Puis, soudain, l’Afrique bascula dans le pire. À jamais, avec ce premier assassinat d’un chef d’État élu. En une nuit, le Togo avait changé de destin. Son assassinat, le 13 janvier 1963, a marqué le début des coups d’État sanglants, en Afrique. Le 60e anniversaire de l’élimination de Sylvanus Olympio, père de l’indépendance togolaise, a été largement évoqué sur RFI le 13 janvier. Mais c’est sur le profil de l’homme que vous souhaitez revenir tout particulièrement, aujourd’hui. Pourquoi donc?
Il était de ces leaders qui donnent à leur peuple l’envie de se surpasser. Son parcours, aujourd’hui encore, inspirerait la jeunesse africaine en quête d’excellence. Sylvanus Olympio a fait ses études dans l’une des plus prestigieuses institutions universitaires de la planète, la London School of Economics and Political Science. Avant d’entrer en politique, il avait eu une carrière professionnelle exemplaire chez Unilever, où il était l’un des rares Africains à devenir associé.
Un des intervenants, hier 13 janvier sur RFI, indiquait qu’il était l’un des dirigeants les mieux formés de l’Afrique indépendante. En fait, il était unique, dans l’ensemble de l’Afrique francophone, dont les dirigeants, à l’indépendance, étaient pour la plupart des instituteurs, des employés des postes ou des chemins de fer. Bien sûr, Léopold Sédar Senghor était agrégé de grammaire et Félix Houphouët-Boigny, formé, d’abord comme instituteur, est ensuite devenu ce que l’on appelait médecin africain.
Sylvanus Olympio, sûr de ce qu’il valait, agaçait passablement, avec ce que certains de ses pairs francophones décrivaient comme des airs anglo-saxons. Même dans les anciennes colonies britanniques, où nombre de chefs d’État avaient une formation universitaire, ce n’est que beaucoup plus tard que des pays comme le Botswana seront dirigés par des diplômés de cette même London School of Economics, dont est sorti Olympio, en 1929.
Il parlait Allemand, Anglais, Français, Portugais, Yoruba, Ewé, et d’autres langues africaines. De tous les États de la zone Franc, son pays était, jusqu’à son assassinat, le seul à afficher régulièrement des comptes sains et équilibrés. Ce leader visionnaire avait conçu le projet du port autonome de Lomé qui, 60 ans après, demeure le seul en eau profonde de la côte ouest-africaine.
Pour quels motifs assassine-t-on un tel leader ?
Certains retiennent qu’il avait attaqué de front le franc CFA. À Paris, nul ne s’était ému, lorsqu’Ahmed Sékou Touré choisit de créer une monnaie nationale. Certains ricanaient même, jugeant le leader guinéen trop impulsif, trop brouillon, disaient-ils, pour réussir. Mais, lorsque Sylvanus Olympio, avec le soutien de l’Allemagne fédérale, des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a voulu lancer sa monnaie nationale, ce fut perçu comme une déclaration de guerre. Car il aurait réussi, et sa réussite aurait pu en inspirer d’autres.
Il avait été assassiné moins d’une semaine avant le lancement de cette monnaie, et c’était la fin de tout. Cette issue était-elle planifiée ? À quelles fins avait-on muté au Togo cet officier français auquel répondaient les putschistes, et dont le pedigree se rapportait clairement à ses œuvres dans la répression du maquis de l’UPC, au Cameroun ?
Pourquoi, alors, n’est-il pas aussi connu que Lumumba, Nkrumah ou Sankara… ?
Parce que, sur ce continent, les discours marxisants portent davantage. Or, Sylvanus Olympio était un libéral assumé, qui a marqué son peuple de manière impressionnante. Il était d’ailleurs reconnu par les grands leaders de l’époque : Nikita Khrouchtchev, Josip Broz Tito…
En 1962, il était reçu à Washington par John Kennedy, qui est allé l’accueillir à sa descente d’avion, l’a reçu dans le bureau ovale et lui a offert un dîner de gala à la Maison Blanche, sans compter, ensuite, à New York, une parade sur Broadway. Honneurs auxquels n’ont eu que Félix Houphouët-Boigny et une toute petite poignée d’autres chefs d’État africains.
En mars 1962, Olympio était dans Meet The Press, encore aujourd’hui une des émissions les plus cotées de la télévision américaine. Puis, soudain, le 13 janvier 1963 : l’Afrique bascula à jamais dans le pire, avec ce premier assassinat d’un chef d’État élu. En une nuit, le Togo avait changé de destin.
Jean-Baptiste Placca