Evgueni Prigojine, le tout-puissant patron de Wagner, un groupe de milices privées
S’il fallait une preuve définitive de la nocivité des mercenaires aux dirigeants africains, elle leur est parvenue, en fin de semaine dernière, depuis la Russie. À présent, plus personne ne pourra prétexter l’ignorance.
N’y aurait-il pas un peu d’exagération dans les commentaires qui suggèrent que la mutinerie du week-end dernier, en Russie, devraient suffire à ramener à la réalité les dirigeants africains en affaires avec Wagner, en leur faisant prendre conscience des risques, pour leurs pays, à traiter avec l’armée de mercenaires d’Evgueni Prigojine ?
Il serait encore plus affligeant d’imaginer que les dirigeants africains en question aient eu besoin d’une telle mutinerie, pour réaliser la dangerosité, pour leur pays, des relations avec Wagner. À écouter certains porte-parole relativiser la gravité de cette mutinerie, l’on se demande, d’ailleurs, si ces dirigeants africains mesurent tous la portée de ce dont est capable le patron de Wagner.
Si, au nom des intérêts de son groupe, Prigojine a pu oser défier de la sorte le redoutable Vladimir Poutine, l’on imagine de quoi il pourrait être capable, si un de ces États fragiles où il prospère venait, un jour prochain, à tenter de prendre ses distances avec lui. Déjà qu’ils sont dans le déni, n’admettant même pas traiter avec ces mercenaires décriés. Et, parfois, ils reprochent à ceux qui critiquent leurs fréquentations d’attenter à leur souveraineté nationale. Ou d’être jaloux du bonheur de leur peuple d’avoir le soutien d’un ami si efficace…
Après tout, ces États s’estiment en danger et disent faire ce qu’ils font, pour sauver leurs peuples…
Le peuple a bon dos ! Tout au plus sauveront-ils, quelque temps, leur propre régime. Mais, tôt ou tard, il y aura des conséquences, et l’histoire a prouvé que celles-ci peuvent être plus dévastatrices que le mal. Il y a peu, Vladimir Poutine, s’appuyant sur ses échanges passés avec l’ancien chef d’État français Jacques Chirac, attribuait les maladresses supposées des dirigeants américains à leur… manque de culture.
L’on se demande à quel degré de manque de culture il faut se situer, pour introduire, sur la terre de ses aïeux, des mercenaires, rétifs, par définition, à toute notion d’amour de la patrie. Les exactions décriées de cette armée de mercenaires, partout où elle a opéré, sont là, qui prouvent sa dangerosité. Exactement comme, autrefois, Bob Denard, au Katanga, aux Comores, et ailleurs. Pour avoir tourné court, la mutinerie de la semaine dernière, en Russie, n’en constitue pas moins une alerte, un violent rappel. À l’heure du jugement de l’Histoire, plus aucun dirigeant africain ne pourra prétexter l’ignorance ou une quelconque carence de culture. L’ancien Premier ministre centrafricain Martin Ziguele n’a pas eu tort de rappeler que si le patron de Wagner est capable de trahison vis-à-vis de sa propre patrie, il n’en est que plus dangereux, potentiellement, pour ces États africains, qui ne l’intéressent que pour leurs mines.
N’est-ce tout de même pas exagéré, au-delà de la culture, de suggérer que les dirigeants centrafricains manquent d’amour pour leur peuple ?
Eux seuls savent ce qu’il leur manque. Par contre, il est évident qu’une partie du personnel politique centrafricain a une désespérante propension à une certaine irresponsabilité, et cela ne date pas d’hier. Les troupes du Congolais Jean-Pierre Bemba, auxquelles l’on a reproché tant d’exactions, de viols, étaient, elles aussi, des mercenaires, invités par un chef d’État, Ange-Félix Patassé. Ils arrivaient, certes, de l’autre rive de l’Oubangui, étaient africains, noirs, mais, mercenaires, tout de même ! Quelques années plus tard, d’autres mercenaires africains, blancs, venus d’Afrique du Sud, allaient sévir en Centrafrique, à la demande de François Bozizé, chef de l’État. Le recours à des mercenaires, pour sauver leur pouvoir, est donc une fâcheuse habitude, chez certains politiciens centrafricains. Mais, pas plus aux Comores qu’au Mali, en Centrafrique, jamais aucun dirigeant n’avouera avoir recours aux mercenaires pour conquérir le pouvoir ou pour sauver son trône. C’est tellement moins déshonorant de prétendre le faire pour sauver son peuple.
Chronique de Jean-Baptiste Placca de ce 1er juillet 2023