«…Cette condamnation inique qui n’est que l’épilogue d’un long acharnement sur des journalistes indépendants qui ne font que leur travail d’enquête sur les dessous de la gouvernance scandaleuse du pays, indique aussi le niveau de cruauté de ceux qui, malgré le mystérieux décès, presqu’un an jour pour jour, de l’une de leurs proies, en l’occurrence le regretté Joël EGAH, Directeur de publication du journal FRATERNITE, n’ont pas eu la décence de mettre fin à leur chasse contre des journalistes, Ferdinand, Isidore et Joël…» (La Rédaction de L´Alternative, 16 mars 2023)
La nouvelle loi sur la presse (Das Schriftleitergesetz), votée le 04 octobre 1933 par le gouvernement nazi, en Allemagne, et entrée en vigueur le 1er janvier 1934, finit par donner le coup de grâce à la liberté de la presse, synonyme de son abolition. À peu près 1300 journalistes perdirent leur boulot et beaucoup partirent en exil. La suite de l´histoire, tout le monde la connaît: la deuxième guerre mondiale de 1939 à 1945 et Adolf Hitler qui, en désespoir de cause, les alliés ayant occupé Berlin, se suicide dans son bunker le 30 avril 1945. De la mise au pas de la presse dans l´Allemagne hitlérienne à nos jours il y a 85 ans. Et nous vivons en 2023, en plein 21e siècle, dans un petit pays de l´Afrique de l´ouest, le Togo. Et dans ce pays balotté depuis plus d´un demi-siècle par une dictature militaro-clanique, il souffle comme un air de grand danger pour la liberté de la presse.
Comparaison n´est pas raison, dit-on. Mais la manière dont les responsables nazis avaient procédé pour consolider leur dictature en abolissant, entre autres, la liberté de la presse, semble curieusement ressembler à ce qui se passe aujourd´hui au Togo. Ici aucune nouvelle loi pour mettre au pas la presse et obliger les journalistes critiques à se conformer, s´ils ne veulent pas se retrouver en prison, mettre la clé sous le paillasson pour cause d´amendes fantaisistes et injustifiées, ou prendre le chemin de l´exil. La justice instrumentalisée et une supposée Haute Autorité de l´Audiovisuel et de la Communication (HAAC), carrément à côté de la plaque quant à son rôle, sont là pour venir au secours d´un régime à bout de souffle, et allergique aux critiques et à la manifestation de la vérité. C´est connu: «Qui veut noyer son chat, l´accuse de rage». Un dicton abondamment utilisé depuis longtemps au Togo comme source d´inspiration pour faire taire les voix dissidentes, les opposants, les acteurs sérieux de la société civile et les journalistes qui dénoncent les abus et violations du régime.
Deux journalistes qui n´ont fait que faire leur boulot comme c´est le cas dans beaucoup de pays civilisés à travers le monde, sont harcelés et persécutés jusque dans leurs derniers retranchements, pour finalement être contraints à la clandestinité ou à l´exil. Les circonstances qui ont conduit Ferdinand Ayité et Isidore Kouwonou, respectivement Directeur de Publication et Rédacteur en Chef du bi-hebdomadaire L´Alternative, à prendre le chemin de l´exil pour sauver leur peau, laissent conclure que nous avons ici affaire à un abus de pouvoir, à l´utilisation de la raison du plus fort. Une pratique éhontée de la part d´un régime, qui n´a rien à voir avec le droit. Oui le droit, puisque nous y sommes; même si les spécialistes dans ce domaine que nous avons contactés, nous confirment qu´un dossier dans le circuit judiciaire, non encore clôturé, pourrait être ressuscité à tout moment, nous nous demandons, toutefois, quelle est la pertinence et surtout quel est l´intérêt pour deux ministres du gouvernement, supposément calomniés, de faire réactiver une affaire qui date presque de deux ans et pour laquelle les journalistes incriminés s´étaient excusés publiquement; ce qui leur était demandé avant qu´ils ne fussent libérés de prison en décembre 2021?
Et si la rédaction de L´Alternative parle dans son communiqué de décence, c´est par rapport au défunt journaliste, co-détenu de Ferdinand Ayité, Joël EGAH, décédé peu après leur libération. Les deux membres du gouvernement, de surcroît pasteurs, avaient-ils vraiment besoin de cracher ainsi sur la mémoire d´un compatriote journaliste pour une affaire dans laquelle les professionnels des médias mis en cause n´avaient pas eu de réelles chances pour se défendre? Et le fait que, parallèlement à la réactivation de l´affaire de supposés outrage et propos injurieux envers ces deux ministres, une autre affaire datant de 2015, et concernant la «route Lomé-Vogan-Anfoin», où trois journalistes avaient accusé à l´époque deux autres ministres de détournements de fonds, refasse surface, ne peut pas être un hasard, mais un plan bien ficelé par les caciques du régime pour faire taire des journalistes de la presse privée critique.
Mercredi, 15 mars 2023, à l´issue d´un procès expéditif, des juges du Tribunal de Grande Instance de Lomé condamnent Ferdinand Ayité et Isidore Kouwonou à (3) trois ans de prison ferme et à une amende de (3) trois millions de francs CFA. Un mandat d´arrêt fut également émis à leur encontre, puisqu´ils étaient absents à la parodie de procès. Si seulement nos juges pouvaient être aussi alertes pour les nombreux crimes de violations des droits de l´homme, accumulés pendant des décennies, en mettant fin à l´impunité, s´ils pouvaient cesser de s´aplatir devant le régime de dictature en enquêtant et en jugeant tous ces prédateurs de tout poil qui gravitent autour du pouvoir de Faure Gnassingbé, notre pays le Togo s´en porterait beaucoup mieux, leur honneur, en tant que juges, serait sauf; et ils pourraient enfin regarder leurs épouses et leurs enfants dans les yeux et être fiers d´avoir choisi cette noble profession qui consiste à défendre le pauvre, la veuve et l´orphelin.
Pour nous, la persécution qui s´abat actuellement sur la presse critique au Togo de façon générale est la conséquence de la volonté de nos dirigeants de fait de faire croire à une démocratie, qui n´est que trompe-l’œil, tout en renforçant les attributs d´une dictature pure et dure. Une presse libre d´informer le public permet à diverses tendances de se faire entendre, et permet également de responsabiliser les dirigeants. Et ce n´est pas par hasard, si dans les meilleures démocraties la presse est considérée comme un quatrième pouvoir, après les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Ferdinand Ayité et Isidore Kouwonou sont aujourd´hui en exil. La condamnation à la prison ferme et les mandats d´arrêt à leur encontre sont de nul effet, car ils ne sont pas des criminels, et aucun état, même dans la sous-région ouest africaine, n´est assez fou pour arrêter et livrer des journalistes qui n´ont fait que leur travail, à un régime de terreur. Faure Gnassingbé veut-il un jour sortir par une porte moins petite? Alors, les Togolais exigent la libération de tous les prisonniers poliltiques, le retour de tous les exilés politiques et non l´augmentation de leur nombre.
Samari Tchadjobo
Allemagne