En prenant le pouvoir le 14 avril 1967, Etienne Gnassingbé prétextait d’une situation d’injustice sociale. Il se présentait en homme de « libération », après avoir été complice, quatre ans plus tôt, de l’assassinat du père de l’indépendance du pays et de deux coups d’Etat entre 1963 et 1967. Il a plutôt installé sur le Togo un règne de terreur et de pillage, perpétué aujourd’hui par son propre fils, ses amis et le reliquat de ses vieux collaborateurs.
Ce 14 avril 2017, les Gnassingbé battent un triste record sur le continent africain. Jamais pouvoir politique n’a duré un demi-siècle en Afrique. Plus de 8 Togolais sur 10 n’ont connu que les Gnassingbé au pouvoir. Connaître cette fratrie, c’est avoir été témoin ou victime de tous les abus et tous les excès qui ont jalonné les 50 dernières années de notre patrie commune : assassinats, disparitions forcées, persécutions, pillages, etc.
Du père au fils, le fond de la gouvernance du pays est resté le même. Conserver le plus longtemps possible le pouvoir, orienter toutes les ressources du pays vers ses proches et soi et sévir contre tous ceux qui tentent d’exercer un minimum de raison pour demander plus de justice. En 50 ans de règne absolu sur le Togo, le pays est loin d’être une Nation. Au contraire, les germes de la division et du tribalisme ont été semés partout sur le territoire, opposant le Togolais d’ici au Togolais de là, dans l’unique but de « diviser pour régner ». Le cas encore fumant des Tem qui manifestent depuis quelques jours contre l’imposition à eux d’un chef Kabyè est symptomatique du degré de fragilité du vivre-ensemble au Togo.
Le Togo d’aujourd’hui est de loin plus divisé qu’avant 1967. Et les cinquante ans n’ont pas permis de mettre, ne serait-ce qu’une seule communauté à l’abri du besoin ou des conflits. A l’heure du bilan, aucune partie du pays ne peut aujourd’hui se prévaloir d’avoir, elle au moins, profité de façon conséquente du long règne des Gnassingbé et consorts. A quoi donc ont servi toutes ces années ? Chacun pourra y répondre.
A partir de ce jour, on entame au Togo, un autre cinquantenaire des Gnassingbé. Et bien malin qui pourra en prédire la fin. Et pourtant, nous ne sommes plus en 1967. Le monde a beaucoup évolué depuis là. Tout autour du Togo, les populations ont eu plusieurs fois l’occasion d’expérimenter différents système de gouvernance et d’apprécier la différence. Sur cette planète, la situation togolaise n’a d’égale qu’en Corée du Nord, qui est loin d’être une référence. Cela devrait interpeller chaque Togolais. Plusieurs sont ceux qui une fois, un bout de pain dans la mâchoire, font les importants et œuvrent à renforcer le système Rpt, qui a entre-temps changé de nom pour devenir Unir. Ils continuent de faire le zèle jusqu’au jour où ils sont, eux-aussi, broyés par le système qu’ils ont contribué à renforcer.
Le Togo demain ne devra plus être celui d’un clan contre le reste de la population, ni un Togo du reste de la population contre ceux qui ont dirigé jusqu’ici. Mais un pays où chacun trouvera sa place et profitera des fruits de ses efforts, indépendamment d’où il vient ou du parti au sein duquel il milite. Un Togo où la justice n’existe que pour les forts, les puissants, au détriment de la veuve et de l’orphelin. Un Togo où un Gnassingbé peut gagner ou perdre face à un Bawara, un Broohm, un Dogbé, un Aidam ou un Bodjona de sorte que les uns ne soient obligés de s’aligner derrière les autres pour espérer avoir une petite place au soleil.
Le Togo de demain, celui que nous Togolais voulons, doit être mis en chantier dès aujourd’hui, au-delà de toute considération partisane ou clanique. Les germes que nous semons aujourd’hui pousseront pour forger le Togo de nos enfants. Si nous semons la division et la gloutonnerie, la haine, comme ce qui a été le cas jusqu’ici, elles pousseront et forgeront le Togo des 5, 10, 20, 30 ans à venir. On a beau mettre en place mille Commissions justice, vérité et réconciliation ou haut-commissariats pour la réconciliation, dire toutes les prières expiatoires de ce monde, si la tendance de l’allure du Togo d’aujourd’hui n’est pas inversée, le Togo de demain sera invivable pour tous.
Cet anniversaire sinistre devrait interpeller chacun à s’engager davantage pour un changement profond dans ce pays. D’autres ailleurs ont mis à profit ces cinquante dernières années. Et le rythme de l’évolution du monde n’est plus celui de 1967. Il suffit de jeter un coup d’œil en arrière pour voir où étaient nos voisins dans les années 60 et où ils sont aujourd’hui, pour réaliser comment nous avons perdu énormément du temps. Le gâchis ne peut plus continuer longtemps. La descente aux abîmes doit enfin s’arrêter. Autrement, le choc de l’impact au fond n’épargnera personne.
Source : L’Alternantive No.607 du 14 avril 2017 / 27avril.com