Même lorsqu’on vient de quitter un poste avec quelques auréoles, la modestie veut qu’on observe de la réserve, surtout lorsqu’il s’agit du secteur de l’éducation au Togo. Comme un éléphant dans une boutique de porcelaine, le nouveau ministre DodziKokoroko est déjà en train de condamner les initiatives locales grâce auxquelles le taux de scolarisation au Togo est classé parmi les meilleurs sur le continent.
A peine installé et déjà un épouvantail aux yeux de ceux des parents qui, par souci de scolarisation des enfants de coins reculés et dépourvus de structures scolaires, ont toujours pris des initiatives pour répondre à l’Agenda 2030 des Objectifs de développement durable (ODD).
« Ce que nous vivons aujourd’hui avec les EV réveille la conscience de chacun d’entre nous. Et il s’agit d’une responsabilité partagée… L’une des mesures phares qui est en train d’être prise au niveau du ministère, c’est un gel provisoire de ces créations anarchiques d’établissements…Plus nous vivrons dans ce laisser-aller, plus la problématique des EV se posera toujours. En contrepartie le gouvernement doit prendre ses responsabilités et mener une politique ambitieuse de recrutement des enseignants », a estimé le nouveau ministre. C’était jeudi 22 octobre 2020 à la conférence de presse hebdomadaire de la Coordination nationale de gestion de la riposte au Covid-19 (CNGR).
DodziKokoroko fait clairement allusion à la création des EDIL (Ecoles d’initiative locale), des CEGIL (Collège d’enseignement général d’initiative locale) et des LYDIL (Lycée d’initiative locale). Mais les autorités auraient-elles pu s’en sortir toutes seules sans ces initiatives locales ? Rappelons qu’entre 2007 et 2018, ce sont en tout 2134 établissements communautaires tous cycles confondus qui ont été transformés en établissements scolaires publics : 1585 EDIL, 547 CEGIL, 32 LYDIL et 202 JEDIL (jardins d’enfants). Mais même avec cet effectif résorbé, quelque 600 nouveaux établissements communautaires qui sont créés entre 2018 et 2019.
Ces chiffres montrent un engouement des parents qui ont pris conscience que l’éducation est un carrefour incontournable en ce 3ème millénaire. Mais la faute est-elle imputable aux communautés qui cherchent aussi à voir leurs enfants évoluer ? On répondrait par l’affirmative si on veut être partial et sectaire. Et si on méconnaît la cible 4 des ODD.
Le gel provisoire des établissements communautaires signifie-t-il que les enfants de coins reculés n’ont pas droit à l’éducation et doivent rester provisoirement à la maison alors qu’ils ont l’âge, monsieur le ministre ? Si la création de ces établissements était vraiment « anarchique », pourquoi l’Etat a-t-il transformé ceux créés entre 2007 et 2018 en établissements publics ?« Plus nous vivrons dans ce laisser-aller, plus la problématique des EV se posera toujours. En contrepartie le gouvernement doit prendre ses responsabilités et mener une politique ambitieuse de recrutement des enseignants », a jugé le ministre. Une fuite en avant. Parce que d’abord, les enseignants volontaires (EV) le sont, faute de mieux.Ce qui veut dire qu’ils travaillent contre des rétributions misérables et que se passerait-il s’ils refusaient ?
Ensuite, parler de politique ambitieuse de recrutement doit être subordonnée à une politique d’infrastructures scolaires et leur équipement. D’ailleurs, la cible 4 des ODD est claire à propos, au cas où le ministre feindrait de l’ignorer. Voici quelques points de ladite cible :
4.1: D’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons suivent, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité, qui débouche sur un apprentissage véritablement utile.
4.5: D’ici à 2030, éliminer les inégalités entre les sexes dans le domaine de l’éducation et assurer l’égalité d’accès des personnes vulnérables, y compris les personnes handicapées, les autochtones et les enfants en situation vulnérable, à tous les niveaux d’enseignement et de formation professionnelle.
4.a: Faire construire des établissements scolaires qui soient adaptés aux enfants, aux personnes handicapées et aux deux sexes ou adapter les établissements existants à cette fin et fournir un cadre d’apprentissage effectif qui soit sûr, exempt de violence et accessible à tous.
4.c: D’ici à 2030, accroître considérablement le nombre d’enseignants qualifiés, notamment au moyen de la coopération internationale pour la formation d’enseignants dans les pays en développement, surtout dans les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement.
Ce n’est pas parce que les EV revendiquent de meilleures conditions de travail et de vie et leur recrutement par l’Etat qu’il faille tirer sur eux, tels des perdrix ; eux aussi ont de la valeur. Les maux du Togo sont ailleurs qu’avec les EV ; combien de concours de recrutement d’enseignants l’Etat a-t-il lancé depuis 2007 par exemple ? Et à côté, combien de concours de recrutement ont été lancés pour recruter dans l’armée ? Gouverner est un choix et la politique de l’éducation ne s’improvise pas ni ne se décrète pas. Il peut être vrai que DodziKokoroko aurait fait ses preuves comme président d’université. Mais l’enseignement primaire et secondaire, c’est autre chose. Et un peu de respect pour ces milliers d’EV qui transmettent les connaissances aux futurs dirigeants du Togo ne ferait de tort à personne.
Godson K.
Source : liberté