Les dirigeants africains peuvent-ils tout décider sans l’aval des peuples ? Si les budgets des Etats peinent à couvrir les dépenses d’investissements publics, ce ne serait pas seulement la faute à une mobilisation insuffisante des ressources internes. A en croire le professeur KakoNubukpo, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) a décidé depuis 2019 que désormais, les dépenses militaires soient logées dans les dépenses d’investissements publics. Il y a alors péril en la demeure.
Les Etats membres de la CEDEAO seraient tous des modèles de démocratie que l’inquiétude n’existerait pas. Mais avec la profusion de chefs d’Etat qui font tout pour se river sur le fauteuil présidentiel, l’information de Kako Nubukpo, Doyen de la FASEG (Faculté des sciences économiques et de gestion) a de quoi inquiéter : tant sur le plan sécuritaire qu’économique.
A propos de la qualité de la gouvernance, le doyen de la FASEG affirme que « outre le fait qu’elle reflète la présence ou l’absence d’un État capable de fournir des services et des perspectives économiques aux citoyens, l’instabilité politique et l’insécurité découragent également les IDE (investissements directs étrangers). En octobre 2019, les dirigeants de la CEDEAO ont décidé, de manière problématique, de classer les dépenses militaires comme des dépenses d’investissements publics ; ce qui signifie que tous les types de ressources, y compris l’aide au développement, pourraient être détournés vers les dépenses militaires au détriment des écoles, des dispensaires, de l’électrification rurale, des routes et de l’eau potable ». Comment et pourquoi ?
Les dépenses d’investissements publics dont profitent chaque citoyen sont entre autres les écoles, les centres de soins ou hôpitaux, l’électrification des localités celle publique, l’adduction d’eau potable, les routes pour désenclaver. Aujourd’hui, l’environnement aussi s’y est invité. Mais en quoi l’armée doit être assimilée à des dépenses d’investissements publics ?
En Afrique, les dirigeants rechignent à quitter le pouvoir à l’expiration de leurs mandats réguliers. Comme une trainée de poudre, un nouveau virus s’est emparé des chefs d’Etat, bien avant le coronavirus : le virus du tripatouillage constitutionnel et de la prolongation des mandats. Au Togo, en Côte d’Ivoire, en Guinée, et certainement ailleurs dans les jours et mois qui viennent, des présidents vont faire passer le bistouri dans la loi fondamentale de leur pays pour remettre les compteurs à zéro, les uns après les autres. Ils ne conçoivent pas de redevenir de simples citoyens redevables, ayant été trop longtemps déifiés. Et ce n’est pas faute aux populations d’avoir cherché à manifester contre cette nouvelle forme de coup d’Etat qui brime le droit des peuples à choisir leurs dirigeants.
Mais il y a l’armée. Cette catégorie d’hommes qui étaient au départ des civils, mais qui, parce qu’ayant suivi des formations et ayant appris le maniement des armes, se rangent derrière le dirigeant et retournent leurs armes payées avec l’argent du contribuable contre le peuple.
Au Gabon, des hélicoptères ont été utilisés contre des manifestants qui réclamaient le départ du président. Parce que ce président en a donné l’ordre. Au Togo, des hélicoptères ont tiré sur des manifestants dans certaines villes du pays sur ordre. Des armes de guerre censées protéger le pays ont été retournées contre les peuples, simplement parce que ceux qui les tiennent ont reçu l’ordre de tirer sur les populations dont les taxes ont permis d’habiller, de nourrir et de payer les militaires. En Guinée, des images de militaires font le tour des réseaux sociaux sur lesquelles on les voit dans de basses besognes. En Côte d’Ivoire, ils sont acquis à la cause d’un seul homme qui avait pourtant promis ne plus se représenter, ses deux mandats réglementaires ayant été épuisés.
Pour justifier cette anomalie, il est argué par les chefs d’Etat le slogan selon lequel « sans sécurité, il ne peut y avoir de développement ». Sauf que l’inverse aussi est vrai, mieux, plusque vrai. Des pays n’ont pas vendu la peau de leurs fesses pour acquérir du matériel militaire, et pourtant, ils sont très développés.
Par dépenses d’investissements publics, on sous-entend des dépenses qui profitent aux peuples et pas qui leur nuisent. A Sokodé au Togo, des troupes entières de militaires ont commis des bavures innommables sur des civils désarmés. La situation fut et demeure telle qu’aujourd’hui, le militaire est craint par le civil alors qu’il devrait être le protecteur. Or, par dépenses d’investissements publics, on suppose des dépenses dont les populations doivent jouir et non en pâtir.
Par cette décision des chefs d’Etat de la CEDEAO, les lois de règlement diront que les dépenses d’investissements publics augmentent, sans que les populations et les vrais secteurs dans le besoin en soient bénéficiaires. Qu’un Etat décide d’affecter par exemple 15% de son budget à la santé, et 15% à l’éducation, relèverait du bon sens. Mais que 15% du budget soient affectés à l’achat du matériel militaire alors que le pays n’est pas en guerre, ça ferait désordre. Malheureusement, c’est ce que la CEDEAO des chefs d’Etat a décidé l’année dernière. Sans que les peuples aient été consultés. Ainsi va l’ouest du continent africain !
Godson K.
Source : Liberté