Le groupe a conclu la vente de ses terminaux portuaires et lignes ferroviaires à l’armateur italo-suisse MSC.
C’était le dernier joli coup de Vincent Bolloré, avant de lâcher les rênes de son groupe à son fils Cyrille, en février 2022 : la cession à un prix très élevé de Bolloré Africa Logistics (BAL) à l’armateur italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC).
Toutes les autorités réglementaires et de la concurrence ayant donné leur feu vert fin novembre, l’opération a pu être bouclée avec trois mois d’avance sur le calendrier prévu : les deux groupes doivent parapher, mercredi 21 décembre, une opération d’un montant de plus de 5 milliards d’euros, un an après leur accord d’exclusivité.
Sans la pandémie de Covid-19, qui a fait exploser les tarifs de fret en 2020-2021 et les profits des armateurs de porte-conteneurs, l’homme d’affaires breton n’aurait sans doute jamais reçu une offre aussi alléchante pour des actifs plutôt valorisés entre 2 et 3 milliards d’euros avant la crise sanitaire.
Le groupe familial a gagné beaucoup d’argent en Afrique au cours des trente dernières années, mais il avait aussi des ennuis judiciaires.
En février 2021, M. Bolloré a reconnu sa culpabilité pour des faits de corruption active d’agent public étranger et complicité d’abus de confiance en Afrique. Le groupe Bolloré était soupçonné d’avoir pris à sa charge des prestations d’Havas, filiale de Vivendi, dispensées à l’occasion de campagnes électorales des présidents togolais et guinéen, en échange d’avantages concernant les ports de Lomé et de Conakry.
L’affaire avec MSC a été rondement menée, et sans appel d’offres international.
« Les installations de BAL auraient pu échouer dans le portefeuille d’un capital-investisseur ou d’un fonds souverain, et je ne pense pas que cela aurait été une bonne option, ni pour la continuité des activités de BAL ni pour l’Afrique », expliquait fin mai le président du groupe MSC, Diego Aponte, dans un entretien à Jeune Afrique.
Personne ne souhaitait que ces actifs tombent dans l’escarcelle d’un Etat du Golfe ou du singapourien Olam, encore moins dans celle du chinois Cosco Shipping, qui voit lui échapper une capacité d’exportation des matières premières africaines vers l’empire du Milieu.
Et surtout pas le gouvernement français, qui aurait sans doute préféré le choix du marseillais CMA CGM.
Un chapitre important qui se ferme
C’est un chapitre important de l’histoire de l’empire de Vincent Bolloré qui se ferme. Il l’avait ouvert en 1986 avec le rachat de la SCAC (négoce et transports) à Suez, puis celui de l’armement Delmas en 1991.
A raison de 200 millions d’investissements par an, selon une source proche du dossier, BAL est devenu le premier réseau de transport-logistique du continent. Un secteur qui a profondément évolué ces dernières années avec l’émergence d’armateurs aussi puissants que MSC, Maersk, CMA CGM, Cosco, Hapag-Lloyd ou Evergreen. Ils se développent désormais dans la logistique terrestre et disposent de plus de moyens pour de lourds investissements.
« Nous sommes une très bonne solution pour la France, puisque le siège de BAL et l’ensemble de son personnel restent à Puteaux, en banlieue parisienne », affirmait encore M. Aponte en mai. MSC rachète l’empire africain de Bolloré (2,3 milliards de chiffre d’affaires) d’un seul bloc. Il emploie 21 000 salariés et est présent dans 42 ports, dont la concession de 16 terminaux conteneurs et 7 pour le trafic roulier pour les véhicules (RoRo) dans des villes comme Kribi, Conakry, Abidjan ou Lomé, premier port de conteneurs d’Afrique de l’Ouest. A cela s’ajoutent 2 700 kilomètres de concessions ferroviaires gérées par Bolloré Railways, des infrastructures vitales pour le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Bénin ou le Niger.
Pour MSC, c’est la poursuite du développement sur un continent où le numéro un mondial du transport par porte-conteneurs était déjà solidement implanté depuis plus de quarante ans, avec l’ouverture d’une ligne maritime Anvers-Mogadiscio. Le patron du groupe affirme vouloir conserver la totalité de ces actifs africains, et laisser son indépendance de gestion à BAL, qui restera dirigé depuis le siège francilien. « Avec cette opération, MSC confirme son intérêt pour l’Afrique, continent du futur, dont le potentiel est immense », assurait encore son patron à Jeune Afrique.
Numérisation très poussée
Le géant italo-suisse met en avant un objectif : améliorer systématiquement la productivité de ses terminaux, qui permettent de limiter l’immobilisation à quai de ses 650 porte-conteneurs.
Dans le contexte actuel d’un prix élevé des carburants maritimes, il est crucial d’optimiser la rotation des navires. Etre propriétaire donne aussi aux armateurs l’assurance que les leurs ont la priorité pour débarquer leurs « boîtes ».
« Cela nous donne une meilleure maîtrise de la chaîne d’approvisionnement », soulignait MSC au moment où il a manifesté son intérêt pour le groupe français.
L’acquisition de Bolloré Africa Logistics s’inscrit dans une stratégie d’intégration verticale suivie par les géants du porte-conteneurs : l’intégration transport maritime-logistique terrestre au dernier kilomètre, qui permet d’acheminer les produits des usines jusqu’au client final.
Elle passe par la création d’un réseau de terminaux portuaires serré pour ces « armateurs-logisticiens », assortie d’une numérisation très poussée de l’activité, dans laquelle le danois Maersk veut être leader.
Début décembre, le troisième armateur mondial annonçait l’acquisition de deux terminaux américains du port de New York-New Jersey, sans en préciser le montant.
Il s’agit d’« une zone stratégique qui dessert les chaînes d’approvisionnement du nord-est des Etats-Unis, et constitue la principale porte d’entrée de CMA CGM sur la Côte est et le Golfe du Mexique ». Fin 2021, il avait réalisé deux acquisitions majeures pour plus de 4 milliards d’euros : Fenix Marine Services, le troisième terminal de Los Angeles et une partie de l’américain Ingram Micro CLS.
Lemonde.fr