Depuis le 19 août dernier, à la suite des manifestations organisées par le Parti national panafricain (PNP), la lutte pour la démocratisation du Togo est rentrée dans une phase décisive. Toutes les forces démocratiques ont enfin compris la nécessité de rentrer dans la dynamique d’action unitaire. L’une des figures de proue de ce nouveau mouvement est sans doute Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, présidente de la CDPA et de CAP 2015. Elle s’est confiée à nous dans une interview exclusive. Elle est lance un appel à la mobilisation générale pour les manifestations des 6 et 7 septembre.
Liberté : Bonjour Madame Brigitte Adjamagbo-Johnson. Ces derniers temps, nous remarquons que vous êtes de plus en plus active sur les réseaux sociaux, notamment Twitter. Pourquoi cet intérêt …
Kafui Adjamagbo : Bien sûr ! Je suis active, parce que le moment s’y prête. Nous sommes dans une nouvelle dynamique et il faut vraiment maintenir la mobilisation. Et donc en tant que première responsable d’un parti politique (CDPA, Ndlr) et soucieuse de faire aboutir la lutte pour la libération de notre peuple, je ressens, un peu comme un devoir, d’intervenir de temps en temps pour que les gens n’oublient pas l’essentiel pour maintenir cette mobilisation. Vous savez aussi bien que moi que les réseaux sociaux sont de nos jours des outils indispensables dans la communication de masse.
Comment se porte aujourd’hui la CDPA dont vous êtes la présidente ?
Elle se porte bien. Vous savez que c’est en période de « combat » que la CDPA se retrouve dans son élément. Nous avons souhaité depuis 1992 que toutes les forces du changement fassent jonction pour imposer la démocratie dans notre pays. Vous comprenez que nous sommes très heureux puisque nous nous sentons très à l’aise dans ce nouveau contexte, où enfin toutes les forces politiques ont compris qu’il y a une opportunité pour mener à terme la lutte de libération de notre pays. Ensuite, nous asseoir ensemble pendant une transition, pour poser les nouvelles bases du vivre ensemble, ce qui permettra à chacun après, à la faveur d’une vie démocratique normale, de faire primer ses ambitions et donc de poursuivre le but normal d’un parti qui est de conquérir le pouvoir.
Bien qu’il y ait un calme « précaire » dans le pays, la tension est toujours perceptible et tout est parti du 19 août dernier, où le peuple est massivement sorti dans la rue, à l’appel du PNP. La suite, nous la connaissons. Est-ce que vous vous attentiez à cette mobilisation impressionnante ?
Disons honnêtement que cela a été une véritable surprise pour nous, mais je crois que la mobilisation peut s’expliquer par le ras-le-bol du peuple, qui n’a que trop attendu, les réformes que nous demandons depuis onze (11) ans. Le régime se croyait tout puissant, croyait bien faire, en usant de subterfuges, de toutes sortes de manœuvres dilatoires pour ne pas opérer les réformes. J’espère qu’ils ont compris qu’à trop tirer sur la corde, Eh bien, elle a fini par se « casser ». C’est ce qui explique cette mobilisation de mon point de vue. La preuve est qu’aussitôt après cette marche, c’est tout le peuple qui, de nouveau a retrouvé une nouvelle vigueur. Comme dans les années 90, le peuple est totalement mobilisé derrière les leaders pour que le pouvoir cinquantenaire cède enfin et qu’on achève cette longue marche que nous avons commencée depuis 27 ans maintenant vers la démocratie.
Que pensez-vous de la répression sanglante des manifestations du 19 août ?
C’est vraiment incompréhensible. Alors qu’il ne s’agissait que d’une marche pacifique, les autorités ont cru devoir la réprimer avec autant de sauvagerie. C’est vrai qu’elles avaient annoncé cette répression-là, à travers les menaces qu’elles avaient proférées. Nous les avions mises en garde. Malgré cela, le pouvoir a mis à exécution ses menaces. Je pense que c’est très grave ce qui s’est passé. C’est pour ça que nous demandons qu’il y ait une commission indépendante pour situer les responsabilités. Nous voulons savoir qui sont les commanditaires de cette répression et ceux qui ont exécuté. On ne peut pas passer par pertes et profits cette barbarie, car le contexte actuel ne permet plus de fermer les yeux sur des violations aussi flagrantes et graves des droits de l’Homme. Donc tôt ou tard, les commanditaires et les exécutants auront à répondre de leurs actes.
Au lendemain de ces manifestations, une nouvelle dynamique s’est créée au niveau de l’opposition. Parlez-nous de cette coalition dont vous êtes une pièce maîtresse ?
Ce nouveau regroupement se porte très très bien, n’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure qui prétendent que ces jours-ci, tout vas mal. Nous discutons beaucoup. Nous sommes treize partis politiques, avec deux regroupements (CAP 2015 et Groupe des 6), plus le PNP et Santé du Peuple. Forcément, nous avons des visions différentes, des stratégies différentes, nous sommes (hommes et femmes qui incarnent ces partis) de tempérament différent, et il y a lieu de discuter. Nous prenons la peine chaque fois de discuter et nous arrivons toujours à nous entendre sur ce qu’il faut faire. Je veux annoncer aux populations que tout va très bien, et personne ne devrait craindre quoi que ce soit. L’engagement que nous prenons c’est que, si nous avons des dissensions, nous les règlerons entre quatre murs. Mais nous sommes unis et déterminés à mener à terme ce combat.
Ce regroupement avait prévu des manifestations à Lomé sur les 30 et 31 août derniers. Finalement vous les aviez reportées. Quelles ont été les raisons qui ont motivé ce report ?
On peut dire que c’est la mobilisation des populations sur toute l’étendue du territoire qui nous a amenés à revoir la formule que nous voulions utiliser la première fois qui consistait à organiser une seule activité nationale concentrée à Lomé. Nous voulions commencer par là et dans un deuxième temps, nous étendre dans les préfectures. Mais mal nous en a pris parce que nous avions eu l’agréable surprise de recevoir des messages d’un peu partout de l’intérieur du pays. Vous savez, les Togolais sont tellement conscients des enjeux du moment. Tout le monde veut apporter sa contribution ; c’est ce qui nous a amenés à sursoir aux préparatifs que nous avions commencés et à nous donner une semaine pour organiser une activité sur toute l’étendue du territoire. A ce jour, nous avons pris des dispositions dans tous chefs-lieux de préfecture. Des groupes ce sont constitués dans toutes les préfectures et ont commencé à préparer les marches des 6 et 7 septembre à leur niveau, en concertation avec le noyau central ici à Lomé.
Quelles sont concrètement les revendications de ce regroupement ?
Nous avons une revendication fondamentale politique et des revendications qui ne sont pas moins importantes et qui découlent des premières manifestations. La revendication politique fondamentale, c’est le retour à la constitution originelle de 1992. En plus, nous voulons que le cadre électoral soit revu de manière à ce qu’il nous permette d’organiser dans le futur, des élections démocratiques transparentes. Mais ce cadre électoral devra prendre en compte également la question du vote des Togolais de l’étranger, qui jusqu’ici n’avaient pas été autorisés légalement. Enfin, nous voulons que nos institutions qui penchent tout le temps du côté du pouvoir à l’instar de la tour de Pise en Italie, que ces institutions soient revues pour qu’elles puissent constituer pour les citoyens, des garanties dont nous avons besoin dans toute République. Voyez ce qui se passe en ce moment au Kenya où la Cour suprême a pour une première fois dans l’histoire de l’Afrique, annulé une élection présidentielle. C’est ça que les populations attendent de nos institutions. Qu’elles soient vraiment indépendantes, fortes comme l’ex-président américain Barack Obama nous l’a souhaité, et je pense vraiment que nous sommes sur la voie. Le Togo ne pourra demeurer éternellement le vilain petit canard. Le Kenya vient de nous donner l’exemple. C’est aussi le rêve des populations togolaises et nous voulons y arriver.
Nous apprenons qu’il y a des initiatives en cours pour ouvrir un nouveau dialogue. Qu’en est-il ?
On n’a reçu aucun appel. Si on nous appelle, nous irons tout en espérant qu’on nous dira, OK maintenant on vous a entendus. Voilà, on a décidé de vous donner ce que vous voulez. Mais si on nous appelle pour retourner dans le ronron d’antan qui a fatigué les Togolais et qui consiste à dire « il faut faire un compromis » « une loi ne peut pas être rétroactive », etc., nous quittons immédiatement la table de négociations Nous en avons fini avec ça. Le peuple veut retrouver la constitution pour laquelle il a voté massivement à plus de 97% en 1992 point barre.
Malgré tout Faure Gnassingbé plonge, comme à son habitude, dans un silence assourdissant.
Ce n’est pas normal et nous espérons qu’il se prépare à dire quelque chose de concret, qui réponde aux attentes du peuple. Même s’il le disait, nous resterons vigilants. Nous maintiendrons la mobilisation. Nous manifesterons jusqu’à obtenir ce que nous voulons. Le pouvoir prendrait un grand risque à ne pas nous donner ce que nous voulons au stade actuel, parce que la seule option qui nous resterait, ce serait de demander son départ.
Les 6 et 7 septembre, la mobilisation sera d’envergure nationale. Quel est le mot d’ordre ?
Les populations sont déjà mobilisées. Elles savent là où elles veulent aller. Elles ont compris que la seule chose qui nous reste, c’est de sortir, de montrer que c’est nous qui sommes souverains et donc de mettre en œuvre cette souveraineté pour obtenir ce que nous voulons. Cela veut dire que nous devons sortir massivement, jeunes et vieux, hommes et femmes. Nous devons tous sortir. Personne ne doit rester à la maison pour que ce régime comprenne que nous sommes déterminés et je suis convaincue que le peuple que je connais là, je suis convaincue qu’il le fera. Ils montreront que ce ne sont pas des gens qui sont payés, qui sortent et qui cachent leurs tricots dans un sachet quand ils ont fini, mais ce sont des gens déterminés. Qui exercent véritablement leur souveraineté. C’est le sens de ce que nous voulons faire les 6 et 7 septembre.
Interview réalisée par Shalom Ametokpo
source : Liberté