Depuis le lancement de la mobilisation populaire, Faure Gnassingbé fait preuve d’impassibilité devant les aspirations légitimes du peuple togolais et donne l’impression d’avoir toujours le contrôle du pouvoir. Mais sa situation actuelle est loin d’être enviable. Contrairement à une époque récente où il pouvait compter sur des soutiens tous azimuts, l’homme est seul dans la voie périlleuse pour laquelle il a opté, carrément isolé. Il ne saurait compter que sur les soutiens de certains galonnés de l’armée et de la minorité pilleuse qui en fait, défendent leurs intérêts.
C’est une constance, lorsque Faure Gnassingbé se retrouvait en situation, il avait la chance de voir des personnalités étrangères lui venir en aide. L’exemple palpable, c’était en 2006 où la communauté internationale était venue à son secours, au lendemain des violences meurtrières d’avril 2005 qui avaient fait un millier de morts et où il lui était impossible de gouverner dans le climat politique lugubre de l’époque, même s’il avait l’effectivité du pouvoir. C’est alors que les diplomates occidentaux l’avaient convaincu d’organiser un dialogue qui aboutira plus tard sur l’Accord politique global (APG) lui ayant accordé la légitimité manquante. Aujourd’hui les populations aspirent à l’alternance et exigent le retour à la Constitution de 1992, le vote de la diaspora, des réformes électorales, mais surtout son départ. Son pouvoir est sérieusement contesté par le peuple togolais qu’il prétend l’adouber depuis trois élections. En ce moment où il traverse une situation difficile, il a plus que besoin de soutiens. Mais il ne voit personne lui venir au secours. Bien plus, il est lâché par ses potentiels soutiens à l’international.
Isolement à l’international, bataille médiatique perdue…
La plupart des gouvernants de la région ouest-africaine, du continent ou du monde ont décidé de rester muets sur la situation du Togo. Un silence déjà illustratif de l’isolement de Faure Gnassingbé par ces derniers et de l’inconfort de sa situation. A une autre époque, ils seraient déjà intervenus en sa faveur. Mais comme pour ne rien arranger, ce sont des anciens présidents africains qui se prononcent et prennent le parti du peuple. John Jerry Rawlings et Olusegun Obasanjo ont eu le courage de briser le silence et prendre clairement position. La sortie de l’ancien président nigérian est d’une grande portée lorsqu’on sait que ce dernier fut l’un des soutiens à la montée au trône du Prince en 2005. C’est d’ailleurs sous sa coupole que Faure Gnassingbé et Gilchrist Olympio étaient allés sceller à Abuja un deal sur le dos du peuple. Ces deux dirigeants n’ont juste manqué que de dire ouvertement à leur cadet de quitter le pouvoir.
Dans ces genres de situations, les présidents africains, au nom de la solidarité tacite de règle dans leur syndicat, n’hésitent pas à voler au secours de leur frère. Mais difficile pour Faure Gnassingbé de bénéficier de l’assistance d’un seul de ses pairs pour avoir grugé certains. Il nous souvient qu’Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire, John Mahama du Ghana, Goodluck Jonathan du Nigeria, dans le but de dissuader l’opposition qui menaçait de boycotter les élections sans la mise en œuvre des réformes de l’APG, avaient mis en jeu leur notoriété et pris l’engagement que Faure Gnassingbé allait s’exécuter après ces scrutins, comptant sans doute sur sa bonne foi. Mais leur protégé n’a jamais honoré sa parole, les faisant ainsi passer aux yeux de l’opposition et du peuple togolais pour des bonimenteurs. Seul son ami Ibn Chambas a tenté de le secourir ; mais ce dernier a été presqu’éconduit par les leaders de l’opposition qui lui ont simplement demandé d’aller dire à son mentor de quitter le pouvoir. Même Louis Michel, l’éternel démarcheur du pouvoir de Lomé n’est pas encore entré en scène pour lui. Seuls les fils à papa, comme Ali Bongo et Joseph Kabila pourraient le défendre. Mais ces derniers sont aussi en situation et ne sauraient avoir du temps pour lui.
Toujours dans le sillage de son isolement et de son impopularité, Faure Gnassingbé a aussi perdu la bataille médiatique. Il lui était loisible de se faire ripoliner l’image dans de grands médias internationaux, à grands frais. Des pages étaient achetées dans des journaux, ainsi que des passages dans des émissions télé ou radio. Mais depuis un moment, le Prince est bien au fond du trou. La couverture médiatique faite des manifestations populaires au Togo depuis le 19 août dernier n’est pas à son avantage. Pour une fois, les médias français qui n’ont pas habitué le peuple togolais à le suivre dans son combat pour l’alternance, ont unanimement choisi de défendre la démocratie. C’est par dépit que le pouvoir a retiré à la consœur Emmanuelle Sodji son accréditation. Mais cela n’empêche pas France 24 et TV5 de continuer sur leur lancée concernant la couverture de l’actualité politique au Togo. Parallèlement, les interventions des invités sur les chaines françaises contribuent à enfoncer davantage le régime Faure Gnassingbé. Le seul qui se bat, comme un beau diable, pour le défendre, c’est Pâcome Adjourouvi, son nouveau conseiller. Mais Dieu sait s’il arrive à se convaincre lui-même…
Contexte régional défavorable
A une autre époque, Faure Gnassingbé aurait vu des dirigeants voler en masse à son secours. Mais ce qui fait aujourd’hui la complexité de sa situation, c’est le contexte régional en termes de démocratie qui ne plaide pas en sa faveur. Parlant de contexte, on fait allusion à l’enracinement de la démocratie au sein de l’espace et à l’effectivité de l’alternance.
En effet, la sous-région peut s’enorgueillir de voir l’alternance s’être réalisée dans (presque) tous ses pays. Le Togo et la Gambie étaient les (seules) exceptions de la CEDEAO. Mais ce dernier pays a faussé compagnie au 228 depuis le départ de Yahya Jammeh et la montée au pouvoir du président élu Adama Barrow. De fait, le Togo est la seule plaie de la sous-région, l’unique pays où l’alternance ne s’est jamais réalisée. Ici, c’est un seul clan, le RPT/UNIR, une seule famille, les Gnassingbé, qui sont au trône depuis un demi-siècle. Après le père qui a fait à lui tout seul trente-huit (38) ans au pouvoir et ne l’a quitté que par la mort, le fils est à son 3e mandat et ne compte pas lâcher prise. Bien au contraire, il manœuvre pour s’accrocher.
Personnellement, Faure Gnassingbé n’a rien fait pour se mettre l’opinion de la sous-région dans la poche. En mai 2015 au cours d’un sommet de la CEDEAO à Accra au Ghana, il avait refusé de signer le protocole par lequel l’instance voulait uniformiser à deux la limitation des mandats présidentiels dans les pays de l’espace. C’était en compagnie de son pendant gambien de l’époque, qui a fini par quitter le pouvoir. Aujourd’hui, malheureusement, c’est Faure Gnassingbé, celui-là même qui s’oppose à la limitation des mandats, qui préside aux destinées de la communauté. C’est le même obscurantisme dont il fait preuve dans son pays, en refusant depuis la signature de l’APG, 11 ans donc, de mettre en œuvre les réformes constitutionnelles et institutionnelles.
Au-delà de la litanie d’exigences posées par les populations togolaises, à savoir le retour à la Constitution de 1992, le vote de la diaspora, les réformes électorales, c’est l’alternance au pouvoir qui est réclamée. Et dans ce noble combat, c’est normal que le peuple ait des soutiens au sein de la communauté internationale. Du moins Faure Gnassingbé ne saurait en bénéficier dans sa voie périlleuse de s’accrocher au pouvoir « adviendra que pourra »…
Tino Kossi
Source : Liberté No.2515 du 13 septembre 2017