Le Togo fait face depuis quelques années à la menace terroriste. Face à ce phénomène, le Togo répond par des mécanismes sécuritaires et de renseignements adéquats. Dans une interview accordée à nos confrères de sputniknews, le Général Yark Damehame, ministre de la Sécurité, est revenu sur les dispositifs mis en place pour lutter contre ce fléau. Il a également évoqué les autres dangers qui planent sur le pays, notamment, piraterie maritime, drogue, cybercriminalité… Outre la zone tampon établie dans le nord, depuis l’année 2019, à la faveur de l’opération Koundjoare, il associe les mécanismes de coopération régionale à une architecture de renseignement locale pour obtenir qu’en 2021 le pays soit complètement quadrillé.
Sputnik: Le Togo participe à la lutte contre le terrorisme au Sahel. Même s’il n’est pas touché directement, des rapports de presse mettent en garde contre un terrorisme latent porté par des associations caritatives et des financements douteux qui favorisent un discours radical. Qu’en est-il?
Général Yark Damehame: Le Togo est un pays ouvert au monde. Depuis les années 1970 et 1980, certaines ONG à caractère islamique procèdent à la construction de mosquées, de puits, ou réalisent d’autres actions caritatives. Leur existence juridique est soumise à un système d’approbation et le gouvernement exerce, en aval, un contrôle sur leurs activités.
Certaines d’entre elles construisent des écoles coraniques où le Coran est enseigné, de même que parfois des études islamiques en arabe. Là également, elles sont suivies de près. Au moindre dérapage, les autorités sont alertées et des dispositions sont prises pour mettre fin aux dépassements. Je précise d’ailleurs que le gouvernement togolais vérifie même la traçabilité des financements de ces structures. Généralement, ces fonds proviennent des pays du Golfe, notamment d’Arabie saoudite.
Dans quelle mesure le Togo est-il à l’abri de terroristes pouvant franchir sa frontière nord, depuis le Burkina Faso?
Depuis 2018, le Président de la République, chef des armées, a instruit l’état-major général des armées qui a mis en place dans la partie septentrionale du pays une zone tampon. Son idée était d’anticiper et d’éviter que les djihadistes du Sahel comme du Burkina Faso ne se replient justement chez nous. Il s’agit de l’opération Koundjoare grâce à laquelle le Togo a pu intercepter, en mai 2019, certains de ces djihadistes en fuite du Burkina et les confier aux bons soins de Ouagadougou.
Quels mécanismes antiterroristes sont prévus à l’échelle régionale?
Aucun pays ne peut vaincre seul le terrorisme. Il faut donc une certaine collaboration, au vu notamment du principe de la libre circulation des personnes et des biens qui règne dans la région. Ainsi, il est tout à fait possible que vous partiez du Liberia pour arriver au Nigeria sans croiser une seule unité de police! Mais il ne faut pas que cela profite aux terroristes. En 2018, le Burkina Faso a donc pris cette initiative de regrouper les ministres des Affaires étrangères, de la Défense et de la Sécurité du Niger, du Togo, du Bénin et du Burkina Faso pour mettre en place un système d’échange d’informations. Grâce à cette mesure, notre dispositif tampon (opération Koundjouaré) aidant, on a pu arrêter des djihadistes qui fuyaient le Burkina pour se réfugier sur notre territoire
Il y a aussi l’initiative d’Accra née en 2017 de la volonté des Présidents du Ghana et du Togo et regroupant pas moins de sept pays d’Afrique. Elle permet des échanges d’informations entre les chefs des services de sécurité et des services de renseignement des pays membres. Ils se regroupent chaque mois par rotation dans l’un des États membres.
Souvent, les premiers signes de radicalisation, les premières actions qui conduisent aux attentats peuvent être relevés à l’échelle des petites localités. Qu’avez-vous prévu à cet égard?
À l’échelle locale, la collaboration des citoyens reste déterminante pour nous! Les populations sont incitées à informer les forces de police dès qu’une personne qu’elles ne connaissent pas vient s’installer dans leur entourage et qu’elle présente un comportement douteux.
En parallèle, des comités interministériels de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent (Ciplev) sont en cours d’installation dans toutes les régions du pays pour faire remonter les informations vers les services de sécurité dès qu’il y a quelque chose de suspect.
Ces installations vont se poursuivre en 2021 pour que l’ensemble du pays soit quadrillé et la résilience de nos concitoyens renforcée
Le Togo a accueilli en 2016 un sommet international contre la piraterie maritime. Mais des actes de piraterie continuent d’être enregistrés dans les eaux territoriales. Que sait-on aujourd’hui sur l’identité de ces pirates?
Tout ce que l’on sait, selon les témoignages, c’est qu’il s’agit de Subsahariens anglophones. Il convient cependant de lever une équivoque: la plupart des actes de piraterie sont enregistrés, en réalité, au-delà des eaux territoriales togolaises et pas dans nos eaux. Certes, les pirates arrivent parfois à atteindre nos eaux et malheureusement, le temps d’intervenir, ils prennent la fuite à bord de vedettes très rapides.
En tout cas, compte tenu de ces actes de piraterie fréquents dans le Golfe de Guinée, des chancelleries occidentales déconseillent aujourd’hui à leurs concitoyens la navigation de plaisance au large des côtes togolaises.
Ces chancelleries ont fait leur choix, cela n’empêche que des navires arrivent toujours en grand nombre dans notre port et tous les jours que Dieu fait. Certaines avaient aussi déconseillé à leurs ressortissants de se rendre dans le nord du Togo, du Bénin et du Ghana après que des Français ont été enlevés au Mali. Tout pays est souverain dans les consignes qu’il adresse à ses citoyens. Je n’ai pas de commentaires là-dessus. Mais nous affirmons que les eaux togolaises sont assez sécurisées grâce à la coopération maritime avec les pays voisins et aux dispositifs nationaux permettant de veiller sur les bateaux qui sont dans nos eaux territoriales.
On assiste aussi au Togo à une recrudescence des actes de cybercriminalité. Les modes opératoires sont l’hameçonnage par courriel frauduleux (phishing) et l’escroquerie, aux sentiments par exemple. Comment comptez-vous régler ce problème, surtout que le pays sollicite des investissements étrangers chaque jour pour financer des projets de développement?
Nous avons pris ces dernières années la pleine mesure de ce sujet. Rien qu’il y a quelques semaines, nous avons démantelé des réseaux de cybercriminels nigérians qui se sont installés au Togo. Il faut savoir que le pays fait partie de la Cedeao et dans ce cadre, adhère par conséquent au principe de la libre circulation des personnes et des biens. Donc nous ne pouvons pas empêcher les citoyens d’autres États de la Cedeao de venir au Togo.
Certains profitent de la belle image que renvoie notre pays –celle d’un État paisible où l’on peut faire du business en toute sécurité– pour séduire leurs victimes avec des propositions d’affaires sans queue ni tête. Et généralement, c’est quand ils se découvrent au cœur d’une arnaque que les gens se rendent compte que leur interlocuteur n’était pas un Togolais, mais plutôt originaire d’un pays voisin
Une autre préoccupation majeure des Togolais est relative aux faits de délinquance et aux crimes dits de situation…
Nos services de sécurité font de leur mieux pour sécuriser le pays. Mais pour les braquages, Lomé est confrontée à un problème de proximité avec les États voisins. Rendez-vous compte qu’en l’espace de cinq minutes, à l’ouest de la capitale, un braqueur peut se retrouver de l’autre côté de la frontière, au Ghana. Même s’il y a une bonne coopération avec les services de sécurité de nos voisins, le problème est là. Mais en tout état de cause, si ce n’est pas tout de suite, ils finissent par être rattrapés, un jour ou l’autre.
En décembre 2019, la marine uruguayenne a saisi 4,4 tonnes de cocaïne à destination de Lomé. En avril dernier, les autorités espagnoles ont intercepté un navire battant pavillon togolais avec 4 tonnes de cocaïne à son bord. Sans compter les saisies régulières de vos propres services de sécurité (3.630 kg de cannabis au premier trimestre 2020). Le Togo serait-il une plaque tournante de la drogue, comme l’affirmait il y a quelques années déjà la Commission ouest-africaine sur les drogues?
Une telle déclaration est injuste. Le Togo a un port en eau profonde qui accueille des navires de dernière génération et qui dessert les pays de l’hinterland et même d’autres États qui disposent pourtant de ports. Quand on dit qu’un bateau va vers le port de Lomé, rien n’indique que les marchandises à son bord appartiennent à des Togolais. Cette conclusion est donc injuste vis-à-vis de notre pays et je la conteste.
Il pourrait être encore acceptable d’entendre que le Togo sert de point passage de ces marchandises. D’ailleurs, nous-mêmes veillons au grain, nos services de sécurité saisissent quotidiennement des plaquettes de cannabis dissimulées dans des véhicules qui partent, par exemple, de l’ouest vers l’est. Mais notre pays n’est pas pour autant une plaque tournante de la drogue.
Pour ce qui concerne les navires battant pavillon togolais qui sont interceptés, la plupart d’entre eux ne savent même pas où se trouve le port de Lomé. Ils s’immatriculent ainsi au nom du Togo à notre insu et on les retrouve généralement dans la Méditerranée. C’est un phénomène contre lequel le gouvernement essaie de sévir.
Au nom de l’état d’urgence décrété en raison de la crise sanitaire, les manifestations politiques sont systématiquement interdites et réprimées depuis avril 2020. Pourtant, si l’objectif est la limitation de la contagion, rien n’a été fait, par exemple, au niveau des marchés où le nombre de personnes qui se côtoient est nettement plus important…
Il n’y a pas de paradoxe. C’est une question de responsabilité. Lorsqu’on est dans l’état d’urgence, certaines libertés sont restreintes, voire supprimées. Aujourd’hui, le seul combat à mener, c’est celui contre la pandémie, ce n’est pas de marcher pour telle ou telle revendication. J’aurais souhaité voir ces responsables politiques dépasser leurs querelles pour mener la bataille contre le Covid-19 ensemble, avec les autorités, au lieu de penser tout le temps à manifester dans les rues!
Si le gouvernement permet ces mobilisations sans possibilité de contrôle du respect des mesures barrières et qu’il y a, le lendemain, 20, 30 ou 100 cas de contamination parmi les marcheurs, ce sera de l’irresponsabilité! Et là encore, ceux-ci seront les premiers à rendre le gouvernement responsable de leur contamination!
Vous rappelez que les marchés restent ouverts. On ne peut pas les fermer. Des mesures y sont prises pour minimiser les risques de contamination et la sensibilisation se poursuit au quotidien contre le virus.
Il ne s’agit donc pas de prendre le Covid-19 comme prétexte pour limiter la contestation de la réélection de Faure Gnassingbé?
Aujourd’hui, la priorité, c’est la santé. Le Covid-19 n’attaque pas que les membres du parti au pouvoir. Il y a des partis qui demandent à faire des réunions de 15 à 20 personnes, nous n’avons jamais refusé. Mais une marche avec cinq points de départ, qui risque d’arrimer des centaines de personnes, c’est contraire à la loi. La loi est là pour tout le monde. Il ne s’agit pas d’une décision politique. Par ailleurs, les élections se sont terminées il y a bientôt un an. Je pense qu’il y a d’autres chantiers à explorer.
Récemment, vous avez fait le point de la transhumance 2020 qui a engendré 16 morts et beaucoup de déplacés. Qu’est-ce qui explique un tel bilan?
Notre pays fait partie d’une communauté [la Cedeao] qui a décidé que les États côtiers –comme le Togo– avaient un devoir de solidarité envers les pays du Sahel. C’est pour cela que nous acceptons, en temps de sécheresse, d’accueillir sur notre territoire les éleveurs du Sahel avec leur bétail. Ce phénomène dure cinq mois, avant qu’ils ne se replient. Malheureusement, des incidents peuvent naître avec les agriculteurs locaux quand des troupeaux viennent à dévaster toute une récolte.
Toutes les dispositions sont pourtant prises avec un couloir de transhumance préétabli par la Cedeao. Mais ce qui était à l’origine un couloir aménagé pour les transhumants, il y a cinq ans, est peut-être devenu tout un village entre-temps du fait de la croissance démographique. Cela peut expliquer les frictions avec la population locale. Il se trouve aussi que parfois, de leur côté, les éleveurs ne respectent pas les chemins qui leur sont indiqués (les couloirs) et ils peuvent se retrouver dans des champs d’autrui.
Nous essayons tout de même d’éviter les situations de conflit avec un travail de sensibilisation que l’on effectue en amont, dans les pays de départ de ces éleveurs, avec la collaboration de leurs autorités. Au Togo, des comités de transhumance veillent au bon déroulement des opérations et des dédommagements sont prévus en faveur des agriculteurs grâce à un fond mis en place par le gouvernement.
Si les agriculteurs sont assurés d’être dédommagés, pourquoi la situation dégénère-t-elle?
Parce que la plupart ne sont pas patients. Au lieu de saisir directement le comité local de transhumance pour les assister, évaluer la perte et les dédommager, la première réaction est souvent d’en découdre avec l’éleveur à coups de machettes et de gourdins. Nous continuons d’effectuer un travail de sensibilisation pour éviter cela.
Source: Sputnik