Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
En 1960, au moment des indépendances, 9 % des enfants avaient terminé des études secondaires dans les colonies belges. On se disait que c’était en grande partie parce que les enfants étaient scolarisés au primaire dans les langues africaines. Or, en 1958, le taux de scolarisation tous degrés confondus en AOF (Afrique Occidentale Française) était de 9,72 % seulement. En AOF, le français était langue d’enseignement dès le primaire. Cela signifie que les deux systèmes de colonisation, le développement séparé (colonies britanniques ou belges) comme l’assimilation à la française, avaient atteint le même résultat en matière de scolarisation.
En fait, toute politique coloniale, de par son projet d’assujettissement d’un groupe social à un autre, contient un aspect d’assimilation. Car, pour obtenir la soumission des colonisés, on est bien forcé de leur faire admettre, d’une façon ou d’une autre, que leurs valeurs sont inférieures et, du coup, même dans le cadre d’une politique de développement séparé des communautés en présence, le colonisé est amené à vouloir adopter le mode de vie et les valeurs du colon pour assurer sa promotion sociale.
L’assimilation est donc présente dans toute entreprise coloniale mais elle n’a jamais été aussi explicite que dans le projet français, avec la volonté de montrer aux colonisés que leurs valeurs, leurs cultures, leurs langues ne pouvaient pas les aider à monter dans l’échelle sociale.
Cette assimilation a connu bien des métamorphoses mais elle perdure, et dans le domaine politique elle se conjugue dans les relations dites privilégiées entre la France et ses anciennes colonies, la Françafrique. De ces relations néocoloniales, les derniers présidents français, depuis François MITTERRAND, disent toujours qu’ils n’en acceptent plus le schéma, que les Africains sont leurs égaux, leurs partenaires, mais leur praxis politique vient toujours démentir leurs déclarations. C’est ainsi que les gouvernements français qui se suivent, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont toujours soutenus les régimes dictatoriaux, les pratiques contraires à la démocratie qui étouffent les populations dans les ex-colonies françaises. C’est pour cela que François MITTERRAND, président de gauche, a rendu visite à GNASSINGBE Eyadema, dès 1982, consolidant des relations que la France maintient avec ce régime malgré le discours de La Baule en 1990.
Par conséquent, la Françafrique est toujours d’actualité, à cause de la volonté française de défendre ses intérêts à n’importe quel prix, quitte à soutenir en Afrique ce qui serait inacceptable chez eux. Cependant, c’est aussi à cause des Africains, que la Françafrique tient bon, car pour eux la référence sacrosainte reste la France, sans aucune distanciation, sans aucune critique. C’est comme cela qu’Emmanuel MACRON, en réponse au journaliste qui l’interroge sur la montée du sentiment antifrançais en Afrique, dans une interview accordée à Jeune Afrique (20 novembre 2020) a pu dire ceci :
« il y a (…) une stratégie à l’œuvre, menée parfois par des dirigeants africains, mais surtout par des puissances étrangères comme la Russie ou la Turquie, qui jouent sur le ressentiment postcolonial. Il ne faut pas être naïf sur ce sujet : beaucoup de ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présents dans les médias francophones, sont stipendiés par la Russie ou la Turquie. ».
Il y a déjà eu beaucoup de commentaires sur cette interview qui célèbre en fait la bonne santé de la Françafrique mais était-il possible pour les Africains d’accepter une nouvelle insulte. En effet, MACRON pense que ceux qui ne l’encensent pas, non seulement ne sont pas capables de penser par eux-mêmes mais se font payer par la Russie ou la Turquie pour accomplir leurs basses besognes. Passe encore qu’il se serve de nous pour régler des comptes avec la Russie et surtout avec la Turquie mais qu’il en profite pour nous traiter encore avec mépris, alors qu’il sait que son pays ne peut pas s’en sortir sans nous, c’est vraiment révoltant. Et aucun dirigeant africain n’a protesté !
Pourtant dans la même interview, avec le style sentimental de la Françafrique, MACRON n’affirmait-il pas « Je pense qu’entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour » ? Comment l’amour peut-il se déployer dans le mépris de l’un pour l’autre ?
De fait ce qui pose problème ce n’est pas le mépris de MACRON, c’est la tranquillité avec laquelle il exprime ce mépris au XXIè siècle, sans crainte de blesser qui que ce soit. Comment cela se fait-il ? Pourquoi cette posture alors que la France ne cesse de se considérer comme Patrie des Droits de l’Homme ? Le mépris fait-il partie des droits humains ?
L’histoire donne la réponse. En effet, si le développement séparé et l’assimilation aboutissaient aux mêmes résultats au plan scolaire, il y avait cependant une différence : dans les colonies françaises, on concevait difficilement l’enseignement dans une autre langue que le français, position fermement défendue quel que soit leur discours par une classe d’Africains. A l’exception de la Guinée et du Togo, ce sont des membres de cette classe qui, après l’indépendance, vont constituer les autorités dans les anciennes colonies françaises.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus du problème de la langue d’enseignement seulement (même si presque rien n’a changé), il n’est plus question de gouvernants mais d’une classe d’Africains, des universitaires en majorité, pour qui la France demeure LA référence et l’Unique étalon. De multiples éléments permettent pourtant de ne plus voir en la France un modèle irréfutable : au plan scolaire, par exemple, les études les plus récentes montrent qu’en mathématiques, au primaire, les élèves français sont classées derniers des pays européens et avant-derniers parmi les pays développés. Et les établissements français ont bien du mal à figurer dans le classement SHANGHAI des universités mondiales (en 2020, une seule université dans le top 20, quatre dans le top 100). Pourquoi alors continuer à s’inspirer uniquement du système de formation français ?
Dans le domaine politique, qui peut douter aujourd’hui du fait que sans l’Afrique, la France ne peut pas être comptée au rang de puissance ? Alors pourquoi les Africains ne jouent-ils pas sur cet élément, pour se situer en meilleure place dans le débat politique international ?
Cela se comprend pour ce qui concerne les dirigeants peu légitimes soutenus par le pouvoir français et sûrs par conséquent d’une certaine impunité. Mais pourquoi ceux qui sont en face de ces dirigeants sont-ils eux aussi si soucieux d’une reconnaissance française ? Or pour ceux qui luttent pour la démocratie, on sait ce que vaut cette reconnaissance. Michel ROCARD qui incarnait une seconde gauche face à MITTERAND n’est-il pas venu danser avec GNASSINGBE Eyadema au Togo ?
Une des raisons de la relative paralysie actuelle des sociétés civiles, n’est-ce pas l’habitude de chercher l’assentiment de la communauté internationale et particulièrement de la France ? Ne faut-il pas se demander dans quels sens jouent les intérêts français ? Qui pourra reprocher aux hommes politiques français de choisir d’abord leurs intérêts plutôt que les valeurs de la démocratie et des Droits de l’homme ? (Cf. la justification du président MACRON sur la visite en France du président égyptien Abdel Fattah al-SISSI)
Quoi, qu’il en soit, le système mis en place depuis les années 60 par le Général De Gaulle, la Françafrique, est toujours en place et solidement implanté. Peut-on sérieusement espérer une histoire d’amour avec un tel système ? Où est le respect des Droits de l’Homme dans un tel système maintenu et entretenu ?
Il est peut-être temps, au moins pour ceux qui désirent le changement, tout en tenant compte des équilibres géopolitiques actuels, de chercher d’autres partenariats dans le sens d’autres schémas politiques, et surtout idéologiques. Il s’agit pour nous d’assumer la colonisation qui explique toujours une certaine dépendance mais de récuser les prétentions actuelles du pouvoir français de courir pour des dirigeants vomis par leurs peuples.
N’est-il pas temps aussi, pour les intellectuels qui cherchent la renaissance de l’Afrique de ne plus continuer à s’identifier au système scolaire et éducatif français même s’ils ont été moulés dans ce système ?
Ce que nous avons à construire ce n’est pas une histoire ni d’amour ni de mépris fondée sur le passé révolu, mais un avenir qui nous appartient et qui met au cœur la reconnaissance et la dignité de chaque être humain et de chaque peuple, car la diversité est la loi constitutive de notre monde. Et dans ce sens on ne peut s’empêcher d’exprimer un regret. C’est le cas du RWANDA. Ce qui est arrivé c’est que ce petit pays est sorti du giron français en devenant anglophone en moins d’une génération ! Pour ne pas perdre leur influence dans la région, les dirigeants français ont su retourner quelque peu la situation en faveur de leur pays, en offrant le poste de Secrétaire Générale de la Francophonie à une femme qui n’a pas toujours été une étoile dans le combat pour les Droits de l’Homme.
Cela devrait nous inviter à la vigilance ! Pas de confiance automatique en raison de relations privilégiées !
Lomé, le 11 décembre 2020