Qui sera la figure de proue de l’opposition? Entre la vieille garde, que représente Jean-Pierre Fabre, et la relève, pour laquelle plaide Gerry Taama, c’est le bras de fer.
Ne parlez pas à Jean-Pierre Fabre des critiques que certains de ses homologues de l’opposition formulent contre lui. Son ton, jusqu’alors calme et tempéré, s’emballe sur-le-champ. Le patron de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) ne cite jamais nommément le député Gerry Taama, mais les flèches décochées à l’endroit de ceux qu’il qualifie de « crypto- opposants » visent indubitablement le chef du Nouvel engagement togolais (NET).
Il faut dire que Gerry Taama ne s’est pas montré tendre avec le doyen de l’opposition. En mars dernier, il publiait une déclaration appelant à redynamiser l’ANC. « Depuis 2020, Jean-Pierre [Fabre] n’est plus l’homme qu’il faut pour garantir la pérennité de l’ANC », écrivait-il, invoquant les 4 % de suffrages recueillis par Fabre lors de la présidentielle de 2020, un net recul par rapport aux 35% remportés en 2015.
« Haine et mythomanie »
Taama estime surtout que, depuis son élection à la mairie de la Commune du Golfe 4 de Lomé, le patron de I’ANC se montre trop discret sur les sujets de portée nationale et se focalise sur les affaires municipales. « Jean-Pierre Fabre se résume désormais à son activité de maire. Sur le plan national, pour les années 2022 et 2023, c’est zéro », tance-t-il.
« De quoi parle-t-on ?, s’emporte Jean-Pierre Fabre à l’évocation de ces propos. L’ANC se prononce sur tous les sujets d’intérêt national, et ce, depuis des années. Aujourd’hui, des nouveaux venus, opportunistes, voudraient nous faire croire qu’on ne m’entend plus. C’est ce genre de haine et de mythomanie au sein de l’opposition qui ont permis à [Gnassingbé] Eyadéma et à son fils [Faure Essozimna Gnassingbé] de se maintenir au pouvoir si longtemps. »
Alors que certains l’accusent en coulisses d’avoir retourné sa veste, Jean-Pierre Fabre ne renie rien de son engagement politique. « J’ai consenti trop de sacrifices pour me laisser salir par des intermittents de l’opposition », clame-t-il, renvoyant la balle à ceux ont « fait le jeu du régime » en participant aux législatives de 2018. Élections aux cours desquelles Gerry Taama avait remporté son fauteuil dans l’hémicycle tandis qu’une large frange de l’opposition avait décidé de les boycotter.
« Des opposants 1.0 »
Derrière ces échanges peu amènes, les deux hommes se livrent combat afin de s’imposer comme le meneur de l’opposition. D’un côté, Fabre, 70 ans, n’a pas renoncé à conduire un jour la première alternance démocratique du pays. De l’autre, Gerry Taama, ancien militaire de vingt-deux ans son cadet, plaide pour un renouvellement à la tête des partis, qu’il juge « vieillissants ». « Jean-Pierre et consorts sont restés des hommes politiques 1.0, quand nous sommes à l’ère de la politique 3.0 », taillait-il dans sa tribune de mars.
L’expérience contre la jeune garde. « Je ne saurais même pas vous énumérer toutes les fois où mon engagement politique m’a conduit à dormir en prison. Aujourd’hui, ceux-là même qui n’ont jamais vu l’intérieur d’une cellule m’inventent des rencontres nocturnes avec le pouvoir », vilipende Jean-Pierre Fabre. Déjà en froid avec Mgr Kpodzro et ses partisans, le leader de l’ANC assure continuer d’occuper le terrain tout en préparant sa formation aux prochaines joutes électorales. Gerry Taama, à l’inverse, estime que la bataille ne se jouera qu’en 2030.
« L’opposition n’est pas en mesure de battre Faure Essozimna Gnassingbé dans les urnes à la présidentielle de 2025 », assure le patron du NET, conscient de devoir laisser « le temps à [son] parti de grandir et de mieux s’implanter dans l’ensemble du territoire ». Une position qui lui vaut d’être considéré comme « un opposant de façade, rallié au pouvoir », par certains détracteurs.
Alternance démocratique
Pourtant, Gerry Taama le concède, « l’alternance ne se fera sans doute pas sans l’ANC ». « Je travaillerais volontiers aux côtés d’un leader plus jeune, mais si Jean- Pierre Fabre garde la tête du parti, je suis certain que l’on pourra malgré tout travailler ensemble », finit-il par tempérer, assurant qu’il soutiendrait son rival si ce dernier parvenait à se hisser au second tour de la présidentielle.
« Je ne m’imposerai pas à ceux qui ne veulent pas de moi. Mais le peuple togolais doit avoir conscience que ceux qui parlent d’union ne sont pas toujours ceux qui œuvrent le plus en ce sens », répond Jean-Pierre Fabre.
Privés de manifestations et de meetings depuis mars 2020-du fait de la pandémie de Covid-19, officiellement, les opposants du chef de l’État ont relancé les hostilités en janvier dernier, notamment à travers un meeting de la Dynamique Mgr Kpodzro (DMK). Mais, avançant en ordre dispersé car incapables de s’entendre, ils pourraient bien paver la voie du président togolais vers un cinquième mandat en 2025.
Jeuneafrique
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