Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une profonde et ténébreuse unité,
Vaste comme la nuit et la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
C’est un extrait de Correspondances du poète français Charles BAUDELAIRE (1821-1867). Ce texte met l’accent sur les rapports entre le monde matériel et le monde spirituel, la Nature présentant des mystères à travers ce qui est perceptible par nos sens (couleurs, parfums, sons).
Pourquoi se rappeler ce poème ? A cause d’événements qui nous ont frappés dans l’actualité de cette semaine.
Le plus récent est le décès du Cardinal Laurent MONSENGWO. Qui peut, en effet, oublier ce prélat qui s’est élevé contre les dérives antidémocratiques du président KABILA de la République Démocratique du Congo ? On se rappelle surtout son franc-parler, sa parole vigoureuse qui a donné aux catholiques de son pays et de toute l’Afrique, la force de s’impliquer dans l’action politique. Oui, on était obligé de l’écouter à cause de la force de son discours. Mais d’où venait lui cette force ? Non pas seulement des mots choisis, mais de la correspondance entre ce à quoi il croyait et son discours. Mgr MONSENGWO parlait juste.
Tel fut aussi le cas du Cardinal Christian TUMI du Cameroun lui aussi décédé en cette année 2021 (le 3 avril) et qui a reçu, le 15 novembre 2011, le Prix de l’Intégrité décerné par Transparency International en raison de son implication en faveur de l’avènement et du respect du jeu démocratique au Cameroun. En cette année 2021, L’Eglise et l’Afrique ont ainsi perdu deux grands hommes. Mais, ces derniers ont laissé des traces, une marque indélébile, source d’inspiration pour leurs concitoyens, pour tous les Africains et pour tous les défenseurs de la démocratie et les Droits de l’Homme.
Le 10 juillet 2021, le président de la République du Bénin, Patrice TALON, promettait devant une centaine de délégués de la société civile ouest africaine, qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. Evénement véritablement historique car c’est bien la première fois qu’un président déclare cela en dehors de toute échéance, de toute campagne électorale ! Que d’Africains auraient voulu entendre cela de la bouche de leur chef d’Etat !
Oui, il est vrai que déclarer s’en tenir aux textes constitutionnels en refusant un troisième mandat, on a déjà entendu cela : Alassane OUATTARA ne l’a-t-il pas fait avant de se présenter de nouveau ? Et n’a-t-on pas des soupçons à propos de Maki SALL qui dit la même chose ? Du coup n’y a-t-il pas eu dans la salle du Palais des Congrès de Cotonou, des personnes qui ont eu des doutes après la déclaration de Patrice Talon ? Tiendra-t-il parole en 2026 ? Ces personnes avaient raison car tenir parole n’est pas souvent le fort des Chefs d’Etat de la CEDEAO. Le fait que le protocole additionnel de la CEDEAO sur la gouvernance de 2001 ne soit pas vraiment appliqué montre bien qu’on ne respecte pas les engagements au sein de cette institution.
L’essentiel c’est que Patrice TALON ait pu faire cette déclaration devant des citoyens de la CEDEAO, répondent d’autres. Et ils ont raison ceux-là aussi. En effet ce qui s’est passé le 10 juillet est à mettre au bénéfice de la mobilisation citoyenne au niveau de toute une région. C’est cette mobilisation qui a permis au sommet de se tenir, c’est elle qui a obtenu la cérémonie de la remise du témoin du refus du troisième mandat. C’est une grande victoire de la société civile et la confirmation de ce que les actions menées ensemble par plusieurs sociétés civiles réunies dans le même combat ont toutes les chances de réussir.
Le fait qu’il y ait eu une journée entière consacrée aux jeunes qui ont pu s’exprimer au lieu d’écouter des personnes parler en leur nom constitue aussi l’élément d’une satisfaction toute spéciale. On peut parier que cette jeunesse de la CEDEAO demeurera extrêmement vigilante sur la question du troisième mandat.
Toutefois, une remarque s’impose, pour en revenir à la question des correspondances : il n’y aura pas de troisième mandat, ni même de gouvernance antidémocratique au Bénin si ce qui est fait après le 10 juillet 2021 correspond à ce qui a été dit ce jour-là. Or la discordance entre le dire et le faire, constitue un des problèmes que posent les hommes politiques africains, car c’est une pratique courante pour eux.
A cause de cette discordance, la langue de bois est de mise lorsque des hommes politiques s’adressent aux citoyens. On adopte une certaine opacité dans le langage pour pouvoir se dédire plus facilement le moment venu. Ou bien alors, on promet clairement quelque chose et après on évoque diverses raisons pour expliquer la volte-face en train de s’opérer. La mode n’étant plus de faire marcher le peuple pour réclamer ce qui n’est pas dans son intérêt, comme un troisième mandat par exemple, aujourd’hui on convoque le droit pour se défendre. Ce sera certainement le cas lorsqu’après leur troisième mandat, certains évoqueront les compteurs mis à zéro par une nouvelle constitution, une nouvelle république pour se mettre en route pour un quatrième mandat…
Il y a eu des cas où d’illustres universitaires ont défendu des pratiques de ce genre dans des interviews radiodiffusés ou dans d’autres cadres.
On se demande comment, on peut supporter cette image dissonante qu’on donne de soimême : la même personne qui clame haut et fort les vertus de la démocratie et de l’Etat de droit, et qui défend le refus de l’alternance ! Comment être convaincant à propos de ce qu’on n’ose pas défendre ? La peur détruit ainsi la concordance entre ce qu’on dit et ce qu’on pense, elle fait bégayer et finalement parfois elle fait dire des contre-vérités. La démocratie n’est contre personne, elle ne fait pas de nous des ennemis mais permet la reconnaissance de chacun.
Dans sa théorie BAUDELAIRE affirme que l’artiste est l’intermédiaire entre l’homme et la Nature. Il lui revient de lire, de décrypter ce que la Nature dit dans les correspondances entres les parfums, les sons, les couleurs et d’en faire part aux autres hommes. S’il ne jouait pas ce rôle, la Nature demeurerait sans doute un livre fermé pour eux. N’aimerions-nous pas jouer un rôle similaire en décryptant pour les citoyens les correspondances ou les discordances entres les paroles et les actes, entre les actes et les pensées de nos contemporains ? Ne serait-il pas temps de sortir de nos discordances pour devenir ce que nous sommes en vérité?