Par Maryse QUASHIE et Roger Ekoué FOLIKOUE
L’histoire nous apprend que le 26 février 1885 marquait la fin de la conférence de Berlin commencée le 15 novembre 1884. L’objectif de cette conférence était le partage de l’Afrique entre les puissances exploratrices et colonisatrices qui voulaient déterminer leur zone d’influence afin d’éviter, entre elles-mêmes, des guerres, issues de la concurrence engendrée par l’exploitation des colonies en Afrique. Ce partage immoral et honteux, pour lequel BISMARCK s’était posé comme le grand organisateur et médiateur, a eu lieu sans les Africains, considérés comme des sous-hommes qui n’avaient pas droit au chapitre.
Plus d’un siècle après, on dirait que l’histoire veut encore se répéter même si le contexte a changé. Ce n’est plus à Berlin mais à Bruxelles, ce n’est plus BISMARCK, l’Allemand, mais le Français Emmanuel MACRON appuyé par les autres européens et surtout on note la convocation, déguisée sous forme d’invitation, des chefs d’État africains. Et on dit à qui veut l’entendre qu’il s’agit de faire de l’Afrique le partenaire privilégié de l’Europe alors qu’en réalité il s’agit de voir si on peut bien limiter l’influence d’autres partenaires en Afrique afin d’éviter la concurrence qui se révèle rude avec la présence de la Chine, de la Turquie et de la Russie au plan commercial et militaire.
Le sommet Union Africaine-Union Européenne de ce mois de février (encore février) est-ce la fin d’un cycle ou le renouvellement de ce qui avait commencé depuis 1884 à Berlin toujours en Europe et habillé dans une forme moderne afin de crier haut et fort que les Africains ont été associés par l’entremise des chefs d’Etat ? Quel nouveau partenariat en réalité puisque c’est ce qui est brandi comme argument pour vendre ce sommet ?
Il faut noter que c’est la même expression qui a été utilisée pour le fameux sommet de Montpellier en octobre 2021, sommet dénommé Afrique-France ; et on la reprend encore pour le sommet de Bruxelles dit sommet Union Africaine-Union Européenne. Ce n’est pas le changement de place des mots qui indiquent la réalité des faits mais il y a des indices qui ne trompent pas et ils sont têtus. Pour le sommet de Montpellier, le président MACRON a évoqué le paradigme d’un nouveau partenariat mais l’installation de Mahamat DEBY au Tchad a montré, bien avant le sommet, que le cap n’a pas changé et que le théâtre de Montpellier ne devait être qu’une forme d’appât pour la jeunesse africaine et surtout pour certains intellectuels africains. Et pour un nouveau sommet piloté par la France qui a associé l’Europe, on invite le Tchad et son président DEBY mais on ignore le Mali et le président GOÏTA, sous prétexte de coup d’état dans son pays. Quelle est la crédibilité de ce nouveau partenariat si le partenaire africain ne doit pas contester l’existant et analyser de façon lucide les accords et les pratiques dans une relation dite de coopération ? Quel est le sens de ce partenariat où la critique est assimilée à une forme de rébellion ? Y a-t-il encore coopération quand tout est presque décidé par un partenaire qui ne défend que ses intérêts ?
Le Sahel serait-il devenu le prétexte actuel pour la redéfinition des intérêts de l’Europe sur le continent africain ? Si à la conférence de Berlin, les Africains n’étaient pas invités et tous se plaignaient de ce manque de respect envers tout un continent, pourquoi les chefs d’État de l’Union Africaine cèdent-ils à la tentation du Sommet de Bruxelles ?
Le sommet UA-UE serait-il une autre forme de mise en scène et de mise en valeur pour flatter la sensibilité des chefs d’État africains ou alors serait-il un vrai moment de vérité pour dire ce qui ne va pas et surtout pour redonner un vrai sens au mot partenariat et coopération ? Le mensonge et la ruse commencent par la déformation des mots et le détournement du sens des termes. Ici aussi les indices parlent plus fort que les déclarations d’intention sur ce sommet. Le cas des forces Barkhane et Takuba est assez révélateur.
Il fallait bien un sommet international pour discuter du redéploiement de la force Barkhane. C’est pour cela que la France n’a pas officiellement annoncé le 16 février 2022 au matin le départ de ses troupes du Mali, nous a-t-on dit. En même temps, on ne pouvait pas préciser que ce sommet permettait à la France de sauver en quelque sorte la face, de ne pas se dire en quelque sorte forcée à adopter la solution choisie par un pays d’Afrique, et qu’un des objectifs principaux du sommet Union Africaine – Union Européenne des 17 et 18 février 2022 était de faire endosser par la communauté internationale cette solution. Cela signifie-t-il qu’il n’est pas question pour les autorités françaises de reconnaître leurs torts dans le différend avec les autorités maliennes ? Or nous le savons dans les relations interindividuelles dire « j’ai eu tort » représente souvent le premier pas pour un processus de paix. En serait-il autrement dans les relations internationales ?
Imaginons un seul instant ce qu’aurait eu comme résultat une déclaration de la CEDEAO, tout au moins de quelques chefs d’État après les sanctions prises contre le Mali, disant que la CEDEAO était en quelque sorte obligée d’appliquer les textes qu’elle-même a pris mais que la situation se révélait plus complexe qu’on ne pouvait le prévoir. La déclaration proposerait une rencontre avec une médiation donnant des garanties de neutralité et s’engagerait pour se fonder avant tout sur le bien des populations africaines. Peut-être que la situation ne se serait pas envenimée jusqu’au point où nous en sommes aujourd’hui avec l’implication de la Russie, de la Chine, de la Turquie, etc. Les chefs d’État africains ne seraient-ils pas capables de nommer réellement les choses, de poser les vrais et bons diagnostics pour une solution africaine qui mettrait au cœur les intérêts des peuples africains ? Et si tel n’est pas le cas à quoi servent la CEDEAO et l’Union Africaine ?
A l’heure actuelle, les personnes au pouvoir dans la plupart des pays de la CEDEAO semblent s’occuper avant tout de protéger leurs intérêts personnels, de préserver leurs privilèges, etc. Dans ce cadre, on se demande comment l’Afrique va s’en sortir sans dégâts. En effet autant on trouverait anormal de reconnaître ses torts, autant les représailles semblent acceptables. Alors, ne va-t-on pas assister à une escalade de violences en Afrique de l’Ouest pour bien montrer qui est le plus fort ? L’Afrique va-t-elle subir une fois de plus la puissance occidentale et la domination européenne avec la bénédiction des Africains au sommet de Bruxelles en 2022 ? C’est ce qui risque d’arriver en effet car le sommet Union Africaine – Union Européenne va permettre de voir comment faire le redéploiement des militaires français et européens en Afrique de l’Ouest. On cite déjà le Niger, le Tchad, la Mauritanie et même le Bénin.
Pourquoi ne se donne-t-on pas le temps de réfléchir avant de plaquer de nouveau la solution de la présence militaire étrangère pour régler le problème du terrorisme ? Aucun chef d’État ne peut- il saisir cette opportunité pour être le nouveau Soundiata pour tout un continent en quête d’espérance ? Le temps n’est-il pas venu de mettre les choses à plat pour reprendre le débat de manière plus saine?
Reconnaissons- le, les populations qu’on nomme maintenant, terroristes, djihadistes, etc. ne sont pas des étrangers en Terre d’Afrique. Pourquoi ont-elles choisi la violence, alors qu’elles vivaient en bonne compréhension avec les autres auparavant ? Que s’est-il passé ? N’y a-t-il pas une incidence de la pauvreté, un problème de gouvernance de populations qui ne se sentent pas prises en compte ? N’y a-t-il pas eu trop de manipulations politiques ?
Tant de questions restent en suspens ! Il s’agit en quelque sorte d’aller à la racine des problèmes actuels, pour proposer des solutions moins onéreuses financièrement mais aussi en vies humaines, des solutions respectueuses des possibilités de développement des pays concernés, des solutions ouvrant la porte à l’apaisement. Est-ce là un rêve, une utopie même ?
Si la définition de l’utopie, c’est faire advenir ce qui n’a pas encore existé, alors nous sommes fondés de soutenir que 2022 doit être le début d’une refondation politique en Afrique mais aussi le début d’un vrai partenariat, celui qui se construit, non pas sur la domination et uniquement sur l’exploitation des richesses du sous-sol africain, mais sur des valeurs humaines : la dignité, la liberté, le bonheur partagé, l’engagement pour la transformation des conditions d’existence partout où se trouve l’être humain et n’est-ce pas cela l’humanisme ? Repenser les fondations politiques en Afrique est une exigence qui passe par la nécessité de repenser les transitions en Afrique.
Le sommet de Bruxelles ne peut et ne doit surtout plus être une Conférence de Berlin bis mais il doit être la fin, ou tout au moins le début de la fin d’un cycle qui prendrait la demande de renégociation des accords comme signe d’achèvement de l’ère De Gaulle, et du règne de la
Françafrique.
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Lomé, le 18 février 2022