Immobile dans son siège, il avait eu du mal à se tenir. Se lever ou effectuer un mouvement quelconque, est pour lui chose pénible. Il souffre des maux de colonne vertébrale et du cou. Lui qui a un état de santé inquiétant, devrait reprendre du service au lendemain de notre rencontre, avec l’idée du risque qui l’attend. Mais il n’avait pas le choix. KodjoAtan (un pseudonyme pour respecter l’anonymat de notre source), comme d’autres agents traînent avec des sequelles; il travaille à Lomé Container Terminal en tant qu’opérateur. « 12h dans une posture courbée, c’est trop. Alors qu’avec les secousses et les vrombissements, il est risqué de cumuler 4heures sur une grue à une longue hauteur. Dans l’intervalle de 8 heures, on n’a qu’une heure de pause. 8h sur des machines détruisent la santé (maux de dos, de côtes, de reins…) », peste-il.
« LCT (Lomé Container Terminal), un partenariat sino-européen (Ndlr, association 50/50 entre China Merchants Holdings (CMHI) et Global Terminal Limited (GTL), acquis en 2012 par la Terminal Investment Limited (TIL), est le nom de la société ayant signé une convention avec l’État du Togo pour réaliser un projet comprenant la conception, le financement, la construction, la gestion et l’exploitation du terminal privé au port de Lomé) à qui la construction du quai de 300 milliards FCFA est confiée avec un bail de 35 ans. Un renouvellement de 10 ans est possible. Cette société intervient dans la manutention des conteneurs et est spécialisée dans le transbordement pour ne pas concurrencer Togo terminal. L’armateur principal et client de la société MSC (Mediterranean Shopping Company), elle est le 2ème mondial pour le transport des conteneurs. Dans le contrat, la société dégage 5 millions d’euros versés à l’Etat chaque année », écrivions-nous il y a quelques années.
Désillusion. Cette structure portique qui a démarré ses activités en octobre 2014 emploie plusieurs Togolais à qui elle propose un contrat à durée indéterminée. Un paradis offert pour des milliers de Togolais en chômage ? Au port togolais en eau profonde, c’est un véritable enfer sur l’océan atlantique : des décès, des malades à vie. Les principaux maux qui rendent, à jamais et pour toujours, inactifs les opérateurs portiques de grue sont des douleurs du cou, lombaires, de la colonne vertébrale ou dorsales. Seulement en quatre (04) années d’activité, le quotidien des employés nationaux est auréolé de cauchemar. Les mesures de sécurité adéquates ne sont pas garanties. Les emplyés sont privés des notices d’utilisation des machines. Alors que certaines victimes paralysées et hémiplégiques sont restées cloitrées sur leur lit, un employé fraîchement revenu de stage en Lituanie a été enterré le 12 avril dernier. Un troisième décès de trop à LCT. Selon des documents d’expertise, les maladies professionnelles des conducteurs sont relatives aux « affections provoquées par les vibrations et chocs transmis par certaines machines-outils, outils et objets et par les chocs itératifs du talon de la main sur des éléments fixés, affections chroniques du ranchos lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes ».
« En effet le système de travail actuel (trois opérateurs pour deux grues) a des répercussions graves sur notre santé. L’exemple le plus palpable est le cas de nos deux collègues malades au sein du corps STS, dont les états sont critiques. Il urge de les évacuer dans un hôpital spécialisé pour un traitement adéquat. De plus, on note la mort de l’un des meilleurs opérateurs récemment. Tous ces cas (en moins de quatre ans), il faut le rappeler, sont dus aux conditions de travail. Ces dernières sont les mobiles de la dégradation de notre santé et l’instabilité de notre état psychologique, car nous nous posons la question suivante : à qui le tour ? Les conditions techniques de travail laissent à désirer. Les sièges des STS ne sont plus ergonomiques, car immobilisés par des fils de fer, ce qui oblige le conducteur à adopter une mauvaise posture, situation qui contribue à la détérioration de notre santé ». Tel est le cri de détresse des employés du LCT qui, depuis un certain temps, expriment leur ras-le-bol à travers des mouvements d’humeurs tous azimuts. Et pourtant selon les règlementations et les normes au standard international, « l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger les travailleurs ».
Les agents demandent : « que soit programmés deux opérateurs par engin, afin de préserver (leur) santé pour un meilleur rendement», et, « pour éviter ces conséquences négatives, (exigent) le renouvellement de l’équipement de travail : sièges et ceintures de sécurité des opérateurs, des combinés téléphoniques, des caméras… ». Mais les néo-négriers sino-européens préoccupés tout simplement par leurs intérêts, restent indifférents à cette situation alarmante.
Au vitriol. Débarqué en néo-négrier au Togo en août 2017 à la tête du LCT, le Chilien Pablo Andres Alvarado Salinas installe son empire. En 10 mois, sa gestion de la structure est passée au vitriol. Troisième DG, il remet à terre le peu d’avantageS acquis au temps de ses prédécesseurs. L’un de ses premiers actes, la suppression des heures supplémentaires. De novembre à décembre derniers? les salaires ont baissé. De négociation en négociation, il campe sur sa position et refuse de reculer. Dans la structure la tension monte. Les opérateurs réclament leur « droit acquis ». La nouvelle direction qui maintient sa position, propose un taux forfaitaire et exclut des heures supplémentaires, ceux qui sont en congé ou absent. Alors que « cela devait être permanent et concerner tout le monde, surtout que si la personne est en permission, étant donné que les congés font partie du droit de travail », s’indigne-t-on. Avec la pression, les choses ont évolué.
A l’issue de ce bras de fer, un semblant d’accord a été trouvé, le 18 mai dernier. « En vertu de cet accord, la direction de LCT accepte la proposition faite par les représentants du personnel, à savoir le retour au système de 12 heures travaillées par shift pour les travailleurs concernés des opérations et techniques. Conséquemment, la rémunération des quatre (04) dernières heures du shift sera payée au taux horaire en vigueur au sein de LCT. Les présents engagements seront appliqués pour une période de trois (03) mois allant du 18 mai 2018 au 17 août 2018 ».
Mais curieusement, le 24 mai, le tout-puissant Chilien qui refuse de signer les procès-verbaux des réunions avec les délégués du personnel, a décidé de ne plus discuter avec eux. Il préfère, selon des sources, négocier directement avec les agents. « Il a un plan de licenciement. Puisqu’il ne peut délibérément virer les délégués qui sont couverts par les lois, il cherche le pou sur les cranes des employés en voulant discuter directement avec les agents. Et celui qui pourrait s’opposer aux desiderata, on trouverait des arguties pour l’exclure », explique une source. D’ailleurs, Par le truchement de l’ANPE, il a fait publier une offre d’emploi avec pour mention particulière « être disposé à travailler des quarts de 12 heures dans un groupe de 3 opérateurs pour deux grues ». Un sujet qui d’ailleurs fait l’objet de débrayage au sein de la structure. Cette offre qui, selon les indiscrétions, aurait été suspendue provisoirement grêce à la pression des autorités togolaises, était destinée au remplacement des agents « rebelles » qui sont sur la liste noire de M. Pablo.
« LCT avait tout mis en œuvre pour attirer les employés. De ses installations en passant par les CDI et les salaires proposés, tout paraissait parfait pour tout jeune togolais et très vite. Se faire recruter à LCT relevait de l’exploit et signifiait la garantie d’une vie professionnelle accomplie. Loin de cette image parfaite, les tout premiers mois ont donné le tempo de ce que serait la vie à LCT: rythme de travail insoutenable, les heures supplémentaires effectuées mais non prévues par le contrat de travail n’étaient pas payées. Dans cette ambiance, il n’a pas fallu longtemps pour que les salariés commencent à se demander s’ils ont fait le bon choix ou pas, mais impossible de revenir en arrière car pour mieux lier les gars, on a permis à tout salarié de faire un prêt en banque. Donc puisqu’ils ne peuvent se sortir de ce piège qu’est LCT, il faut affronter ses problèmes. Les revendications de primes et de payement normal des heures supplémentaires ont commencé avec des ralentissements de cadence de travail. Le courant de l’année 2015 a été très mouvementé et la mise en place du syndicat et des délégués du personnel était aussi importante pour les employés que pour LCT. Voyant la menace venir, il fallait écarter lesrésistants », se désole un ancien employé de la structure.
Malversations. A LCT, outre les conditions tueuses, il faut compter avec des faux diplômes, des permis de conduite falsifiés et un personnel fictif. Les promotions sont très discriminatoires. EkluSassou Deo, Directeur des ressources humaines, accusé de malversations financières a été débarqué. Il est accusé d’être le cerveau d’un réseau de passeurs qui prennent de l’argent (entre 300 000 F et 500 000 F) aux candidats pour les faire recruter. Un audit qui aurait été réalisé au sein de la société révèle le scandale. « Il a été remarqué par la nouvelle direction que le DRH gérait les ressources humaines comme une affaire privée. Les bulletins de paye ne sont pas à jour et ont révélé des anomalies, notamment des écarts significatifs de salaire pour des agents de même poste; la cantine ouverte pour empêcher de payer les primes de panier aux agents a visiblement permis de détourner beaucoup d’argent (LCT virait 22 millions par mois au prestataire alors qu’il encaissait réellement 8 millions). Un agent interpelé par la gendarmerie pour avoir pris 3 800 000 FCFA chez des gens pour les faire recruter a, au cours de son interrogatoire, avoué l’implication de la RH, donc son Directeur et de certains agents dans cette arnaque. Ce dernier fut licencié, mais voulant se venger, il a proféré des menaces à l’endroit de son ex-mentor à travers des audio », confiait une source.
Mais contacté, M. Eklu a laissé entendre qu’il n’a pas été licencié, mais c’est lui-même qui rendu le tablier. A l’en croire, il « ne partage pas la même vision » avec le nouveau directeur dot il critique la gestion. Il a, par ailleurs, nié son implication dans ce scandale de recrutement fictif. En effet, selon une convention, c’est l’ANPE qui recrute pour LCT. Et selon Eklu, c’est l’ANPE qui envoie les dossiers que le département des ressources humaines réceptionne et il fait un rapport à la Direction. La liste est arrêtée et signée par la Direction Générale, le département des opérations et la Direction des ressources humaines.
Mais en attendant que cette affaire ne soit tirée au clair, les conditions de travail à LCT continuent de faire des casses. Contacté par L’Alternative, le DG Pablo Andres Alvarado Salinas, qui, (après nous avoir passé à un de ses assistants) a promis nous revenir, était par la suite injoignable.
source : L’Alternative-Togo