Au pouvoir depuis 18 ans, après avoir succédé à son propre père qui a dirigé le Togo d’une main de fer sans discontinuer pendant 38 ans, Faure Gnassingbé est à la tête de l’Etat en concentrant pratiquement tous les pouvoirs entre ses mains.Contre vents et marées, le chef de l’Etat togolais qui s’accroche au pouvoir et exerce actuellement son quatrième mandat, doit affronter trois défis majeurs, à la fois internes et externes, représentant de sérieuses menaces sur le régime et le pays.
Le premier défi est d’ordre intérieur
Il concerne le fossé qui s’agrandit chaque jour un peu plus entre une grande majorité de la population et le régime de Faure Gnassingbé. Arrivé au pouvoir de manière calamiteuse, avec un millier de morts à la clé, selon les organisations des droits humains, il pratique une gouvernance qui ne donne pas satisfaction et crispe les citoyens.
Le point noir de sa gouvernance est le niveau endémique que connait la corruption, ce qui affecte les Togolais dans leur quotidien. Une gestion prédatrice des ressources de l’Etat qui freine l’expansion et l’amélioration des services de base, et qui prive la population d’infrastructures de qualité. A cela s’ajoute les graves défaillances que l’on observe dans le fonctionnement de la justice et qui conduit des innocents en prison, y compris pour leurs opinions politiques. La privation de jouissance des libertés publiques est une autre raison de frustration de la population.
Face à cette situation, à laquelle s’ajoutent toutes les autres dérives de la République, les Togolais se révoltent régulièrement en organisant de grandes manifestations de contestation qui sont très sévèrement réprimées. C’est notamment le cas en 2005, 2012 et en 2017.
Les maux qui conduisent à ces manifestations sont toujours d’actualité, même si la colère est étouffée par des dispositifs gouvernementaux. Et la cherté de la vie vient augmenter le niveau de crispation de la population. La seule parade trouvée par le régime est d’interdire les manifestations depuis 2020. Confinés dans un espace civique réduit, empêchés d’exercer leurs droits élémentaires d’association et d’expression, combien de temps tiendrontencore les Togolais avant d’extérioriser à nouveau leur colère ? La cocotte est sous pression.
C’est dans cette circonstance que le chef de l’Etat vient de démettre de leur fonction, les trois premiers responsables des forces de défense : la ministre des armées, le chef d’état-major général des forces armée et son adjoint. On apprend également avec insistance à travers des informations publiées dans les médias qu’un ancien chef d’état-major général de l’armée vient d’être incarcéré.
Tout cela vient s’ajouter au crime dont a été victime le colonel Madjoulba, paix à son âme, à l’intérieur même d’un camp militaire. Meurtre non élucidé pratiquement trois ans après l’assassinat.
Cette succession d’événements concernant l’institution militaire est suffisamment inhabituelle, insolite et grave pour que l’on s’interroge sur ce qui ne va pas en son sein.Cette interrogation est d’autant plus légitime que ces limogeagesgroupés et cette arrestation interviennent au moment même où les Forces armées togolaises (FAT) sont très sollicitées pour affronter des groupes armés terroristes (GAT) en payant un lourd tribut. Ces GAT représentent le deuxième défi.
Le deuxième défi est une menace extérieure
Elle est présente de manière effective sur le sol togolais depuis novembre 2021 et elle s’intensifie au fil des mois. Le terrorisme cause de nombreuses victimes au sein de la population civile et parmi les militaires déployés au front dans le septentrion. La population déplacée par la peur, abandonnant ses activités champêtres, et l’état d’urgence instauré dans la région renforcent les conditions de précarité de cette population. Les conséquences du terrorisme affectent tous les pans de la vie quotidienne.
Quand on observe l’évolution de cette menace au Sahel, on se rend compte qu’elle sévit depuis une dizaine d’années et connait une expansion géographique.Faure Gnassingbé doit donc prendre des mesures qui s’imposent, tant sur le plan militaire, social, économique que politiquepour protéger la population et assurer son bien-être. C’est sa capacité à prendre ces mesures sans tarder et surtout à les rendre efficacesqui lui évitera de connaitre les conséquences politiques du terrorisme, telles que vécues par les présidents du Mali et du Burkina.Alors que pour le moment le terrorisme est confiné au nord, c’est une autre menace qui se joue tout au sud, dans les eaux territoriales.
Le troisième défi qui menace le Togo est la piraterie maritime
Seul port en eau profonde naturelle de la région, le Togo est grandement exposé à cette menace qui est prise au sérieux sur le plan international. En 2016, un sommet international sur la sécurité maritime est organisé à Lomé. Mais le fléau est loin d’être maitrisé.
Même si ces deux dernières années on ne note pas d’incident majeur dans la zone économique exclusive (ZEE) de l’espace maritime togolais, ce qu’il se passe au large dans les eaux internationales et dans tout le Golfe de Guinée de manière générale est de nature à impacter le Togo.
Dès 2010, la piraterie maritime a pris une dimension inquiétante dans le Golfe de Guinée, s’étendant du Sénégal dans la partie nord, jusqu’à l’Angola dans la partie sud. Ces dernières années, le phénomène s’amplifie et se déverse désormais dans les eaux internationales.
De gros efforts sont fournis par les pays de la sous-région pour endiguer le phénomène, accompagnés de pays occidentaux comme le Danemark, les Etats-Unis, la France, l’Italie et le Royaume Uni.
Le phénomène a pris une telle dimension que le Golfe de Guinée est devenu la zone maritime la plus dangereuse au monde en matière de piraterie depuis 2012, dépassant l’océan indien et le Golfe d’Eden des côtes somaliennes. D’après les chiffres de l’année 2020 produits par le Bureau Maritime International, 95% des enlèvements de marins dans le monde se déroulent dans le Golfe de Guinée. Un chiffre effrayant !
Cette situation n’est pour autant pas une fatalité. Il y a une quinzaine d’années c’était similaire dans le Golfe d’Eden. Aujourd’hui, ce fléau y est résiduel grâce essentiellement au déploiement massif d’un dispositif militaire porté par l’Union Européenne. Les Etats du Golfe de Guinée doivent renforcer leur coopération et améliorer la capacité opérationnelle des militaires déployés en mer.
Que devrait faire Faure Gnassingbé ?
En 18 ans de pouvoir, la seule menace directe qui pesait véritablement sur le pouvoir de Faure Gnassingbé est la colère des Togolais. Si par la violence et la roublardise, le régime a pu jusqu’à présent contenir le mécontentement des Togolais, ces méthodes ne fonctionneront pas avec les deux autres menaces.
D’ailleurs, le chef de l’Etat gagnerait à revoir les fondements de sa relation avec les Togolais, s’il veut se donner de sérieuses chances de prendre le dessus sur les menaces de terrorisme et de piraterie maritime.
S’enfermer dans un jusqu’au-boutisme politique, comme c’est le cas jusqu’à présent, serait la pire des options pour son régime et pour le peuple Togolais.
Le bon sens voudrait qu’il tienne compte de cette réalité.
Gamesu
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais