Des affaires de détournements de fonds publics secouent le Togo depuis quelques années. Et visiblement, la justice togolaise qui, dans les règles de l’art, devrait se saisir de ces dossiers, est restée muette malgré la gravité des faits. Une situation qui inquiète plus d’un dans le pays et aussi Nathaniel Olympio, président du parti des Togolais, qui a adressé une lettre ouverte aux procureurs et magistrats chargé du ministère public de la république togolaise.
Lettre ouverte
Lomé, le 6 Novembre 2020
A
Messieurs et mesdames les procureurs de la République et magistrats chargés du ministère public de la République Togolaise
Mesdames et Messieurs les procureurs de la République et magistrats chargés du ministère public,
Depuis quelque temps, un débat relatif à des faits de détournements présumés de deniers publics anime la société togolaise dans toutes ses composantes. Ce débat connait son apogée avec les affaires suivantes :
1) des suspicions de détournements de fonds publics destinés à la réhabilitation de la route Lomé-Vogan-Anfoin ;
2) des détournements présumés de fonds destinés à l’organisation de la participation de l’équipe nationale de football aux CAN 2013 et 2017 ;
3) des indices graves et concordants de malversations financières au sein du Comité de Suivi des Fluctuations des Prix des Produits Pétroliers (CSFPPP), dans l’affaire dite Pétrole-Gate, par des personnalités nommément désignées et bien connues. Les derniers développements de cette affaire sont de nature à particulièrement inquiéter les citoyens et à jeter le discrédit sur l’institution judiciaire.
Ces affaires, mises à jour par la presse, ont donné lieu à des interpellations des membres du gouvernement en son temps par l’Assemblée nationale, pour certaines d’entre-elles. D’autres ont conduit au recrutement par le gouvernement, de cabinets d’expertise comptable chargés de procéder à des audits en vue d’objectiver ces allégations faites par voie de presse et dont certains rapports d’enquête sont transmis au procureur de la République près le Tribunal de première instance de Lomé.
Curieusement, le pouvoir judiciaire, dont vous êtes l’un des maillons essentiel, est resté muet malgré la gravité de telles révélations, se délectant allègrement des dossiers de voleurs de pneus, de poulets, de sucre, de riz . . . et pire des manifestants pacifiques dont le seul crime est d’avoir cherché à exprimer leurs opinions, faisant d’eux des prisonniers politiques.
Cette inertie de votre part crée au sein de l’opinion la conviction que la justice togolaise est totalement désarmée et impuissante face aux puissants. Parallèlement, elle semble croquer avec fierté les misérables, d’une part, et mettre à néant le travail remarquable accompli malgré tout par beaucoup d’autres membres de l’institution judiciaire. C’est certainement cet aveu de faiblesse et d’impuissance qui a poussé l’Exécutif à créer La Haute Autorité de Prévention et de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HAPLUCIA) et à lui confier la mission d’enquêter sur certains faits ; une attribution qui relève indubitablement du pouvoir judiciaire.
Cela n’apparait-il pas à vos yeux comme un désaveu du Pouvoir Judicaire par l’Exécutif ?
J’ai toujours eu, malgré tout, la conviction que les magistrats étaient foncièrement jaloux de leur indépendance, voulez-vous dire au peuple togolais que vous n’êtes pas suffisamment indépendants ?
Si tel est le cas, vous avez l’impérieux devoir de poser le débat d’un projet de réforme du Ministère public togolais en vue de renforcer son indépendance pour lui permettre d’assurer convenablement sa mission de poursuite contre tout citoyen quel qu’il soit. Vous êtes le dernier rempart civil des citoyens, il vous revient d’assumer votre responsabilité de protection des droits de chacun.
Que vaut la justice d’un pays si elle donne l’impression de ne pouvoir juger que les faibles ?
Que vaut la justice d’un pays quand les citoyens expriment leur inconfort à se retrouver face aux magistrats, même quand ils se sentent dans leur droit et décident de prendre l’initiative d’un procès ?
À l’heure où l’inclusion financière est une réelle préoccupation pour les citoyens et semble l’être également pour les pouvoirs publics, le détournement des deniers publics doit être traité avec une tolérance zéro, si l’on veut réellement voir s’améliorer le sort des Togolais.
C’est pourquoi, je voudrais par ce canal vous interpeler tous sur les responsabilités qui sont les vôtres face à toute révélation sérieuse de malversations financières scandaleuses au sein des appareils de l’Etat, quels qu’ils soient, en exerçant pleinement les pouvoirs que les dispositions du code de procédure pénale vous confèrent.
Le code de procédure pénale dispose, en effet, en son article 34 que « Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale. A cette fin, il dirige l’activité des officiers et agents de police judiciaires de son ressort. En cas d’infractions flagrantes il exerce les pouvoirs qui lui sont attribués à l’article 56 du présent code ».
Au regard de l’article précité, je vous exhorte à prendre, puisque la matière est déjà là, dès lors que les critères ratione loci et maetriea de vos compétences sont réunis, les mesures urgentes suivantes :
– faire procéder, par des unités de police ou de gendarmerie compétentes, à des enquêtes préliminaires pour vous permettre d’exercer l’action publiques ;
– saisir les juges d’instruction compétents aux fins d’information judiciaire en vue d’établir la lumière sur les faits dénoncés, situer les responsabilités, faire poursuivre et sanctionner celles ou ceux qui se sont rendu coupables de tels crimes économiques.
C’est en cela que vous jouerez pleinement votre rôle de gendarme de la morale dans la société en général et dans la vie publique en particulier.
En vous rappelant que l’avenir radieux du pays auquel aspirent les Togolais se trouve grandement entre vos mains, cet avenir que vous avez d’ailleurs l’impérieux devoir de sauver, je vous prie de croire, Mesdames et Messieurs les procureurs de la République et magistrats chargés du ministère public, à l’assurance de ma considération.
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais