Une rencontre a été envisagée avant d’être vite annulée début septembre. Le président togolais au pouvoir depuis 15 ans est le seul chef d’Etat ouest-africain et ne pas être reçu par Macron. Bien que le président français et son homologue se soient retrouvés sur un même forum consacré à l’environnement, l’Elysée ne veut pas en faire un hôte. Si Dussey a réussi à embobiner l’Allemagne, la Belgique et dans la moindre mesure les États-Unis, Londres et Paris traînent les pas malgré les 4 visites de Franck Paris, « Monsieur Afrique » de Macron à Lomé. Et à la veille de la présidentielle, Paris tient Lomé à l’œil, de près.
Paris. Après un long séjour à Yokohama au Japon (près d’une semaine contre 3 jours en moyenne pour ses homologues), le président togolais est arrivé à Lomé un mardi soir. Pour une courte durée. Vendredi après midi, il est de nouveaux reparti pour arriver samedi matin à Paris. Accueilli discrètement au Bourget par quelques protocoles du Quai d’Orsay, longtemps hostile aux autorités togolaises, Faure Gnassingbé a eu quelques rencontres. Puis, l’audience envisagée avec Macron ne devant pas avoir lieu, le président togolais s’envole pour la Chine (Shanghai) et Sri-Lanka. Une habitude pour ce chef d’État qui passe plus de temps en l’air que nulle part. Reçu en amont en juillet dernier par son homologue français, le ministre togolais des affaires étrangères voulait d’une visite officielle. Avant d’annoncer la candidature prochaine de Faure Gnassingbé sur les ondes de Radio France Internationale (RFI). Depuis, la réticence a repris la loi à l’Elysée. Sous la pression des fonctionnaires du Quai d’Orsay. « Les diplomates français du Quai d’Orsay ne m’ont jamais été favorables, avec l’Elysée, je n’ai aucun problème » avait confié Faure Gnassingbé à l’auteur de ces ligne, lors d’un bref échange. Plusieurs années après, la situation ne semble pas avoir évolué.
4e mandat sur table
C’est la principale préoccupation de la France. Fin septembre 2017, en pleine géantes manifestations au Togo, Franck Paris était venu, par vol commercial à Lomé négocier une porte de sortie qui « réponde aux attentes du peuple togolais« . Il a reçu une fin de non recevoir de la part du président togolais qui a rechigné contre « une maladroite ingérence». Depuis, les temps ont changé. Le responsable Afrique de l’Elysée est arrivé pas moins de 4 fois à Lomé et entretient avec Faure Gnassingbé des relations « amicales » et à la limite, suspectes. Sur la question du 4e mandat, Faure Gnassingbé a été clair, « je respecterai la constitution » laisse-t-il entendre subtilement à Franck paris, sachant bien qu’un récent passage en force constitutionnel lui permet de briguer encore deux mandats. Une possibilité devenue une sacrée rengaine pour Gilbert Bawara, son porte-parole qui n’a pas effectué le déplacement de Paris. Trop chargé à d’autres « missions à Lomé» .
A titre personnel, point de doute, aussi bien pour la Guinée que pour le Togo, Macron veut une alternance. A 40 ans, le président français est né sous le régime des Gnassingbé. Sauf que le président togolais tient son pouvoir et entend le renforcer en vue de la présidentielle de 2020. Avant de quitter Lomé, le président togolais s’est assuré de pas moins de 85 communes pour l’Union pour la République (Unir). La majorité présidentielle devrait, par tous les moyens, l’argent en premier, raflé partout où il sera possible dans le sud du pays alors que le nord lui est largement acquis. Et c’est ce qui arriva. Une prochaine visite de Franck Paris est prévu novembre-décembre à Lomé alors que lors de la rencontre annuelle avec les ambassadeurs de France dans le monde, Macron a insisté sur l’urgence de voir la situation avancer au Togo, promettant utiliser la même stratégie qu’en République démocratique du Congo (RDC).
Le « dauphinat » est aussi d’actualité
Le président togolais est allé à Paris puis en Asie avec Kodjo Adédzé. Le ministre du commerce et vice-président du parti présidentiel a toujours été ressenti comme un potentiel dauphin de Faure Gnassingbé. Si le président togolais qui entend, quoiqu’il arrive, briguer un 4e mandat ne songe pas à se trouver un remplaçant, il n’en écarte pas totalement l’idée. Un mois plus tôt, le même Macron recevait Alassane Ouattara. Le président ivoirien était allé présenter, subtilement, Amadou Gon Coulibaly dont presse et réseaux de lobbying disent qu’il est le prochain candidat de la majorité présidentielle. S’il faut attendre la convention du rassemblement des houphouêtiste pour le développement et la paix (Rhdp) début mai 2020 pour que le candidat soit officiellement désigné, des signes annonciateurs se multiplient en faveur de l’actuel Premier ministre ivoirien. Dans la même lignée, le président togolais qui s’obstine à enchaîner des mandats veut ainsi faire bonne mine. Est-il allé avec celui qui pourrait être son dauphin, comme pour dire, « je ne suis pas aussi attaché au pouvoir que ça», un trompe-œil qui n’a pas fait mouche puis que la rencontre avec Emmanuel Macron n’a pas eu lieu et ne devrait pas intervenir avant la présidentielle. « Est-ce que je l’ai reçu ? Non, je ne l’ai pas reçu » avait insisté le président français pris à partie par un Togolais de la diaspora, parlant de Faure Gnassingbé, lors d’un voyage au canada. Contesté par les lobbies kabyè, ethnie du chef de l’État et une large partie de l’armée, Kodjo Adédjé souffre aussi d’une calamiteuse gestion de l’Office Togolais des Recettes (OTR) dont il a crucifié toutes les ambitions par ses compétences limitées mais aussi son obsession pour les pasteurs impudiques et son naturel penchant pour le népotisme et les petites malversations. Lesquelles malversations sont malicieusement classées, en musée de dérives, dans une nébuleuse rubrique de « Urgences d’Etat » qu’il traîne comme pour dire « quand je vole, j’utilise pour nous« .
Un mauvais signal pour l’Afrique
Il y a en Afrique une légère régression de la démocratie ces dernières années. Une visite de Faure Gnassingbé à l’Elysée serait un mauvais signal pour l’Afrique dont la jeunesse avait mis tout espoir dans la politique africaine de la France. En se démarquant, lors de ses divers séjours en Afrique, de la politique à l’ancienne et surtout, en tenant un langage « jeune » Macron a marqué la jeunesse africaine de Ouagadougou à Accra en passant par Rabat. Mais depuis, l’assouplissement de ses prises de positions indispose les sociétés civiles africaines qui y voient un retour à l’ancienne. L’Elysée n’a, à aucun moment, exprimé sa désapprobation de la politique récente de Patrice Talon au Bénin. Le chef de l’État béninois a, non seulement éclaté et dispersé toute son opposition, mais il a aussi aboli la démocratie et mis en débâcle les institutions (Cour constitutionnelle, cour suprême, Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication etc.…) sans le moindre rappel public à l’ordre de l’Elysée qui s’est contenté d’ajourner une visite d’Etat de Talon en préparation. Idem au Sénégal où Macky Sall s’est choisi les candidats de ses humeurs pour la présidentielle de février dernier. Sans que Macron n’élève le petit doigt. Le retour en force de Denis Sassou Nguesso, Idriss Déby ou encore Paul Biya qui ont été tous, à tour de rôle reçu à l’Elysée a de quoi inquiéter d’autant que le responsable Afrique de l’Elysée multiplie des séjours de courtoisie dans les palais africain, entre Lomé, Libreville, Abidjan, Dakar ou encore N’djamena au point, selon des récriminations de certains de ses collaborateurs, « de se faire l’ami des dictateurs« .
Malgré la «force» de la «démocratie» togolaise ces dernières années, le grand réseautage de Robert Dussey, le remarquable arsenal de lobbying de Reckya Madougou, ancienne ministre béninoise devenue conseillère spéciale avec rang de ministre au Togo, l’institut Tony Blair et tous les sorciers blancs, Macron ne lâche pas l’affaire. A 40, il quittera le pouvoir avant ses 50 ans tout au plus, comment pourra-t-il comprendre qu’il faille soutenir Faure Gnassingbé au-delà des 55 ans qu’il cumule avec son feu père ?
MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Lomé
Source : Afrika Stratégies France