Après un mois de suspension qui prenait des allures d’une éternité, le dialogue politique a repris le vendredi 23 mars dernier, en présence du Facilitateur. Mais un petit tour, puis s’en va, ainsi devrait-on résumer la chose. Après le constat d’un blocage empêchant les protagonistes de s’entendre, les discussions ont été une fois de plus suspendues pour être reprises (encore ?) à une date ultérieure. Mais cette séance aura tout de même permis de noter des progrès non négligeables sur certaines questions fondamentales et dans le processus général de règlement de la crise.
Nouvelle suspension et renvoi à une date ultérieure
« Le dialogue intertogolais a été convoqué de nouveau à Lomé le 23 mars, sous la Facilitation du Président de la République du Ghana, S.E. Nana Addo Dankwa Akufo-Addo. Le Président Nana Akufo-Addo a salué les efforts déployés par les deux parties depuis la dernière session du dialogue, y compris les mesures visant à atténuer les tensions politiques dans le pays. Il s’est référé aux consultations bilatérales intensives entre lui-même et les deux groupes principaux visant à parvenir à un consensus sur les principaux enjeux qui ont conduit à l’apaisement des tensions politiques dans le pays. Il a également noté que le gouvernement avait accepté de collaborer avec la CENI en vue de suspendre le processus de préparation des élections, ce qui constituait l’une des préoccupations principales formulées par la Coalition des 14 partis de l’opposition lors de la dernière réunion tenue en février 2018, en attendant les résultats du dialogue.
La séance d’aujourd’hui a débuté par des séances de discussion en plénière au cours de laquelle les représentants du gouvernement ont confirmé à la réunion que cette suspension avait été effectivement acceptée par le gouvernement togolais. La Coalition des 14 partis de l’opposition a salué cette évolution. Le Président a, par ailleurs, exprimé sa satisfaction face aux progrès considérables réalisés sur un certain nombre de questions, notamment la suspension des manifestations depuis la dernière séance en février 2018, les progrès réalisés sur les questions électorales, la libération des personnes jugées et condamnées dans le cadre des manifestations publiques demandée par la Coalition des 14 partis de l’opposition, la transparence en matière de communication entre les parties, entre autres. Il a formulé le vœu que la présente session puisse permettre d’aller plus loin dans ce processus.
Le Président Akufo-Addo a ensuite invité les parties séparément pour des discussions bilatérales. Lors de ces réunions séparées, chaque partie a présenté ce qu’elle considérait comme un des points essentiels qui, à son avis, garantirait un dialogue fructueux.
A la reprise, il a été constaté que :
- Les parties avaient besoin de plus de temps pour étudier les propositions faites par chaque partie.
- Ces propositions feraient l’objet des discussions plus approfondies à l’occasion de la prochaine session du dialogue, sous la facilitation de S.E. Nana Akufo-Addo.
- Dans la période comprise entre la présente session et la prochaine session du dialogue, le Président S.E. Akufo-Addo poursuivra les consultations bilatérales avec les deux parties.
Dans sa conclusion, le Président Nana Addo Dankwa Akufo-Addo a encouragé les parties à ne pas fermer la porte aux propositions faites par l’une ou l’autre, mais plutôt de prendre en considération l’intérêt supérieur de la Nation afin d’arriver à un consensus sur les positions divergentes en vue de la résolution de la crise. Ceci permettrait au peuple togolais de vivre dans la paix, la sécurité et la liberté.
La séance a été levée. Il a été convenu d’une reprise à une date ultérieure ».
Tel est in extenso le communiqué rendu public par la Facilitation au terme des travaux.
Progrès, blocage, chantage du pouvoir…état des lieux
Le communiqué sus-évoqué, c’est le côté officiel et assez diplomatique du déroulé des discussions ce 23 mars, une séance forcée ou précipitée par le Facilitateur. Annoncé à Lomé seulement pour cette semaine, Nana Akufo-Addo a pris son monde de court en ralliant la capitale togolaise vendredi. Le compte rendu officiel n’est pas allé dans les détails. Les informations obtenues des coulisses permettent de se faire une idée réelle du déroulement des travaux et de faire l’état des lieux.
La première avancée des discussions soulignée par le compte rendu officiel, c’est l’acceptation par le gouvernement de l’arrêt du processus électoral, un point qui a entre-temps suscité la colère de la Coalition de l’opposition. Le pouvoir avait violé le gentlemen agreement du début de dialogue en nommant les présidents des Commissions électorales locales indépendantes (CELI) le 1er mars dernier, geste qui a révolté la Coalition qui a voulu rompre à son tour le pacte et reprendre les manifestations de rue, avant d’être dissuadée.
Une autre notée mais non soulignée par le communiqué officiel, c’est sur la question des préalables, notamment la libération du reliquat des détenus politiques. Il nous revient que devant l’évocation du sujet par la Coalition de l’opposition, le Facilitateur qui a aussi du mal à comprendre le refus du pouvoir d’élargir ces « otages », a demandé la liste complète du reste des détenus politiques et promis de se charger personnellement de défendre leur cause auprès de son collègue togolais.
Il y a eu un autre progrès de taille sur la question fondamentale du retour à la Constitution de 1992 que le communiqué officiel a passé par pertes et profits. Selon les indiscrétions, cette problématique qui était déjà à l’origine du blocage et de la suspension des travaux de la seconde séance du 23 février dernier, a été ramenée sur le tapis par le Facilitateur. Faut-il le rappeler, les émissaires du pouvoir n’entendaient pas concéder cette requête fondamentale du peuple togolais, vu que ses implications devraient empêcher leur champion Faure Gnassingbé de candidater à un 4e mandat au pouvoir en 2020. Mais cette fois-ci, à en croire les indiscrétions, les délégués du régime ont avoué leur disponibilité à accepter le retour de cette Constitution de 1992. Mais non sans condition.
En effet la condition fixée, c’est que l’opposition concède la candidature de Faure Gnassingbé à cette élection de 2020, pour un 4e mandat donc au pouvoir. Plus qu’une simple condition, la chose prend des allures de chantage de la part des émissaires du régime. La chose peut être schématisée ainsi : vous acceptez la candidature de notre champion et on concède le retour de la Constitution de 1992 que vous demandez, vous n’acceptez pas et vous pouvez oublier votre requête.
Niet, rétorquent les délégués de l’opposition qui estiment que le RPT/UNIR regorge de beaucoup de ressources humaines à même de le représenter au scrutin de 2020 et donc qu’ils ne sauraient accorder ce passe-droit au Prince assoiffé de pouvoir. Pour ces émissaires du peuple, s’il y a une quelconque concession à faire, c’est de laisser Faure Gnassingbé terminer ce 3emandat débuté depuis avril 2015, sous forme de transition, avec de sérieux garde-fou pour éviter des retournements de situation, et libérer le plancher en 2020.
Leurs interlocuteurs n’étaient pas satisfaits, d’où le blocage. Il nous revient que c’est à ce moment que les émissaires du RPT/UNIR et du gouvernement ont demandé la suspension des travaux, afin d’aller rendre compte à qui de droit et revenir plus tard ; requête à laquelle a accédé le Facilitateur ghanéen. Il s’agit d’une façon habile de donner du temps aux protagonistes de faire évoluer leurs positions respectives, particulièrement le pouvoir.
Tino Kossi
Source : Liberté No. 2642 du 26 mars 2018 / http://www.27avril.com/blog/actualites/politiques/togo-dialogue-3e-round-ce-vendredi-23-mars-les-avancees-obtenues-le-point-de-blocage-le-chantage-du-pouvoir