Le milliardaire breton avait été mis en examen en 2018 par la justice française pour corruption active d’agent public dans le cadre de l’attribution des concessions portuaires de Lomé et de Conakry.
Vincent Bolloré sera bien présenté à un juge dans l’affaire de l’attribution des concessions portuaires de Lomé (Togo) et de Conakry (Guinée).
Mardi 21 mars, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a suivi les réquisitions du ministère public, qui avait demandé que seules soient retirées de la procédure les pièces relatives à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) avortée du milliardaire breton.
La loi prévoit en effet qu’une CRPC dont l’homologation a été refusée par un juge ne figure pas dans le dossier renvoyant le mis en cause devant un tribunal, où il doit être considéré comme présumé innocent à l’ouverture des débats.
A l’issue de l’audience, Jérôme Karsenti, avocat des parties civiles, Sherpa et Anticor, a partagé auprès du Monde sa « grande satisfaction (…) de savoir que M. Bolloré va comparaître devant un tribunal indépendant et impartial pour se voir jugé des faits de corruption qui lui sont reprochés ».
« Cest une étape nouvelle vers la tenue d’un procès public essentiel en matière de corruption » ajoute la responsable de contentieux et plaidoyer de Sherpa, Chanez Mensous.
La défense de M. Bolloré, qui avait demandé l’annulation totale de l’instruction et de la mise en examen de son client, au motif que sa présomption d’innocence avait été violée par la publicité de l’audience de CRPC, s’est également félicitée. « C’est une décision judiciaire rare, a déclaré au Monde l’avocat Olivier Baratelli. La justice sait reconnaître ses erreurs lorsqu’elle en commet. De nombreuses pièces ont été annulées, la procédure va pouvoir sereinement reprendre son cours. »
Un pourvoi en cassation reste possible dans le cas où l’une des parties serait insatisfaite de l’arrêt rendu.
Justice négociée
Mis en examen en 2018 par la justice française – à l’instar du groupe Bolloré – pour corruption active d’agent public au Togo et en Guinée, faux et usage de faux et complicité d’abus de confiance dans le cadre de l’attribution des concessions portuaires de Lomé et de Conakry, le milliardaire breton avait multiplié les requêtes en nullité, obtenant en 2019 l’annulation des faits de corruption et de faux et usage de faux en Guinée pour prescription.
Le reste des chefs d’accusation n’ayant pas été annulé, Vincent Bolloré avait alors considéré le recours à la justice négociée, pour lui et son groupe, afin d’accélérer le processus judiciaire.
Sa mise en examen a contraint certains clients à cesser leurs relations commerciales avec son groupe pour des raisons de « compliance » (c’est-à-dire de conformité aux normes et de respect des lois et de l’éthique), explique-t-il au juge d’instruction en novembre 2020.
C’est là une manière, aussi, d’éviter une condamnation pour corruption, qui aurait écarté le groupe Bolloré des marchés publics pendant au moins cinq ans et qui aurait entraîné une inscription à son casier judiciaire.
En février 2021, l’industriel septuagénaire s’était donc présenté aux côtés de deux hauts cadres de son groupe également mis en examen, Gilles Alix et Jean-Philippe Dorent, au tribunal judiciaire de Paris pour l’audience d’homologation de sa reconnaissance préalable de culpabilité, réservée aux personnes physiques, ainsi que la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui concernait son entreprise.
Dans un retournement inattendu, la présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, avait validé la CJIP négociée entre le groupe Bolloré et le Parquet national financier (PNF) – une amende de 12 millions d’euros – mais avait refusé la CRPC, estimant que les peines négociées entre les mis en cause et le PNF – une amende de 375 000 euros chacun – étaient « inadaptées » au regard des infractions visées.
Cette décision inédite a eu pour conséquence d’ouvrir la voie à un procès pour MM. Bolloré, Alix et Dorent, à l’occasion duquel ils seront de nouveau présumés innocents, malgré leur reconnaissance préalable de culpabilité et la validation de la CJIP.
Une telle situation est prévue par le législateur, qui a imposé de ne pas faire mention des CRPC dans le dossier judiciaire préalable au procès… contrairement à ce qui avait été fait dans la procédure de M. Bolloré.
Saisis depuis 2013, les juges d’instruction du pôle financier du tribunal de Paris soupçonnent le groupe Bolloré et ses dirigeants d’avoir effectué des missions de conseil et de communication via la filiale Euro RSCG, devenue depuis Havas, auprès de candidats victorieux à la présidence togolaise et guinéenne en échange de la gestion des ports de Lomé et de Conakry et d’avantages conséquents, au bénéfice d’une autre de ses filiales, Bolloré Africa Logistics, anciennement appelée SDV.
Laura Motet