Le régime dictatorial au Togo pense qu’il lui suffit de rebaptiser du nom d’Anani SANTOS, la place Fréau Jardin, pour que s’efface de la mémoire collective, la tuerie, sinon, la barbarie qui y a été perpétrée, et par des forces de défense et de sécurité, et par des miliciens à la solde du RPT (Rassemblement du Peuple Togolais), le lundi 25 janvier 1993.
30 ans, jour pour jour, que cet autre crime demeure impuni malgré les recommandations de la CVJR (Commission, Vérité, Justice et Réconciliation), reléguées, d’ailleurs, aux oubliettes. Et, ce ne sont pas les acrobaties et le saupoudrage en guise d’indemnisations par les soins du HCRUN qui tenteraient à faire croire que justice est faite sur ces crimes là.
De quoi est-il question ?
Le Togo venait de boucler un peu plus de deux mois de grêve générale et illimitée lancée le 16 novembre 1992 par le collectif des syndicats Indépendants (CSI) pour amener le régime implacable du général Gnassingbé Éyadéma à s’ouvrir à la démocratie en acceptant les règles d’équité et de transparence dans l’organisation des élections. Cette grêve était tellement suivie que tout le pays s’est trouvé bloqué politiquement, économiquement et socialement. C’est ainsi qu’en voulant tenter une médiation entre le régime et l’opposition regroupée dans le COD2 (Collectif de l’Opposition Démocratique), l’Union Européenne a envoyé une mission de bons offices au Togo. Cette mission est composée du ministre Français de la Coopération, Marcel
DEBARGE et du Secrétaire d’État allemand des Affaires étrangères, Helmut SCHAEFFER.
Les deux ministres au Togo, ont décidés le matin du 25 janvier 1993, d’aller rencontrer le général Éyadéma qui était dans son village Pya dans la préfecture de la Koza et de faire le même exercice avec l’opposition dans l’après midi à Lomé.
Le rendez-vous avec l’opposition était sur l’esplanade du Palais des Congres à Lomé parce que l’opposition avait souhaité un rassemblement de la population pour que les deux ministres puissent voir, par eux-mêmes, que c’est tout le Togo qui veut la démocratie.
Ce 25 janvier donc, un monde fou, (plus de 300 000 personnes) de blanc vêtu, bougie à la main a afflué aux environs de 13 h vers le Palais des Congrès. Elle fut refoulée par un cordon de sécurité tout autour du périmètre du quartier administratif incluant le Palais des Congrès. Ne pouvant plus évoluée, la foule se replie sur Fréau Jardin et ses environs attendant la délégation de l’Union Européenne qui n’est revenue à Lomé que vers les 16 heures.
C’est aux environs de 17 h que des coups de feu éclatent au milieu de la foule compact et immense. D’abord, un premier coup venant du côté de RAMCO Assivimè, non loin du monument aux morts, puis d’autres coups de feu, suivis de jets de grenades offensives qui ont fait des centaines de morts ce jour là sans compter les blessés graves par milliers dus aussi par les bousculades dans le sauve qui peut et la panique qui ont ébranlé la foule face au massacre des manifestants par des forces de défense et de sécurité sous les ordres du tristement célèbre commandant Narcisse Yoma DJOUA, homme de main du général Éyadéma.
Ce crime ignoble, comme tous les autres, s’est déroulé sous les yeux des ministres DEBARGE et SCHAEFFER, totalement horrifiés et hors d’eux-mêmes au vu des corps plombés de balles et déchiquetés par les débris de grenades offensives et qui gisaient à même l’asphalte des rues qui mènent à Fréau Jardin mais aussi qui jonchaient les allées de la morgue du CHU de Tokoin qu’ils ont visité.
Il faut le dire, il y a des corps de beaucoup de victimes que les familles n’ont pas retrouvé jusqu’à ce jour, 30 ans après, les miliciens du pouvoir et les forces de défense et de sécurité ayant décidé de les faire disparaitre pour qu’on ne puisse pas dénombrer exactement les victimes de cette boucherie que seul satan pouvait imaginer.
Ceux des forces de sécurité qui étaient plus à l’œuvre pendant cette boucherie ignoble, sont les éléments de la brigade dénommée « »brigade rouge » » qui abritait les locaux de l’école du parti, aujourd’hui campus Nord. Au sein de cette brigade officiait un certain officier de police répondant au nom d’Alaza, connu sous le sobriquet d’Ejanki-jack qui semait la terreur en cette période là et qui était également à Fréau Jardin ce 25 janvier 1993.
En dehors d’Éyadéma, sûrement le commanditaire de ce massacre, celui qui avait la charge de la sécurité du pays et par ricochet, la sécurité des personnes et des biens, était un certain Agbéyomè KODJO, ministre de l’intérieur et de la sécurité en ce temps et qui nie aujourd’hui qu’il n’est pas impliqué dans ce massacre alors que beaucoup d’indices montrent qu’il y est bel et bien, sinon pourquoi n’a-t-il rien fait que de dire qu’il a informé Pr GNININVI et M. Edem KODJO? Un message radio diffusé aurait pu freiner les ardeurs des auteurs de ce massacre ? Qui a mis le cordon sécuritaire autour du Palais des Congrès pour empêcher la foule d’aller sur l’esplanade comme s’était prévu? N’est-ce pas que c’est à la suite de ce massacre qu’il fut nommé directeur général du Port Autonome de Lomé, en guise de promotion ?
Quelques mois avant cette tuerie planifiée, M. Agbéyomé KODJO n’avait-il pas déclaré sur les ondes de la TVT et de radio Lomé qu’il allait arrêter Me Joseph Kokou KOFFIGOH qui était le Premier ministre, chef du gouvernement et donc son chef hiérarchique parce que celui-ci les avait limogé du gouvernement, lui et M. Komlan AGBÉKA et maintenus à leur poste par Éyadéma? N’était-il pas mêlé à l’attaque du Haut Conseil de la République, organe législatif pendant la transition?
Cette affaire de massacre de Fréau Jardin reste toujours à élucider pour rendre justice au peuple togolais.
C’est tout de même curieux que l’Union Européenne, dont la délégation a vécue, et en live, les faits, ait pu les banaliser au profit des affaires avec le régime auteur de ce crime ?
Aussi, le régime pour montrer qu’il n’hésitera pas à tuer autant de fois les Togolais pour conserver le pouvoir, a, le samedi 30 janvier 1993 en fin de matinée, soit, 5 jours après Fréau Jardin, diligenté une opération punitive, menée par des élements de la garde présidentielle pour un autre massacre dans le quartier Bè. Au nombre des victimes, un enfant de race blanche fauché à la fenêtre de la maison de ses parents qui jouxte la station d’essence Total au feux tricolores de la rue de l’OCAM et de l’avenue Augustino de SOUZA.
Ces deux évènements macabres ont jeté beaucoup de Togolaises et de Togolais sur les routes de l’exil dont beaucoup ne sont pas encore revenus.
Il y a lieu que le peuple togolais se souvienne de ces moments douloureux pour savoir mener la lutte sans mensonges et avec responsabilité afin de libérer le Togo, la chère Patrie de l’emprise de l’obscurantisme et de la dictature.
Mais en ce jour funeste, il nous faut avoir une pensée pieuse pour toutes les victimes de ces massacres qui continuent de saigner les coeurs.
Il nous faut organiser des messes et des cultes de repos des âmes dans les églises et temples, de même que des libations soient organisées pour implorer nos mânes à cet effet.
Au demeurant nos peines et nos douleurs, Paix sur le peuple togolais et que Dieu bénisse le Togo.
Francis Pédro AMUZUN