Le 11 Janvier dernier, cela fait 8 ans que le bâtiment principal du marché d’Adawlato (Lomé) a été consumé par un incendie criminel, causant d’importants dégâts matériels. Quelques jours avant, c’était le marché de Kara. L’issue heureuse des procédures judiciaires pour situer les responsabilités, dans ce dossier, se fait toujours désirer.
Dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013, un incendie criminel avait ravagé le marché de la ville de Kara, située à 600 km au nord de la capitale togolaise Lomé, causant d’importants dégâts matériels. Dès le lendemain, survenait, dans la nuit du 11 au 12 janvier 2013, un autre incendie aux effets encore plus dévastateurs qui ravageait le Grand marché de Lomé. Les deux étages du grand bâtiment central ont brulé toute la nuit jusqu’à ce que le feu ne soit maitrisé à la mi-journée par les sapeurs-pompiers du Togo, aidés par leurs compères venus du Ghana.
Aucune perte en vies humaines n’a été déplorée mais les dégâts matériels étaient énormes estimés à 6 milliards de francs CFA, laissant sinistrés, un peu plus de 3 000 commerçants. « Il s’agit manifestement d’attentats criminels planifiés et exécutés à l’échelle nationale. Leur exécution relève d’une action concertée. Il apparaît que le mode opératoire utilisé est identique dans tous les cas », avait déclaré le 04 février 2013, Essolissam K. POYODI, Procureur de la République
En attente du procès des pyromanes
Quelques jours après l’incendie, des présumés auteurs ont été présentés à la presse par le ministère de la Sécurité et de la Protection Civile dans les locaux de la gendarmerie nationale. Et sur déclaration d’un des présumés auteurs, le tristement célèbre Mohamed Loum, certains responsables politiques de l’opposition ont été arrêtés et d’autres inculpés.
Trois ans plus tard, une ordonnance du doyen des juges d’instruction a permis à plusieurs inculpés de bénéficier de l’annulation des charges qui pesaient contre eux. A l’époque, Suzanne Nukafu, militante de l’Alliance nationale du changement (ANC), les avocats Raphaël Kpandé-Adjaré et Jil-Benoit Afangbedji avaient bénéficié de la mesure. De même, Hervé Senou, militant de l’ANC qui a passé trois ans de détention à la prison civile de Lomé, est libéré. Certains leaders de l’opposition comme Jean-Pierre Fabre de l’ANC, un temps placé sous contrôle judiciaire, demeure inculpé dans l’affaire des incendies pendant que Agbéyomé Kodjo a bénéficié, lui, d’un non-lieu.
Mais au fil du temps, le dossier semble être enrhumé. En effet, un peu plus de huit ans après ces incendies « criminels » des marchés de Lomé et de Kara, la procédure est au point mort. Des sources judiciaires ont pourtant indiqué que depuis bientôt quatre ans, les investigations ont été achevées par le juge d’instruction et les dossiers seraient au niveau de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Lomé, qui devrait prendre un arrêt de mise en accusation. « La procédure criminelle est toujours en cours. Il y a quelques temps déjà qu’elle a été achevée par le juge d’instruction du premier degré qui a pris l’ordonnance de transmission des pièces au procureur général près la Cour d’appel de Lomé, à qui, il revient de saisir la chambre d’accusation pour enclencher la procédure d’audience », avait expliqué Pius Agbetomey, ministre de la justice, il y a plus de trois ans.
Puis, plus rien. Depuis trois ans, les autorités ont semblé oublier cette affaire pourtant reconnue « criminelle ». Pendant que la justice traîne les pas pour faire la lumière dans cette affaire, certaines personnes, toutes des militants de l’opposition arrêtées aux premières heures de l’enclenchement de l’enquête sont toujours en détention préventive. Pendant ce temps, d’autres personnes proches du régime dont les noms sont également cités dans l’affaire sont en liberté. Une procédure à géométrie variable que dénoncent des organisations de défense des droits humains.
En attendant le procès, le gouvernement avait décidé de reconstruire l’édifice endommagé du Grand marché de Lomé.
La reconstruction, une diversion?
Après des années de supplications des commerçants, le gouvernement s’est décidé à reconstruire le marché. D’un montant total de 11.489.994.484 FCFA, le projet vise, dit-on, à redonner un cadre propice aux activités commerciales en vue de la relance de l’économie et de l’amélioration des conditions de vie des commerçantes et commerçants. La réalisation consiste à l’installation de chantier, aux terrassements, aux grosses œuvres (fondation, maçonnerie et bétons), à la voirie et réseaux sous ouvrages et étanchéité. D’autres réalisations seront, entre autres, la téléphonie, la plomberie, la climatisation, l’ascenseur et le réseau incendie. Ce bâtiment sera constitué de 175 boutiques, 107 grossistes, 894 kiosques et 105 étals répartis depuis le rez-de-chaussée jusqu’au 4ème étage. Mais voilà que six mois après, le chantier ne décolle pas. Les travaux lancés en janvier 2020 devraient durer 18 mois.
Mais très tôt, certains observateurs ont vu dans le lancement de ces travaux, une manœuvre de diversion du régime de Lomé à quelques semaines de l’élection présidentielle. Aujourd’hui, on dirait qu’ils ont vu juste. En effet, à six mois de la date annoncée de la fin des travaux, même les fondations ne sont pas posées. Les herbes ont commencé même par faire leur loi sur l’espace réservé pour le bâtiment. Considéré comme l’un des plus gros chantiers du pays, la reconstruction du grand marché de Lomé n’a en jamais commencé. Aucun ballet d’engins dans les environs comme c’est souvent le cas sur les chantiers d’une telle ampleur. Des commerçants se plaignent d’être dans le flou le plus total depuis plus d’un an.
Bras financier des mouvements indépendantistes dans les années 60, la majorité des commerçantes restent un soutien de poids pour l’opposition dont la plupart des partis politiques ont tiré leurs souffles. Un engagement qui n’a jamais été bien vu par le régime cinquantenaire.
Ainsi depuis toujours, il cherche par tous les moyens à réduire l’appui de ces opérateurs économique d’Adawlato dans la vie politique. En effet, sous Eyadéma, les Nana Benz ont essuyé plusieurs coups visant à faire chuter leurs revenus. Malgré tout, elles sont restées un soutien aux partis de l’opposition en quête de l’alternance. Selon une source bien introduite, « l’incendie du grand marché ferait partie d’un vaste plan dont l’objectif reste l’anéantissement de ces femmes » dont certaines, au-delà de la vente de pagne, ont investi dans d’autres domaines tels que l’immobilier. Pendant que les commerçants du Grand Marché de Lomé attendent la reconstruction, leurs paires de Kara ont vu pratiquement les travaux de leur marché terminés et n’attendent que de l’intégrer. Une politique de deux poids, deux mesures à visage découvert.
On comprend alors mieux pourquoi l’enquête ouverte par les autorités togolaises n’a pas réussi, sept ans après, ni à éclaircir avec certitude, les circonstances du déclenchement des incendies, ni à en cerner les responsabilités.
Source : Fraternité