De Lomé à Kara, au sein des deux seules universités publiques du pays, le torchon brûle ces derniers temps entre présidents d’université et chercheurs. Coup sur coup, deux affaires se succèdent et défraient la chronique. Ce qui n’est pas de nature à préserver la sérénité dont ces lieux ont besoin pour la formation des futures élites du pays. Cette situation est préoccupante et affligeante. D’ailleurs, cela me renvoie à mes propres expériences et constats.
Je rends de temps en temps visite à un professeur d’université, sur son lieu de travail. Un monsieur, jeune et brillant dans son domaine, pour qui j’ai un grand respect. Le genre de personnes compétentes qui peuvent être bien utiles au pays.
Sauf que, ce dernier croupit dans son bureau exigu et se sent surveillé dans ses moindres faits et gestes. Il a perdu ses illusions de jouir d’une évolution de carrière à la hauteur de ses capacités. Ses ambitions, pour lui-même et pour son pays, s’éteignent à petit feu, rongées par la peur et le désintérêt. Le motif est qu’il n’est ni militant ni sympathisant du parti présidentiel.
C’est sa profonde conviction. Il ne dispose pas d’un « parrain » au sein du régime pour protéger et booster sa carrière, comme certains de ces collègues dont il se méfie comme de la peste. Contrarié, frustré et abattu, il est démotivé, résigné et aigri. Un vrai gâchis pour lui, pour sa famille et pour le pays tout entier !C’est ce désastre que vit la majorité des intellectuels au Togo. Ces potentiels éveilleurs de conscience sont surveillés par la puissance publique comme du lait sur le feu. Une trop forte proximité avec un acteur politique de l’opposition peut être source de tous les ennuis professionnels. Alors, ils s’autocensurent et se font discrets. Ils coupent les liens avec les amis qui sont en politique, dans l’opposition, cela s’entend.
La conséquence directe est que ces universitaires évitent soigneusement de s’exprimer sur les questions de politiques publiques. Dans d’autres pays de la sous-région, les intellectuels écrivent des tribunes, ils analysent et donnent leurs opinions sur les choses de la cité. Cela nourrit la réflexion et interpelle les dirigeants du pays, car leurs savoirs leur donnent une légitimité et une notoriété. Le faire au Togo, c’est se tirer une balle dans le pied et hypothéqué sa carrière. Car, une prise de position, ou un simple avis technique est considéré par le pouvoir comme une critique, donc l’auteur devient de facto une cible. C’est là un comportement typique des adeptes de la pensée unique.
Alors, ces penseurs se murent dans un silence qui n’est pas d’or. Sauf quelques perles rares qui relèvent le défi en écrivant régulièrement dans les médias. Maryse Quashie, Roger Folikoué et Togoata Apedo Amah, j’en oublie peut-être, sont de ces espèces que l’on cherche à la loupe. Je leur tire un coup de chapeau.
C’est ainsi qu’à bas bruit et à moindre frais, de manière pernicieuse et redoutablement efficace, le régime s’octroie le mutisme de ces universitaires qui voient leur cité dépérir, le cœur brisé. Certains de leurs collègues, pour échapper à ce triste sort, se précipitent dans les bras ouverts du pouvoir qui leur réserve les meilleurs parcours, souvent au prix de l’alignement sur les convictions d’autrui. On en voit même qui deviennent très zélés dans le système et tyrannisent leurs malheureux collègues. Le syndrome de l’Oncle Tom s’applique à plein régime. C’est à qui matera le mieux ceux qui ne veulent pas se soumettre. Il faut plaire au grand chef.
Ainsi va au Togo, la République des intellectuels bâillonnés. Il faudra bien qu’un jour ces universitaires osent retrouver leur voix et la responsabilité qui est la leur dans la construction de la cité. C’est une question de dignité, c’est une question de valeurs. Le choix leur revient !
Gamesu
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais.