J’ai passé une fois encore tout le week-end à l’intérieur du pays. Le calme qu’on y trouve contraste grandement avec les images apocalyptiques que nous a renvoyé Lomé ce samedi. Échanger avec les militants de la Kozah, de la Binah, de Doufelgou, et de la Kéran, parcourir ces villages et cantons où les plaisirs sont simples, et se partagent autour d’un pot de tchouk ou d’un morceau d’ignames cuit sous la braise. Et, c’est là le plus important, écouter les aveux des anciens activistes du RPT qui se rallient, et qui vous détaillent les astuces mises en place pour frauder les élections. Le travail à accomplir est là. Ce n’est pas une question de transparence, mais d’organisation. Avec certains jeunes de Kantè, nous sommes restés des heures durant, à disséquer les ruses mises en place par le système pour avoir des scores à la Russe. Le travail est là. Nous pourrons avoir les meilleurs conditions d’organisation des élections, si nous n’avons pas sur le terrain des jeunes qui croient en nous, nous les perdrons les élections, et ceci, à la barbe des observateurs les plus chevronnés. C’est un fait. Il faut occuper le terrain, former les militants, avoir leur confiance. Le travail est là.
Ce qui s’est passé samedi dernier à Adewi est gravissime. J’ai lu ce matin, à mon retour, des commentaires de certaines personnes qui justifient les violences par le désir des jeunes d’Adewui de défendre leur fief. J’aimerais donner quelques précisions. La première est qu’une bonne partie des personnes qui ont « défendu » Adewi n’habitent pas ce quartier. C’est même une manipulation que de penser que tous les habitants de ce quartier sont pro-Unir. C’est aussi un contre-vérité de soutenir que le quartier est habité en majorité de Kabyè. Ceci était sans doute vrai quand Adewi a posé sa pierre dans le quartier il y a une cinquantaine d’années, mais peu-probable aujourd’hui. Profitant de l’accalmie des années 2000, plusieurs mouvements y ont été opérés, et dans ce quartier que je fréquente, on y trouve plus d’étudiants et de cadres moyens, que de ressortissants exclusifs de la Kozah.
La seconde est que même si ce quartier était le fief du parti au pouvoir, il n’y a dans la loi Bodjona aucun article qui dit que la voie publique, en fonction du quartier, appartient aux riverains et non à l’Etat. la troisième précision est que la force publique doit être impersonnelle et impartiale, de portée générale. Comment comprendre que les manifestations du CST qui n’avaient pas été « autorisées » aient été systématiquement dispersées, alors que les contre-manifestants d’Adewi paradaient devant les forces de sécurité, brandissant leur armes blanches comme des trophées expiatoires. Les évènements du samedi ouvrent la voie à des lendemains incertains au Togo.
Personnellement, je suis attéré. Depuis quelques temps, on voyait bien que les manifestations du CST ne mobilisaient plus autant de personnes que ce que nous avons vu les 12,13,14 juin 2012. La voie du dialogue ne paraissait même plus complètement écartée, car l’option d’un médiateur international était avancée. Comme nous n’avons cessé de le dire, le dialogue est une fatalité.
Et il y a des irresponsables qui ont donc organisé ça, cette mise en scène qui remet tout en cause. Les conséquences sont simples, c’est que la violence va revenir dans nos rues. J’ai des jeunes qui m’ont appelé aujourd’hui pour me dire :
Vas dire à tes frères, ils peuvent faire ça à Kara et on les laisse faire, mais Lomé, c’est chez nous. Et ça ne se passera pas comme ça.
Je n’ai pas su répondre. Depuis quatre ans que je devenu un homme public dans ce pays, c’est la première fois que je me découvre donc une différence. Même des modérés que je connaissais se radicalisent. La violence ethnique est à nos portes. Je la sens, depuis ce matin.
Voici trois ans que je suis à Nyékonakpoè, que mes sociétés y sont implantées. Ce soir, j’ai deux jeunes qui sont venus me dire de ne pas m’inquiéter, que j’étais des leurs. Mais que se passera-t-il si demain, je me déclare de l’Unir et reste dans le même quartier. Aurais-je la même sérénité ? Pourquoi est-on obligé de me rassurer ?
Il faut que Faure intervienne, et vite. Il doit d’abord condamner les violences à Adewi, et diligenter des enquêtes, pour situer les responsabilités, un peu comme on l’avait fait lorsque le domicile de Fabre avait été attaqué. Il faut un signal fort. Les ministres de l’administration et de la sécurité doivent s’engager à empêcher toute violence au cours des manifestations, d’où elles viennent.
Pour finir, le romancier qui dort en moi voit plutôt un autre décryptage de ce qui s’est passé samedi dernier. Et si finalement, les manifestants du CSt n’ont été qu’un prétexte, et si la sortie des « miliciens » était simplement une façon de montrer à ceux qui pensent que Bodjona a le soutien des miliciens, que les milices continuent à travailler sans lui, et que même le parti peut parfaitement fonctionner sans sa présence. Dans ce cas, le CST se serait fait avoir, et ceci doublement, car les pauvres manifestants blessés n’ont rien à voir dans tous ces calculs, et il aurait servi de pigeon. Mais comme je le dis, c’est l’écrivain qui dort en moi qui raisonne.
Une chose est certaine, plus rien désormais ne sera plus comme avant. L’insurrection populaire n’aura peut être pas lieu, mais le chaos est à nos portes. Et il n y aura pas de gagnants. Déja, je constate, avec plusieurs opérateurs économiques, que les affaires sont presque au point mort depuis quelques mois. Presque rien ne marche. Et si nous basculons dans les luttes de gangs, alors plus personne ne sera à l’abri. Personne, même pas Faure.
Gerry Taama
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