur mesure pour l’insatiable Faure Gnassingbé. Des organisations de la société civile, des universitaires ont crié haro sur cette nouvelle constitution. Organisations de la société civile et universitaires ne sont jamais entrés en ligne de compte dans l’élaboration de ces décisions impopulaires dont Bawara lui-même est l’un des puissants bras armés.
L’argument de Bawara n’enlève rien au fait que c’est le parti d’où il vient qui a justement été à l’origine des impasses où se trouvent les discussions entre pouvoir et opposition. Le premier (dont lui qui fait l’éloge fantasmé d’une opposition républicaine) continue de serrer la vis aux Togolais dans leur ensemble, et continue d’empêcher cette opposition de pleinement faire contrepoids à son système fossilisé vieux de cinquante-sept années. La seconde a été souvent empêchée dans ses envies de manifester librement. Comment évoluer dans un climat où toute velléité de contestation est violemment réprimée, où les opposants sont poursuivis jusque dans leurs derniers retranchements, jetés sur les routes de l’exil avec en prime la mort garantie ? Bien des détenus politiques se trouvent en prison pour avoir dénoncé le régime dictatorial des Gnassingbé, et bien d’autres sont menacés de poursuites.
C’est trop facile de justifier ce hold-up constitutionnel par le fait que l’opposition refuse tout dialogue. La ficelle est un peu grosse.
Sodoli KOUDOAGBO
Source : Le Correcteur