«Il n’existe aucun blocus nulle part, pour empêcher le changement… Il existe une mauvaise volonté d’agir et de changer soi-même et le monde autour de soi; il existe seulement de l’incompétence chronique. Le non-changement, le conservatisme, demeurer réactionnaire est un refus conscient, une méconnaissance du monde, une incompétence à peine déguisée… Il n’existe donc aucun blocage au changement au Togo. Il n’existe qu’une absence d’audace, un refus global ainsi que de l’incompétence politique diversement caractérisée, autant chez les adeptes du pouvoir et particulièrement chez ceux-ci, que dans l’opposition.» Pierre Adjété. Canada, le 28 juillet 2023
C’est devenu une habitude qu’à chaque tentative de coup d’état, ou à chaque coup d’état accompli, des condamnations de la part de la CEDEAO, de l’Union Africaine, de la France ou de l’Union Européenne sont diffusées çà et là pour désapprouver la prise du pouvoir par la force. À première vue c’est une bonne chose, car le pouvoir politique ne s’acquiert pas par la force; une affirmation qui trouve tout son sens dans des pays politiquement et socialement stables. L’auteur ou les auteurs d’une tentative de coup d’état en Grande-Bretagne, aux USA, en France, au Canada ou en Allemagne, par exemple, seraient arrêtés pendant les premiers instants de leur action et considérés comme des déséquilibrés mentaux, ou venant d’une extrême-droite qui chercherait à semer le chaos dans le pays. En dehors de cette intention populiste, sans aucun programme politique consistant, une telle tentative dans de tels pays vraiment démocratiques et socialement stables à des degrés différents, ne ferait que remuer la tête au sein des populations. Pourquoi passer alors par la force pour s’emparer du pouvoir politique, alors qu’il existe plusieurs canaux pour s’exprimer et critiquer les actions du gouvernement sans craindre un enlèvement, la prison, l’exil ou même la mort? Voilà l’une des nombreuses questions qui se poseraientt en cas de tentative de coup de force dans des pays où la presse et le parlement sont libres de faire leur travail, et où des élections vraiment plurielles et libres sont périodiquement organisées, favorisant une alternance régulière au sommet de l’état.
Il est vrai que dans des pays d’Afrique, et tout dernièrement d’Afrique francophone, des bruits de bottes sont régulièrement enregistrés aux portes des palais présidentiels, dont certains avaient même abouti aux changements de régimes politiques. Les cas du Mali et du Burkina-Faso sont encore frais dans les mémoires. Aujourd’hui c’est le Niger, un pays du Sahel comme les deux autres, qui fait parler de lui par une tentative de coup d’état, entre-temps concrétisée en une prise effective de pouvoir par des militaires, en renversant le désormais ex-président Mohamed Bazoum. Il est aussi vrai que nos pays d’Afrique, depuis plus d’un demi-siècle, depuis les supposées indépendances acquises au début des années ’60, n’ont jamais vraiment décollé presque sur tous les plans. Et il y a plusieurs raisons à cet état de fait; la politique de prédation de l’ex-pays colonisateur qui n’entend pas abandonner l’exploitation des richesses de ses anciennes colonies y est beaucoup pour quelque chose. La France, pour les pays francophones, par sa politique néo-colonialiste, est constamment pointée du doigt par beaucoup d’Africains, comme étant le frein à la stabilité politique et au développement du continent noir dans sa zone d’influence. Mais le fait que la majorité de nos pays d’Afrique, surtout francophones, soient demeurés des républiques bananières, sujettes à une instabilité politique presque permanente, ne doit pas être seulement la responsabilité de l’ancienne puissance colonisatrice.
Tous ces Africains, à quelques rares exceptions près, qui parviennent au pouvoir d’une façon ou d’une autre, ici et là, sur le continent sont-ils bien conscients de la responsabilité qui est la leur dans le développement de leurs pays, et de leur rôle à travailler pour pouvoir sortir leurs concitoyens de la pauvreté? Nous en doutons fort, sinon comment comprendre cette propension des soi-disant dirigeants africains, une fois au pouvoir, crachant sur le serment prêté, à préférer leurs ethnies en ignorant la majorité, à s’entourer des béni-oui oui pour asseoir une dictature et chercher à ne jamais partir? Que de régimes autoritaires, pour ne pas dire dictatoriaux, et même sanguinaires, n’avons-nous pas vécus sur le continent africain pendant ce demi-siècle? Des dictateurs qui ont pratiquement mis leurs pays en coupe réglée, organisant une chasse à l’homme à tout mouvement contestataire, à l’opposition, rendant ainsi impossible toute ouverture démocratique digne de ce nom. Pour parfaire la tyrannie tribalo-clanique et dans le but de tout verrouiller, le caractère républicain est enlevé à l’armée qui cesse d’être une armée de tous les citoyens par sa composition. Pour cela, des précautions sont prises pendant l’enregistrement des nouvelles recrues en évitant soigneusement des zones jugées hostiles au régime, et en recrutant plusieurs fois dans les régions susceptibles d’être ethniquement proches du système qui opprime le peuple. Pour appeler les choses par leur nom, n’est-ce pas ce que nous vivons au Togo, par exemple, depuis plusieurs décennies?
Ce sombre tableau qui est celui du paysage politique dans les pays d’Afrique, et plus spécialement dans la zone francophone, nous l’avons à plusieurs reprises peint dans nos sorties précédentes. Et le Togo, notre pays, passe aujourd’hui pour être le concentré de tous ces problèmes qui retardent le développement de l’Afrique. Dictature familiale, armée non républicaine, népotisme, tribalisme, clanisme, violations des droits de l’homme, corruption à ciel ouvert, enrichissements illicites; le tout couronné par une totale impunité pour que le mal soit parfait. Revenant sur le coup d’état au Niger dont il ne nous revient pas ici de discuter de la pertinence ou non, et parlant des condamnations de part et d’autre du coup de force, nous estimons qu’il y a hypocrisie. Car, au lieu de s’attaquer aux causes de la fièvre, on cherche à casser le thermomètre qui indique une température alarmante. Les coups d’état, qui ne sont pas forcément la meilleure solution, ont toujours une ou plusieurs causes. Au Burkina-Faso, au Mali et aujourd’hui au Niger, c’est la mauvaise gouvernance avec toutes ses conséquences, doublée du terrorisme qui y sévit, avec en prime les difficultés pour sa gestion. Dans la plupart des pays africains, des élections passent mais les mêmes problèmes subsistent et s’aggravent. Des chefs d’état, supposés avoir été élus démocratiquement, ont souvent un entourage pas très recommandable qui s’adonne à la corruption et aux gabégies de toutes sortes. Cette mauvaise façon de gérer le pays en laissant le peuple dans la pauvreté suscite bien sûr des remous au sein des populations, et une armée habituée, comme au Sahel, à des mouvements d’humeur, peut avoir de telles idées radicales.
La CEDEAO, cette organisation économique ouest-africaine, créée en 1975 avec de bonnes intentions, est devenue depuis longtemps un syndicat de chefs d’état, dont la plupart, mal élus, ou pas du tout élus, malmènent leurs peuples. Faute de courage politique, avec une grande dose d’hypocrisie, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest est devenue un fourre-tout incompétent, où dictateurs et chefs d’états à peu près démocratiques, se rencontrent et se supportent dans le mal. Certes, l’instabilité politique au Niger ou ailleurs sur le continent pourraient perturber les intérêts de certaines puissances de l’Union Européenne, comme la France, ou ailleurs dans le monde. Mais au lieu de seulement se limiter à condamner les coups d’états, ne vaudrait-il pas mieux, si on veut vraiment aider l’Afrique, de cesser de soutenir des régimes de dictature, pour que les violations de toutes sortes sur les populations et les gabégies économiques qui appauvrissent les peuples, prennent fin? Un régime de dictature féroce comme celui du Togo, qui cherche à se vendre à l’étranger comme prônant la paix, alors qu’à l’intérieur, des prisonniers politiques meurent un à un en détention, où des exilés politiques ne peuvent pas rentrer dans leur pays, où des violations des droits de l’homme continuent d’être commises, ne devrait plus être soutenu par ces puissances qui condamnent aujourd’hui le coup d’état au Niger. Un tel système de prédateurs au Togo et ailleurs sur le continent n’est pas forcément à l’abri d’une surprise désagréable de la part de son peuple humilié et révolté. Et nos éternels donneurs de leçons devraient alors s’en prendre à eux-mêmes pour avoir soutenu l’insoutenable et permis qu’on en arrive là par leur comportement hypocrite et à la limite raciste.
Samari Tchadjobo
Allemagne